Premier ministre : « Il nous crache à la gueule »… Nommer Michel Barnier, un doigt d’honneur à la jeunesse ?
Barnier, choix éclaté•En optant pour un homme de droite hétéro âgé de 73 ans, Emmanuel Macron a fait un choix qui l’éloigne clairement des millions de jeunesCamille Allain
L'essentiel
- Le choix de nommer un Premier ministre de droite a choqué la gauche. Mais en choisissant un Premier ministre âgé et conservateur, Emmanuel Macron s’est aussi coupé de sa jeunesse.
- Ce samedi, des milliers de personnes ont défilé dans les grandes villes françaises, pour crier leur opposition à ce choix « tout pété ».
- Dans les rues de Rennes, des étudiants, lycéens et ados nous ont confié leurs craintes pour l’avenir.
«Finalement, Gabriel Attal, c’était pas si mal, non ? » Cette question, on a adoré la poser à plusieurs reprises ce samedi. Au milieu de la manifestation organisée à Rennes pour dénoncer la politique d’Emmanuel Macron et son choix de nommer Michel Barnier Premier ministre, la réponse a toujours été la même. Un sourire gêné. Deux jours après avoir choisi un homme hétéro de 73 ans très ancré à droite et qu’aucun Français de moins de 30 ans ne connaissait, Emmanuel Macron a fait un choix. Celui de se couper d’une partie de sa jeunesse. Alors qu’il avait bâti son discours sur le renouveau de la politique et la start-up nation pour se faire élire en 2017, le président de la République a cette fois opté pour un choix très conservateur. Une nomination unanimement critiquée ce samedi par l’ensemble des manifestants que nous avons rencontrés. Pouvait-il faire pire choix pour sa jeunesse ?
« Franchement, à part Bardella, je crois qu’il ne pouvait pas faire pire. » Professeure de 25 ans, Chloé a choisi de défiler armée d’une pancarte sur laquelle on peut lire ceci : « On veut des lesbiennes à Matignon et à Moussages. » Une double référence à la non-nomination de Lucie Castets comme Première ministre et aux menaces subies par une directrice d’école du Cantal en raison de son orientation sexuelle. « Le fait de nommer Michel Barnier, ça me heurte. On va donc être dirigés par un Premier ministre homophobe ? C’est à l’opposé de ce que l’on souhaite. Clairement, on ne va pas pouvoir compter sur ses idées progressistes. » Soyons clairs, dans les rangs des manifestants, le terme d’homophobe est revenu à toutes les sauces. La raison ? Un vote du nouveau Premier ministre en 1981 s’opposant à la dépénalisation de l’homosexualité. Ce jour-là, Michel Barnier et 154 autres députés dont Jacques Chirac et François Fillon avaient souhaité maintenir une majorité sexuelle différenciée en fonction de l’orientation sexuelle. La loi avait finalement été adoptée.
« La vieille France réac dont on ne veut plus »
Celui qui était alors député de Savoie du RPR n’imaginait sans doute pas que ce choix lui reviendrait en pleine face quarante-trois ans plus tard. D’ailleurs, aucune des personnes que nous avons interrogées ne connaissait Michel Barnier avant qu’il ne soit nommé. Son CV l’a vite rattrapé. « Michel Barnier est homophobe. Il fait partie de cette vieille France réac dont on ne veut plus. On a demandé un renouveau dans les urnes et on nous sert ça ? Le côté en marche de la République, il en prend un coup », s’agace Coline. L’étudiante de 20 ans est dépitée. « Pour moi, les thèmes qui concernent la jeunesse, c’est l’écologie, le féminisme et la justice sociale. Michel Barnier, c’est l’antithèse de tout ça. Macron crache à la gueule de la jeunesse », explique la jeune femme, pancarte « Barnier homophobe » en main.
Un peu plus loin, Angela porte le même discours. Âgée de 29 ans, cette militante du Nouveau parti anticapitaliste arbore des boucles d’oreilles « fuck off » pour manifester. « Ça passait bien pour l’occasion », assume-t-elle, amère. « On a remis le sort de ce pays entre les mains des électeurs. Et pour en faire quoi ? La jeunesse s’est mobilisée et a voté en masse en faveur du Nouveau Front populaire. Là, on a juste l’impression que c’est un choix validé par le RN. Genre un vieux raciste comme eux », s’agace la jeune femme.
La jeunesse espérait du renouveau
Dans un sondage réalisé à l’issue du premier tour des législatives, 41 % des électeurs âgés de 18 à 24 ans avaient expliqué avoir voté pour la gauche, 23 % pour le RN, 13 % pour la majorité présidentielle et 8 % pour les Républicains.
Alors quand Emmanuel Macron a choisi de nommer un homme de la droite conservatrice de 73 ans, il ne s’est clairement pas fait des amis chez les moins de 30 ans. Encore moins à Rennes, bastion de la gauche où vivent plus de 70.000 étudiants. « Je ne pense pas que ce soit une question d’âge, poursuit Angela. Mais clairement, c’est difficile de nous faire avaler que c’est un renouveau ». Sous sa pancarte, Samuel, étudiant de 19 ans partage son inquiétude de voir Michel Barnier diriger le pays. « Oui, je suis inquiet parce que la question climatique n’est pas du tout abordée. Et pourtant, il ne nous reste plus beaucoup de temps. Je me demande sincèrement comment les choses vont pouvoir s’améliorer. Les Républicains sont arrivés derniers de ces élections. Et ils vont être au pouvoir ? On pouvait difficilement imaginer pire. »
Et bientôt l’abstention ?
La crainte de bon nombre de jeunes croisés dans les rues de la capitale bretonne, c’est la suite. Pas seulement le pouvoir sous Michel Barnier. Non, l’après. « On s’est mobilisés comme des fous pour inciter des gens à aller voter. Franchement, on a galéré et on a réussi à faire gagner le NFP. Et pour quel résultat ? On nous méprise. Les gens, ils n’iront plus voter. La démocratie, elle ne va pas s’en relever », craint Coline.
« « On nous demande d’aller voter mais on ne respecte pas notre choix. Le peuple a demandé quelqu’un de gauche et on nous colle un vieil homophobe qui s’en fout des étudiants et des précaires. J’avais espoir qu’on puisse changer quelque chose. Là, je suis dépitée », lâche Lucille, 21 ans. »
A ses côtés, son ami Harry partage la même amertume. « C’est un glissement vers la droite et l’extrême droite. Je ne me sens pas du tout représenté, pas du tout entendu. A quoi ça servait de voter ? », interroge le jeune homme.
Après deux heures à marcher dans les rues de Rennes, on n’a pas trouvé un seul soutien à ce pauvre Michel Barnier. Il y en avait sans doute, mais on n’a su les identifier. Et puis, soyons honnêtes. Au-delà d’une jeunesse militante, il y a aussi toute une partie de la France qui s’en balek du nom du Premier ministre. « Je n’avais jamais entendu parler de lui. Mais franchement, je m’en fous. Peu importe le parti qui est au pouvoir, ce pays ne bouge pas », démonte Awen, 20 ans. Assis à regarder le cortège passer, le jeune homme explique qu’il n’a pas voté aux dernières législatives ni aux européennes. « De toute façon, ça ne changera rien. » Quand on voit sur quoi a débouché la dissolution de l’Assemblée nationale voulue par Emmanuel Macron, on se dit qu’il a peut-être un peu raison.