Jean-Luc Coatalem: “Victor Segalen me fascine depuis quarante ans”
LITTÉRATURE•L’écrivain et journaliste Jean-Luc Coatalem vient de signer Mes pas vont ailleurs. Dans cette enquête en forme de rêverie littéraire, il embrasse les pas de Victor Segalen (1878-1919). Cet aventurier passionné par la Chine, où il mena des expéditions archéologiques, admirateur de Gauguin, fut un écrivain au destin romanesque...Maiwenn Raynaudon-Kerzerho - Bretons
Bretons : Comment est née cette passion pour Victor Segalen ?
Jean-Luc Coatalem : Victor Segalen m’a toujours intéressé. Parce qu’il est Breton, Brestois. Parce qu’il est mystérieux. Parce qu’il a eu deux éblouissements dans sa vie : la Polynésie et la Chine. Moi-même, j’ai passé mon enfance en Polynésie, puisque mon père était militaire. Et la Chine m’intéressait à travers la figure de mon grand-père, qui était officier d’infanterie coloniale et avait été en poste en Indochine. La Chine n’est pas l’Indochine, mais il y avait ce tropisme pour l’Asie. D’autant plus que c’est un grand-père que je n’ai pas connu puisqu’il est mort en 1944, dans les camps allemands. Le fait de ne pas savoir grand-chose de lui mais d’avoir dans la maison un casque colonial, un étui de revolver, des laques qui venaient de Saïgon ou d’Hanoï et quelques photographies où on le voyait en uniforme ont activé chez moi une forme de rêverie littéraire…
Peut-être que je me suis intéressé à Segalen par une forme de mimétisme : je voulais savoir des choses sur un officier breton, brestois, du monde colonial, qui avait disparu… Et puis, comme on dit qu’il y a un merveilleux chrétien, avec les anges, les vierges, il y avait – et il y a peut-être encore – à Brest une forme de merveilleux maritime : l’au-delà des mers, les terres neuves, où tout à coup on pouvait s’inventer autrement, alors que le lignage, l’appartenance, le clan, la rue, la paroisse, le qu’en-dira-t-on, vous entravent.
Victor Segalen était un aventurier…
J’ai trouvé aussi Victor Segalen impressionnant de par sa capacité à être un aventurier kilométrique. C’est quand même quelqu’un qui a traversé la Chine, parcouru le monde en bateau. J’étais un peu soufflé par cette force vitale qu’il y a en lui, et que j’ai aussi un peu, mais très modestement, comparé à lui. Parce que moi, au fond, je suis un peu trouillard, alors que lui est très courageux.
J’avais également une admiration pour lui, car il a poursuivi toute sa vie une quête littéraire, sans tellement publier. Il n’a publié que trois livres de son vivant, dans une indifférence totale. J’aime ces artistes qui, toute une vie, sont arc-boutés dans une sorte d’obstination pour une œuvre. Finalement, aujourd’hui, on a une vision presque fausse de lui parce que son œuvre était immergée. On ne soupçonnait pas tout ce travail.
C’est ce qui explique qu’il ne soit pas très connu ?
Il est très connu, mais de peu de gens. François Mitterrand était un fan de Victor Segalen. Jacques Chirac est aussi un fan comme Régis Debray. Tout comme l’étaient Paul Claudel, Henri Michaux… Michel Onfray sort un Victor Segalen en novembre, Patrick Deville également… Quand on regarde de plus près, c’est un peu un écrivain pour les happy few, mais qui a une véritable existence. Son œuvre est difficile, certes, mais elle est un vrai jalon dans la compréhension de l’Autre. C’est son leitmotiv : l’Autre, qui est l’altérité, qui pose la question non seulement de ce qu’est l’autre mais de ce que je suis moi. C’est un jeu de miroir complexe. L’Autre n’est pas juste différent de moi, il me fait être moi-même. Par-delà l’exotisme, la différence m’amène vers moi-même.
Retrouvez la suite de cet entretien de 4 pages dans le magazine Bretons n°135 d'octobre 2017.