Alain Rey: "Le français a assassiné le breton"
Entretien•Originaire du Puy-de-Dôme mais attaché à la Bretagne où il passe tous ses étés du côté de l’Aber-Wrac’h, le célèbre lexicographe Alain Rey vient de publier une nouvelle édition du Dictionnaire historique de la langue française. L’occasion de rappeler ce que le français doit au breton, mais aussi comment il est responsable de la disparition des langues régionales...Maiwenn Raynaudon-Kerzerho - Bretons
Votre dictionnaire historique montre que le français est une langue qui s’est toujours nourrie de multiples apports et influences, parmi lesquels il y a le breton…
Dans ce livre, j’essaye de montrer que le français est un kaléidoscope. Ses usages sont répandus dans le monde entier, de la Polynésie à la Louisiane, mais dans chacune de ces régions, il y a des contacts avec d’autres langues, et c’est un enrichissement. Cet enrichissement est moins visible que le débarquement massif des américanismes, mais il est tout aussi important ! Le français est une façon de voir le monde, une pensée, qui est unifiante parce qu’elle a un vocabulaire de base et une syntaxe, mais qui prend des formes par les usages particuliers du français. Ces usages, tout en gardant l’unité de la langue, manifestent une formidable variété culturelle. Ne pas reconnaître cette variété culturelle, non seulement en décrivant mieux les régionalismes dans le français, mais en acceptant le bilinguisme et l’enseignement des langues et dialectes, est une erreur.
Vous expliquez que le français a “tué” les autres langues, qu’il leur a mené une “guerre”. Vous utilisez des termes forts ?
Oui. Toutes les grandes langues mondiales, la première de toutes étant l’anglais, ont le même type d’histoire. En Angleterre, les Pictes ont disparu, remplacés par les Celtes, qui ont été à leur tour repoussés, et c’est une langue germanique, venue du continent, l’anglo-saxon, qui s’est imposée. L’anglais est une langue qui a ensuite bousillé toutes les langues présentes à l’intérieur du Royaume-Uni. Même chose pour le français. Au 17e siècle, au moins 45 % des Français ignoraient complètement le français, ne comprenaient que la langue de leur région !
Vous insistez sur le fait que la guerre 14-18 a été un choc…
La guerre 14-18 a été la fin des haricots pour les dialectes et les langues régionales, à cause du brassage des tranchées et de la nécessité absolue pour les soldats de comprendre les ordres des officiers. Il a fallu qu’ils se mettent au français de force. En 1918, tous ceux qui avaient fait la guerre savaient du français et étaient tentés de se mettre à la langue dominante sur le plan économique. Exactement comme aujourd’hui : les Vietnamiens préfèrent apprendre l’anglais que le français, pour des raisons économiques !
Lire la suite de l'entretien dans le magazine Bretons de mars.