Blandine Rinkel: La candeur d’une mère
Littérature•Le premier roman de Blandine Rinkel se déroule à Rezé, et c’est soudain toute une France oubliée que l’on redécouvre : celle des classes moyennes silencieuses. Et généreuses...Tugdual Denis - Bretons
Sa silhouette longiligne et sa prudence de chat vont à merveille à Blandine Rinkel, au moment où elle lâche cette phrase à la fois sensuelle et factuelle : “Je me faufile dans plusieurs corps de métier”. Pas tout à fait écrivaine, la jeune femme vient non pas de publier son premier roman, mais de publier, pour la première fois, l’un de ses romans. Deux ont précédé. Pas bons, pas aboutis, pas finis en tant que tels, jure leur mère. L’un traitait des monologues intérieurs que Rinkel prêtait à ses camarades en classe de philo. L’autre, d’une expérience qu’elle faisait quand elle avait 16 ans. Abandonnant des lettres dans divers lieux publics comme des cafés ou des bibliothèques, l’adolescente se retrouvait confrontée à toutes sortes de rencontres loufoques.
A la frontière du journalisme
Déjà plus totalement journaliste, pourtant son métier officiel, l’ancienne étudiante en lettres et philosophie à l’École des hautes études en sciences sociales n’a jamais été une chasseuse de scoop ou une droguée de l’information continue. “J’ai toujours écrit des textes, à la frontière entre journalisme et littérature”, explique-t-elle. “Ce qui m’intéresse, c’est la non-fiction à l’anglo-
saxonne, même si ce n’est pas un genre très développé en France.”
Le principe ? Créer du littéraire, du romanesque, à partir d’une histoire vraie. Magnifier l’enquête et le reportage. Sublimer le récit. L’Abandon des prétentions, chez Fayard, obéit à ce canevas puisque ce joli livre de Blandine Rinkel narre la vie quotidienne d’un personnage qui n’est autre que sa mère. Sa “vraie vie”. “Dans mon livre, la vérité littéraire est toujours là”, assure l’auteure, “mais il y a des éléments du réel avec lesquels je me suis arrangée, pour faciliter la fluidité de l’histoire. C’est pourquoi je ne suis pas sûre que mon livre soit un roman.”
Dans cet ouvrage, le lecteur suit scrupuleusement les sages pérégrinations de Jeanine, retraitée, qui vit seule à Rezé, en face de Nantes, de l’autre côté de la Loire. Avant de revenir sur le personnage principal du livre, détour par le décor, omniprésent, superbement rendu dans son atmosphère, “la commune neutre” qu’est Rezé. “Une ville sans centre, une ville de passage, bordée entre Nantes et un gigantesque et monstrueux centre commercial”, détaille la fille de Jeanine. “Les gens habitent là car ils travaillent ailleurs, ce n’est pas une ville investie.” Dans le livre, les passages concernant cette ville moyenne sont ciselés de mots à la fois durs mais sonnant vrai : “Une commune où le ciel a souvent la même teinte que le goudron. Un petit monde dont la discrétion est semblable à celui de son enfance fermière (de Jeanine, ndlr), son enfance du Finistère, un petit monde que le grand ignore”.
Dans cette ville sans véritable âme, Jeanine est une femme candide, qui ouvre sa porte aux démunis, qui parle bien plus que ses voisins aux immigrés. Cet univers si présent, si contemporain a valu à Blandine Rinkel la curiosité aiguë d’une presse littéraire, finalement relativement sevrée de description du monde dans lequel nous vivons, tel qu’il est. Ici, dans ce livre, les immigrés, les réfugiés, les clandestins sont surreprésentés par rapport à l’habituel univers feutré voire germanopratin de la littérature française. Blandine Rinkel : “Je crois qu’il y a deux écoles : la diabolisation de ces populations-là, mais aussi, à l’inverse, une manière de victimiser ou d’idéaliser tous les gens qui sont mal accueillis en France. Ma démarche à moi n’est pas idéologique. Je veux montrer des vies pour ce qu’elles sont, donner des prénoms et des histoires aux gens. Ils peuvent mentir, comme cette Espagnole qui ment à ma mère, sur la période du franquisme. Je suis persuadée qu’un réfugié syrien peut mentir. Doit mentir, en quelque sorte. À titre personnel, je suis plutôt pour l’accueil des immigrés, mais c’est tout aussi néfaste à l’ambiance politique de les victimiser”.
“Ne pas avoir peur des gens”
Reste cette mère accueillante, dans son pavillon, que d’aucuns lecteurs jugeront naïve. “Sa candeur me touche et me libère”, défend sa fille. “Elle prend la liberté d’être critiquée, d’aimer, d’être curieuse, de ne pas avoir peur des gens, de ne pas avoir peur d’être ridicule.” Le journaliste culturel Frédéric Taddeï est allé jusqu’à percevoir en Jeanine une islamo gauchiste ? “Cela énerve beaucoup ma mère !”, jure l’auteure. Qui décrypte : “Il y a une nervosité certaine autour des sujets de la classe moyenne, de l’accueil des non-Français de naissance, des attentats. En cette année électorale, les gens se sont saisis de la dimension politique contenue dans le livre”. Parce que le journalisme ne suffit pas. Jamais.
Retrouvez cet article dans le magazine Bretons d'avril.