fake offLes approximations de Bruno Retailleau sur l’aide médicale d’Etat

Immigration : Les approximations de Bruno Retailleau sur l’aide médicale d’Etat et son attractivité pour les étrangers

fake offLe ministre de l’Intérieur a assuré que le gouvernement va revoir cette aide, en s’appuyant sur un rapport. Mais ce rapport est plus nuancé que les affirmations de Bruno Retailleau
Mathilde Cousin

Mathilde Cousin

L'essentiel

  • Bruno Retailleau affirme que l’aide médicale d’État (AME) contribue à rendre France attractive pour l’immigration illégale et encourage la clandestinité, citant un rapport de décembre 2023, mais le rapport est en réalité plus nuancé sur ces points.
  • Le rapport indique que l’accès aux soins « n’est qu’un facteur parmi d’autres » pour le choix de la destination d’immigration et que la comparaison européenne « ne permet pas de conclure à l’existence d’un facteur d’attractivité de nature à orienter vers la France les flux migratoires ».
  • L’AME, qui assure la prise en charge de plusieurs pathologies pour les étrangers en situation irrégulière sous certaines conditions, est un sujet qui divise la droite et la gauche depuis plusieurs années.

Bruno Retailleau l’assure : le gouvernement Bayrou « touchera » à l’aide médicale d’Etat (AME), sujet qui divise la droite et la gauche depuis de nombreuses années. Pour appuyer sa position, le ministre de l’Intérieur, issu des rangs de LR, a laissé entendre que cette aide, qui assure aux étrangers en situation irrégulière la prise en charge de plusieurs pathologies sous certaines conditions, contribuait à rendre la France attractive : « Si nous, on est au-dessus de la moyenne de ce que font les Européens en matière de soins, en matière d'aide sociale, en matière de regroupement familial, les filières des passeurs, les trafiquants d’êtres humains, vont orienter les flux vers la France, plutôt que vers les autres pays », a-t-il assuré au micro de BFMTV.

Citant un rapport rendu en décembre 2023 à l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, Bruno Retailleau a aussi affirmé que cette aide médicale d’Etat est « un encouragement à la clandestinité » : « Pour l’AME, je demande à ce qu’on reprenne les conclusions d’un rapport qu’avaient fait monsieur Stefanini et monsieur Evin et qui avait montré que l’AME était en fait un encouragement à la clandestinité, a-t-il développé. »

Qu’en est-il vraiment ? 20 Minutes a passé en revue ces deux affirmations.

FAKE OFF

Dans leur rapport, Patrick Stefanini et Claude Evin se montrent plus nuancés que le ministre de l’Intérieur. Les deux auteurs notent que l’accès aux soins « n’est qu’un facteur parmi d’autres » pour le choix de la destination d’immigration. D’autres facteurs entrent en compte, tels que la « langue, l’existence de diasporas dont certaines sont une conséquence de la décolonisation, [l’existence d’une] allocation versée aux demandeurs d’asile, les conditions d’instruction et perspective de reconnaissance des demandes d’asile, [ou encore le] droit inconditionnel à un logement d’urgence ». Ils notent également que les « perspectives d’emploi, les aides alimentaires, les aides aux transports, [ou encore] la scolarité » jouent.

En 2019, déjà, le Défenseur des droits et une enquête réalisée par des chercheurs de l’université de Bordeaux et de l’Irdes battaient en brèche le soupçon d'« appel d’air » que créerait l’AME.

Quant à la comparaison européenne avancée par Bruno Retailleau qu’en est-il ? La France se situe-t-elle dans la moyenne avec nos voisins ? Les auteurs du rapport soulignent que « la comparaison d’accès aux soins pour les étrangers en situation irrégulière en Europe occidentale » se révèle « délicate ». Toutefois, pour eux, elle « ne permet pas de conclure à l’existence d’un facteur d’attractivité de nature à orienter vers la France les flux migratoires ». Traduction : la politique française en matière d'accès aux soins ne se distingue pas par rapport à nos voisins européens en matière d'attractivité pour des personnes en situation irrégulière.

En revanche, l’AME « encourage »-t-elle la clandestinité, comme le souligne Bruno Retailleau ? Les auteurs sont là aussi plus nuancés et ne parlent pas d'« encouragement » mais d’un « maintien » dans la clandestinité.

Ils notent que cette aide « contribue » à un maintien en situation irrégulière, même si « les interlocuteurs rencontrés par la mission se sont montrés partagés à cet égard », développent Claude Evin et Patrick Stefanini. Les bénéficiaires de l’AME étant précaires, la présentation d’une carte de bénéficiaire permet, dans certaines situations, d’accéder à d’autres prestations, comme les banques alimentaires ou la tarification solidaire à la cantine. « C’est la somme de ces avantages » qui contribue au maintien dans la clandestinité.

L’étendue que doit prendre cette aide, qui assure la prise en charge de plusieurs pathologies pour les étrangers en situation irrégulière, divise depuis plusieurs années la droite et la gauche. Pour en bénéficier, un étranger majeur doit résider en France depuis plus de trois mois et ne doit pas avoir de ressources qui excèdent 847 euros par mois. Pour les adultes, les frais sont pris en charge à 100 % dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale. Certains actes médicaux et les médicaments jugés les moins efficaces ne sont pas pris en charge.

D’après le rapport, le nombre de bénéficiaires de l’AME a presque doublé entre 2009 et 2022, passant de 210.000 à 400.000. De quels soins bénéficient-ils ? Ils se rendent le plus à l’hôpital pour y faire suivre une grossesse et y accoucher (15 % des séjours en 2022) et pour y faire des séances de dialyse, de chimiothérapie ou de radiothérapie (39 % des séances en 2022).