Gouvernement Barnier : De la rupture avec Eric Ciotti à Matignon, comment LR a réussi le braquage du siècle ?
Trois mois pour tout changer•Malgré une claque aux élections législatives et seulement 46 députés, les Républicains sont en position de force au gouvernementXavier Regnier
Si vous avez passé les trois derniers mois dans une grotte, mouillez-vous un peu la nuque avant de lire ça : LR mène le gouvernement, et pas qu'un peu. Un scénario que le plus fantasque des réalisateurs hollywoodiens n’aurait pas proposé au lendemain des élections européennes, vu l’état du parti. Mais malgré les claques, les tempêtes et les moqueries, il faut reconnaître à la droite un certain don pour rester au centre de l’attention.
Sourire en coin, Eric Ciotti, le président du parti, annonçait moins de 48 heures après la dissolution une alliance avec le RN. « Nous avons besoin d’une alliance, en restant nous-mêmes, […] avec le Rassemblement national et avec ses candidats ». Un coup de tonnerre. Alors que la gauche s’enferme pour nouer son alliance, la France se passionne pour la telenovela Los Republicanos, la plupart des cadres désavouant Eric Ciotti. Une séquence dont le highlight reste sans doute Valérie Pécresse se retroussant les manches pour aller déloger le Niçois, enfermé à l’intérieur du siège du parti.
La droite « éparpillée façon puzzle » aux élections
L’affaire finira en justice, le tribunal judiciaire de Paris invalidant temporairement l’exclusion d’Eric Ciotti du parti. Il restait une campagne à mener, avec une ligne à trouver pour les LR « canal historique ». Dans un entretien au Point le 26 juin, Valérie Pécresse prenait les rennes, appelant à voter pour « une droite républicaine et indépendante ». Renvoyant les « deux extrêmes » dans le même camp, elle condamnait aussi le macronisme, qui laissait une France « mal gérée et surendettée ». Après le ni-ni sarkozyste, LR passait donc au ni-ni-ni, avec un entre-deux tours entaché par le maintien de candidats dans certaines circonscriptions où le RN était en tête.
Bilan des courses ? Seulement 7,25 % des voix au premier tour, et 46 députés. Presque anecdotique. « Aujourd’hui, la droite républicaine est éparpillée façon puzzle », reconnaît Valérie Pécresse le 10 juillet. En plus des ciottistes, deux courants se dégagent, pour rajouter à la confusion : porté à la tête du groupe à l’Assemblée, Laurent Wauquiez ne veut « ni coalition, ni compromission ». Même son de cloche pour Bruno Retailleau. LR s’inscrit par ailleurs dans l’opposition, mais tente de s’arranger avec la macronie pour des postes au bureau de l’Assemblée. De son côté, Xavier Bertrand imagine en revanche un « gouvernement d’urgence nationale de rassemblement ». « Il faut un LR à Matignon », lance carrément la sénatrice Marie-Claire Carrère-Gee, déclenchant quelques sourires affligés de la part des observateurs de la chose politique.
Tout sauf la gauche
Pendant ce temps, Emmanuel Macron, autre grand perdant des élections législatives, joue la montre, profitant des désaccords à gauche sur la personne à nommer à Matignon. Le président est à l’étranger, puis en vacances à Brégançon. Lorsque le Nouveau Front populaire se met d’accord sur Lucie Castets, il décide d’une « trêve olympique ». Le nouveau Premier ministre sera nommé « mi-août », puis « avant le 25 août ». Le nom de Xavier Bertrand, capable de faire le lien entre la droite et les macronistes, revient avec insistance. Celui de Bernard Cazeneuve, proposé pour faire imputer au NFP la responsabilité du refus, aussi.
Comme on n’est plus à un rebondissement prêt, c’est Michel Barnier, qui ne « suscite pas d’inquiétudes au RN », qui est choisi le 5 septembre, près de deux mois après les élections. Mais composer son équipe ne s’avère pas évident. Il faut avoir « le parfum d’une cohabitation » tout en respectant le poids réel des forces à l’Assemblée. Surtout, le plus vieux Premier ministre de la Ve République se met vite les macronistes à dos, ouvrant la porte à des hausses d’impôts. Les négociations sont intenses pour chaque poste.
Un gouvernement loin d’être « inclusif »
Le nom de Laurence Garnier est évoqué à la Famille. Mais la sénatrice de Loire-Atlantique est un soutien de longue date de la Manif pour tous, s’est opposée à l’interdiction des thérapies de conversion et à l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Loin, très loin de la France de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, « inclusive » et largement saluée par l’opinion publique. Elle est finalement reversée à la Consommation pour tenter d’éteindre la polémique.
Jusqu’au bout, Michel Barnier tremble. Une rumeur évoque même une démission jeudi, alors que le Modem s’inquiète d’une ligne « trop droitière ». Finalement, le Premier ministre envoie une dernière liste à l’Elysée vendredi soir, qui reçoit le feu vert de la HATVP samedi. Le gouvernement, qui reprend des membres de l’ancienne équipe pour y ajouter des figures inconnues du public, semble aux antipodes du vote des Français lors des élections législatives. Au moins douze ministres (sur 38) ont voté des lois anti-LGBT. Bruno Retailleau, opposé il y a deux mois à une alliance et incarnant l’aile droite de LR, y côtoie Didier Migaud, ancien socialiste et seule figure « divers gauche » de cet attelage baroque. Dans un équilibre si précaire qu’il tient du miracle, LR tient son gouvernement. Inexplicable.