Projet de loi immigration : Comment fonctionne la Commission mixte paritaire, sorte de boîte noire parlementaire ?
GOOGLE DOC•Le sort du texte gouvernemental sur l’immigration va peut-être se jouer dans cette procédure opaque mais qui détient des superpouvoirsRachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- Le sort du projet de loi immigration va en partie se jouer à compter de lundi lors d’une commission mixte paritaire.
- Cette instance, très fréquente quand Assemblée et Sénat ne sont pas d’accord, reste globalement un mystère. Un endroit sans vraiment de règles écrites. On vous explique.
«CMP » : voilà un acronyme qui va être souvent répété dans les jours à venir. CMP pour commission mixte paritaire. Si vous avez quelques souvenirs de comment fonctionne la « navette parlementaire », c’est ce qui arrive quand, après une ou plusieurs lectures, le Sénat et l’Assemblée n’ont pas voté le même texte. C’est à cet endroit que les deux chambres tentent de se mettre d’accord. Et c’est en partie là que va se jouer le sort du projet de loi immigration, rejeté par l’Assemblée nationale lundi. En partie, car même si la CMP accouche d’un accord, il faudra encore un vote favorable des deux chambres…
Mais comment fonctionne la CMP ? Pas simple, tant cet endroit est une boîte noire sans véritables règles.
Qui y va, et qui décide qui y va ?
Des députés, des sénateurs, et c’est tout. Personne d’autre, pas de conseillers ni de collaborateurs. Sept titulaires de chaque côté, correspondant aux forces politiques en présence. A l’Assemblée, ça fait quatre macronistes, un RN, un LFI, un LR. Au Sénat, ce sont trois LR, deux PS, un centriste, un macroniste. Il y a aussi sept suppléants de part et d’autre, pour représenter un peu plus de groupes, qui participent aux débats mais pas aux votes. Ce sont les groupes qui désignent qui y va, mais pas au pif : on nomme les gens qui ont travaillé sur le texte, les rapporteurs de chaque chambre, les présidents des commissions concernées. Et au-delà, le plus souvent, des membres des commissions concernées.
« C’est logique, ce sont eux qui connaissent le mieux le sujet, qui voit les lignes rouges et les accords possibles. Ça va plus vite », explique le journaliste parlementaire Pierre Januel, coauteur avec Vito Marinese de La Fabrique de la loi : petit manuel à l’usage de tous, aux Petits matins. Il peut y avoir des négociations entre groupes, pour qu’un suppléant remplace un titulaire. C’est notamment arrivé à Arthur Delaporte, député PS, corapporteur d’une proposition de loi sur les influenceurs : il a échangé sa place avec LFI lors de la CMP de sa proposition de loi. C’est possible, mais rarissime.
Le plus important, c’est la pré-CMP
« Sur les CMP, le droit est très léger. Il y a deux alinéas dans l’article 45 de la Constitution et quelques articles de règlement. C’est la pratique, les précédents, qui font la règle », explique Pierre Januel. « Normalement, ça doit fonctionner comme une commission mais… de toute évidence, ce n’est pas le cas », constate Philippe Quéré, auteur de 49.3, 47.1, 40 Contre-pouvoir en danger, chez Max Milo, et collaborateur socialiste. Résultat, dans les faits, le plus important, ce n’est pas la CMP en elle-même, mais la « pré-CPM ». Une négociation réduite à son plus simple appareil, informelle, le plus souvent avec seulement les rapporteurs des deux chambres. Car à ce moment-là, ce n’est déjà plus qu’une négociation entre majorité sénatoriale et majorité de l’Assemblée.
« Ça se passe par téléphone, par visio, en physique… », décrit Arthur Delaporte. Très concrètement, lui avait demandé qu’on travaille sur un document Word avec suivi des modifications, mais cela dépend. « Tout dépend surtout de la volonté conclusive ou pas », note le député normand. Concernant le projet de loi immigration, vu que la CMP a été convoquée dès lundi 17 heures, les négociations doivent déjà aller bon train en amont : « Là, c’est cinq jours plein de travail, nuits comprises. Avec des administrateurs super-mobilisés », imagine Delaporte.
La CMP en elle-même, c’est tout ou rien
Elle a lieu, en alternance, au Sénat et à l’Assemblée. « On est vraiment placés face à face, les sept députés titulaires et les sept sénateurs titulaires. Derrière chaque titulaire, il y a son suppléant. Mais ils ne sont même pas toujours là », décrit Hadrien Clouet, député LFI. Traditionnellement – mais encore une fois rien n’est écrit –, les présidents des deux commissions concernées au Sénat et à l’Assemblée font un propos liminaire, puis les rapporteurs des deux chambres. Et enfin, on fait un tour de table des groupes qui donnent leur position.
A ce moment-là, on sait très vite s’il va y avoir accord ou pas. La tradition veut que si on commence l’étude article par article, on aille jusqu’au bout, donc vers un accord. Au contraire, s’il n’y a pas accord en vue, on ne commence même pas cette étude et on acte le désaccord dès le tour de table. « J’ai fait des CMP qui durent des heures et d’autres qui durent quatre minutes trente », décrit Hadrien Clouet. Là aussi, pas de règle sur la durée : si ça doit prendre la nuit pour un accord, ça prendra la nuit… C’est peu probable dans le sens où s’il y a accord, il est ficelé avant.
Dans ce cas, les parlementaires présents découvrent sur place un document « tri colonne », sorte de Google Doc préhistorique, avec dans une colonne la version de l’Assemblée, dans la deuxième la version du Sénat, et dans la troisième la version proposée. « C’est un document qui fait entre 20 et 110 pages, et on doit donc se faire un avis tout de suite ! », remarque le député LFI qui, de sa place de député d’opposition, n’a jamais eu l’occasion de vraiment participer aux discussions pré-CMP. On vote sur chaque réécriture… ou pas, ça peut se faire de manière consensuelle.
La CMP favorise-t-elle les accords ?
Pour Philippe Quéré, « on favorise les conditions d’un accord quand le formalisme est réduit à sa plus simple expression ». D’autres ont des formules plus franches pour décrire tout ça comme une « négociation de marchand de tapis ». C’est-à-dire que tout se passe en direct. Il n’y a plus de délais d’amendement (de toute façon, il n’y a plus d’amendements), simplement des propositions de réécriture qui peuvent concerner tout, même des choses qui n’ont pas été discutées auparavant. On peut prendre dans l’ordre, le désordre, revenir à quelque chose de déjà réécrit… « Au fond, c’est un moment où les pouvoirs des députés sont disproportionnés par rapport au droit parlementaire habituel. »
En moyenne, 60 % des commissions mixtes paritaires sont conclusives. C’est davantage depuis le début de la législature, le gouvernement et la majorité étant trop heureux de pouvoir trouver des accords avec le Sénat dominé par la droite pour tenter de rallier les LR de l’Assemblée… et donc trouver une majorité à la chambre basse. Evidemment, ce n’est pas aussi simple sur les textes les plus compliqués, comme le projet de loi immigration. Dans ce cas, il est possible que ce soit moins une confrontation Sénat/Assemblée que Droite/Macronistes. Ce qui pourrait rendre plus complexe la recherche d’un accord.
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