Macron est-il contre « l’esprit de la Constitution » s’il ne nomme pas un Premier ministre de gauche ?
FAKE OFF•Le Nouveau Front populaire voit dans la lettre du président un détournement des résultats des élections, mais l’absence de majorité nette complique la donne politiqueEmilie Jehanno
L'essentiel
- Le 10 juillet, Emmanuel Macron s’est adressé aux Français dans une lettre, où il liste des principes pour nommer le Premier ministre.
- Le Nouveau Front populaire, arrivé en tête des législatives, exige que le Premier ministre soit issu de ses rangs. Ignorer le résultat des élections serait une « trahison de l’esprit de la Constitution », explique-t-il.
- Mais pour le constitutionnaliste Dominique Rousseau, la lettre du président « respecte l’esprit parlementaire de la Constitution ».
Une lettre et une nouvelle déflagration. Après une période de silence à l’issue des législatives, Emmanuel Macron s’est adressé aux Français dans une lettre le 10 juillet. « Personne ne l’a emporté », a-t-il estimé, rejetant le fait que le Nouveau Front populaire (NFP) est arrivé en tête avec 195 députés. L’absence de majorité suffisante soutient ce raisonnement, où d’après lui « seules les forces républicaines représentent une majorité absolue ».
Le président liste des principes pour nommer le Premier ministre : un partage de valeurs républicaines, un projet pragmatique et la garantie d’une stabilité institutionnelle. Une lettre qui a révolté les leadeurs du Nouveau Front populaire, de LFI jusqu’au PS.
« Un détournement des institutions »
La proposition du président de la République est « un détournement des institutions » contre laquelle l’alliance des gauches le met en garde. Le NFP, qui rappelle être « sans conteste possible la première force à l’Assemblée nationale », explique dans un communiqué qu’ignorer le résultat des élections serait une « trahison de l’esprit de la Constitution ».
Dominique Rousseau, constitutionnaliste, ne partage pas cette analyse. Pour lui, Emmanuel Macron reste dans ses prérogatives avec cette lettre : « Il n’y a ni détournement des institutions ni trahison de l’esprit de la Constitution, explique auprès de 20 Minutes le professeur à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne. Au contraire, l’esprit parlementaire de la Constitution est respecté puisqu’il n’y a que des groupes minoritaires à l’Assemblée nationale, sans majorité, ni absolue ni relative. »
Un président « dans son rôle »
S’il comprend que d’un point de vue politique le NFP s’affirme vainqueur, il affirme que le président reste « dans son rôle ». Pour former une coalition gouvernementale qui ne pourrait pas être renversée par une motion de censure dès sa nomination, il invite les groupes parlementaires à s’entendre. Ensemble, LR ou le RN ont en effet déjà promis de censurer un gouvernement NFP, si des insoumis ou, pour certains, des écologistes en font partie.
Sous la Ve République, trois cohabitations ont eu lieu : après la victoire de la droite aux législatives de 1986, François Mitterand a dû nommer Jacques Chirac Premier ministre. Rebelote en 1993, après une nouvelle victoire de la droite : Édouard Balladur est désigné chef du gouvernement. En 1997, Jacques Chirac, devenu président, a perdu son pari en dissolvant l’Assemblée : Lionel Jospin, chef de file de la gauche plurielle qui a obtenu une majorité absolue, devient Premier ministre.
La force en tête gouverne, une tradition républicaine
C’est dans l’esprit de cette tradition républicaine que l’ancien Premier ministre de droite Dominique de Villepin a listé trois étapes sur LCI pour gouverner. La première est de choisir « la force arrivée en tête au soir du scrutin », dit-il, soit le Nouveau Front populaire pour former ensuite une majorité. Il voit deux autres étapes ou options : la création d’une force majoritaire à partir d’un front républicain ou un gouvernement d’union nationale, qui n’exclurait ni le RN ni LFI.
« Arithmétiquement, le bloc de gauche est le premier, a, de son côté, souligné auprès de l’AFP Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur à l’université de Lille. La logique d’un régime démocratique et parlementaire, c’est que ce soit lui qui propose un Premier ministre. » Le NFP a « raison », selon lui de demander à prendre la tête du gouvernement, mais il faudra « faire preuve de souplesse dans son programme », en raison notamment de l’hostilité suscitée par Jean-Luc Mélenchon.
Plus de parlementarisme
Néanmoins, comme le souligne Dominique Rousseau, la différence avec 1986 ou 1997, c’est qu’il n’y a pas de majorité, « mais que des minorités ». Pour former une coalition, les groupes parlementaires doivent se mettre d’accord sur un programme. « Le pouvoir de décision appartiendra au Premier ministre, ce sont les articles 20 et 21 de la Constitution, détaille-t-il. C’est lui qui détermine la politique de la nation. »
Ce serait une forme de rééquilibrage vers davantage de parlementarisme. « Le président de la République deviendra ce qu’il aurait toujours dû être, c’est-à-dire un arbitre et un garant du bon fonctionnement des pouvoirs publics, poursuit-il, mais ce n’est plus lui qui définira la politique du pays, ce sera la coalition des groupes parlementaires et le Premier ministre issu de cette coalition. »
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