Louise Ebrel, la mamm-gozh des punks n’est plus…
Disparition•Fille d’une des soeurs Goadec, Louise Ebrel est morte le 30 mars dernier. Chanteuse de Kan-ha-diskan, elle se produisait notamment avec le groupe de punk-rock Les Ramoneurs de Menhirs…Magazine Bretons - Maiwenn Raynaudon-Kerzerho
La scène avait quelque chose d’incroyable. Une bande de furieux punks, crête sur la tête et guitare rageuse, jouant gavottes ou plinn revisités à la sauce rock. En meneur, Loran, ancien du groupe mythique Bérurier Noir. Et, à côté de ces Ramoneurs de Menhirs au style décoiffant, aussi à l’aise que si elle se trouvait dans un quelconque fest-noz, une dame d’un certain âge imposait sa voix, son kan-ha-diskan de la plus pure tradition. Sans se démonter, elle se permettait même de haranguer musiciens et public : “J’aimerais bien que ça bouge là ! Allez Loran, tire dessus, gast !” Ainsi était Louise Ebrel, chanteuse de kan-ha-diskan qui s’est éteinte le 30 mars dernier, à l’âge de 87 ans. Une femme qui avait reçu en héritage la tradition la plus ancrée, mais qui savait se moquer des préjugés et des a priori pour l’amener vers des milieux aussi étrangers pour elle que des concerts de punk…
Car Louise Ebrel était née dans la tradition. Elle était la fille d’Eugénie Goadec, l’une des trois célèbres soeurs qui montèrent sur la scène de Bobino en plein revival breton et celtique. Et même si elle assurait, dans une rencontre pour Bretons en 2011, avoir “toujours chanté”, c’étaient d’abord des reprises de Piaf ou Mariano pour animer fêtes et repas. La vie n’aura d’ailleurs pas toujours été tendre avec la jeune femme, veuve à 24 ans, remariée deux fois, mère de trois filles, un temps employée comme bonne à Paris – “Je pleurais tous les soirs” –, serveuse dans des restaurants ou ouvrière à La Bonneterie d’Armor.
“Tu chantes avec les Béru ?”
C’est une fois à la retraite qu’elle rencontre des jeunes chanteurs qui interprètent le répertoire des soeurs Goadec. Elle apostrophe l’un d’entre eux, qui annonce sur scène une gwerz qu’il avait apprise auprès d’elles : “Tu as intérêt à bien la chanter !” Le chanteur la prend au mot, et l’invite à monter auprès de lui. C’était Denez Prigent. Une collaboration musicale naît. La chanteuse aime la scène, mais n’aime pas être seule. Elle accepte donc toutes les propositions, si elle apprécie la personne qui la sollicite…
C’est ainsi qu’un jour, les sonneurs Éric Gorce et Richard Bévillon lui proposent de chanter sur leur nouvel album, pour lequel ils ont aussi invité Loran. “Les gens me demandaient : Alors Louise, tu vas chanter avec les Béru ? Mais je ne savais pas qui c’était ! J’ai demandé au petit-fils d’Albert, mon mari, qu’il me montre. Là, j’ai fait un bond ! J’ai dit : Moi, c’est terminé, mais qu’est-ce que c’est que ces gens !” Et puis, finalement, Louise se laisse convaincre, apprend à connaître et à apprécier Loran. Et même, l’expérience lui plaît. “Moi, ce qui me fait plaisir, c’est de voir tous ces jeunes devant moi. Il n’y en a aucun qui me manque de respect.”
Louise Ebrel se produira donc de nombreuses fois avec Les Ramoneurs de Menhirs. Sa fraîcheur d’esprit et son énergie marquent le public, amateur de fest-noz comme pogoteur acharné, qui en redemande. Louise, elle, en souriait, pensant à sa mère : “Si elle me voyait maintenant avec Les Ramoneurs de Menhirs… Je me demande si elle n’est pas en train de taper par terre avec sa canne depuis là-haut !”
Article paru dans le magazine Bretons n°164 de mai 2020