CRITIQUEPour sa grande première, le « Attal show » à l’Assemblée fait pschit

Pour sa grande première, le « Attal show » à l’Assemblée fait pschit

CRITIQUEL’affiche d’un Premier ministre seul face aux députés et députées était alléchante, mais la mise en scène est à revoir
Rachel Garrat-Valcarcel

Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • Ce mercredi, l’Assemblée nationale testait pour la première fois des questions au gouvernement avec le seul Premier ministre.
  • L’affiche était alléchante, mais le résultat fut largement décevant.
  • La faute à des députés et députées qui sont restés trop frileux et à un Premier ministre trop peu contraint par l’exercice.

Ici, il n’y a pas les trois coups mais il y a bien une sonnette, dix minutes avant le début de la séance. Il y avait de l’excitation avant celle du jour. Il faut dire que l’affiche était alléchante : « L’incroyable Gabriel Attal seul dans la fosse aux députés. »

Pour la première fois depuis l’instauration des questions au gouvernement (QAG, pour les intimes) à l’Assemblée nationale, il y a bientôt cinquante ans, celles-ci se sont transformées en questions au Premier ministre. L’idée est de redonner de la verve à un format qui s’est un peu fané avec les années… et la langue de bois.

La critique est déjà en place en tribune quand l’acteur principal du jour, Gabriel Attal, arrive dans un hémicycle quasi vide, à deux minutes du début. Trois ou quatre députés et députées Renaissance applaudissent à tout rompre, tels des parents avant la performance de leur petit au spectacle de fin d’année. L’affiche a pourtant un autre standing : quarante-cinq minutes, dix questions, une par groupe. Chaque député peut jouir de ses deux minutes de parole comme il l’entend (d’un trait, ou à la découpe). Le premier ministre lui, comme le veut la tradition, n’a pas de chrono.

On a vite déchanté

Très vite, la critique déchante. Car pour faire de bonnes « QAG », il faut être deux. Si le rôle principal affichait le côté maître de lui-même et de l’espace qu’on lui connaît si bien, les députés et députées ont choisi globalement de faire comme si de rien n’était. On a entendu ce mercredi les mêmes questions, posées de la même manière que d’habitude, sur des sujets souvent techniques. Que les questions de la majorité soient mollassonnes, on a l’habitude.

Mais l’opposition aussi a globalement déçu : LR sur la situation d’Atos, Liot sur l’insertion, les communistes et les socialistes sur le pouvoir d’achat… Des questions d’intérêt général mais quelle plus-value de les poser au Premier ministre plutôt qu’aux ministres responsables ? La plupart du temps aussi les députés et députées ont fait le choix de questions très longues, sans ou presque sans relance. Disons-le : cette mise en scène manque de vie.

Ses plus grands tubes

Si bien que Gabriel Attal n’a pas eu à forcer son charisme pour obtenir les applaudissements de la majorité. Il a rejoué ses plus grands tubes : le classique et efficace « Je l’ai annoncé dans ma déclaration de politique générale » ; le un peu répétitif « Les Français qui travaillent » ; le sulfureux « Je n’ai pas de tabous » ; le sérieux « Je tiens mes engagements ». Et, bien sûr, le fan service apprécié des bancs macronistes : le fameux « C’est grâce à cette majorité ». Il n’a manqué qu’un « J’assume mes responsabilités », mais notre attention a un peu vacillé sur la fin.

Les seuls à avoir compris l’intérêt du format sont les insoumis. Une question courte (32 secondes), simple mais très politique sur la réforme de l’assurance chômage : « Dans l’espoir que la séance de questions au Premier ministre soit, contrairement à la séance de questions au gouvernement, une véritable séance de réponses aux députés je poserais deux questions directes. Y a-t-il selon vous un lien entre l’indemnisation du chômage et le niveau du chômage lui-même ? Y a-t-il assez d’emplois pérennes non pourvus pour le nombre de demandeurs d’emploi ? »

Prise de fer

Et une réplique de 88 secondes qui vient tenter de casser le satisfecit de Gabriel Attal sur la baisse du chômage depuis 2017 et des entrepreneurs qui ne trouvent pas à embaucher. Ça a de l’allure, la prise de fer politique est intéressante. Mais, toujours à la recherche de l’efficacité politique maximale, les insoumis ont fait le choix de coupler une question bien sentie à leurs efforts acharnés pour la réhabilitation des auteurs de violences conjugales en politique. Ils avaient confié la question au député du Nord, Adrien Quatennens.

Bien tenté, mais à courir deux lièvres à la fois on en attrape aucun. Et Gabriel Attal, qui dans le format choisi a toujours le dernier mot, a aussi pu faire son numéro : notant qu’Adrien Quatennens n’avait, lui, pas répondu à la question qu’il lui avait posé sur les raisons de la baisse du chômage, « c’est donc que vous reconnaissez que c’est l’action de cette majorité qui a permis la baisse historique du chômage ! Il n’est jamais trop tard pour changer d’avis ».

Les dés sont pipés

On avait analysé le seul en scène de Gabriel Attal comme une prise de risque assez courageuse : il n’en a rien été. Au-delà de ressortir ses tubes habituels – mais après tout, il est cohérent dans la défense de sa politique – le fait que le Premier ministre n’ait aucune limite de temps pour ses réponses déséquilibre totalement la pièce. Comment justifier que l’hôte de Matignon puisse avoir, s’il le souhaite, tout le temps le dernier mot alors qu’il est le seul qui parlera à chaque fois ? Avec ces données, pas étonnant que la plupart des groupes n’aient pris, eux, aucun risque.

C’est comme toutes les comédies musicales ou pièces de boulevard un peu mythiques : c’est difficile à bouger, les « QAG ». Quoi qu’il en soit après la première de ces cinq représentations exceptionnelles prévues, on ne s’est pas dit qu’on avait trouvé la martingale pour renouveler le genre. Une critique respectée des tribunes de la presse de l’Assemblée soufflait perfidement à la sortie : « Dans cinq semaines il sera tout seul avec ses fiches devant trois tondus et un pelé. » Pas impossible, ce mercredi il n’y avait déjà vraiment pas foule. C’était sans doute un signe : il faut toujours vérifier la file devant le théâtre avant d’entrer.