« Joe Biden français », « Monsieur Brexit »… Qui est Michel Barnier, notre nouveau Premier ministre ?
portrait•Emmanuel Macron a nommé, ce jeudi, l’ex-ministre et ancien commissaire européen de droite Michel Barnier, souvent décrit comme le « Joe Biden français » ou « Monsieur Brexit »M.P. avec AFP
Crise politique, 51e jour. Emmanuel Macron a nommé ce jeudi Michel Barnier, 73 ans, à la tête de Matignon. Le plus vieux Premier ministre de la Ve République succède ainsi à Gabriel Attal, 35 ans, qui était lui le plus jeune. L’ex-ministre va devoir tenter de former un gouvernement susceptible de survivre à une censure parlementaire.
Il y a encore quelques mois, pourtant, peu de monde aurait misé un kopeck sur l’ex-commissaire européen pour mettre fin à la plus grave crise politique de la Ve République. Michel Barnier devra désormais user de toutes ses qualités diplomatiques pour diriger un gouvernement minoritaire à l’Assemblée et tenter de devenir enfin prophète en son pays.
« Barnier, c’est le candidat du cœur »
« C’est un homme d’Etat. Un homme de consensus et de négociation comme il l’a prouvé lors des négociations du Brexit, ce qui est indispensable dans la période que nous connaissons », a d’emblée affirmé le député LR Vincent Jeanbrun, persuadé qu’il parviendra à rassembler « bien au-delà de son camp ». « C’est l’une des rares personnalités politiques à pouvoir afficher une expérience solide aux échelons à la fois territorial, national et européen », s’est, de son côté, réjouit la sénatrice LR Agnès Evren, qui évoque une « méthode Barnier » qui « allie respect de son interlocuteur et solidité des convictions ».
« Barnier, c’est le candidat du cœur. Il faut qu’il devienne aussi le choix de la raison en augmentant sa notoriété auprès des Français car les militants veulent avant tout sortir Macron de l’Elysée », reconnaissait en 2021 Daniel Fasquelle, alors maire LR du Touquet et conseiller politique. Michel Barnier était alors l’un des six candidats pour représenter la droite à la présidentielle de 2022.
Pour dynamiser sa campagne, il avait étrillé le président de la République et joué la carte de l’apaisement : « je veux être le président de la réconciliation des Français. » D’ailleurs, à l’époque, son camp a toujours loué l’expérience internationale et gouvernementale de l’ex-élu savoyard de 73 ans, plusieurs fois ministre. « Après cinq ans, Emmanuel Macron laisse une société fracturée. Barnier, c’est le Joe Biden français. Comme dans l’Amérique post-Trump, il y a un besoin de rassemblement », assurait alors Daniel Fasquelle.
Michel Barnier finira par mordre la poussière dès le premier tour des primaires de LR pour désigner l’homme de 2022, n’étant pas parvenu à convaincre les militants qui lui ont préféré Valérie Pécresse.
« Beaucoup à dire sur ses accointances avec Macron »
Ses soutiens le peignaient jusqu'ici en anti-Macron, ses adversaires dénonçaient ses revirements idéologiques, sur l’immigration ou sur la remise en cause de la justice européenne. « Il souhaite apparaître comme celui qui lave plus blanc que blanc à droite, mais il y aurait beaucoup à dire sur ses accointances avec Macron », répliquait fin 2021 un député proche de Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France.
Mais Michel Barnier n’est pas que le « Joe Biden Français », c’est aussi « Monsieur Brexit ». C’est lui qui a négocié avec succès les conditions du Brexit. Applaudi à Bruxelles pour ses qualités de négociateur, au point que son nom avait circulé pour succéder à Jean-Claude Juncker en 2019 à la tête de la Commission européenne, le Savoyard s’est forgé une réputation de « pragmatique ».
« Tout ce que les Français ne veulent pas »
Autant de qualités qui ont séduit Emmanuel Macron, à la recherche d’une personnalité capable de déjouer une majorité de censure à l’Assemblée, mais qui ont pour l’instant été plus applaudies à Bruxelles qu’en France et même dans sa famille politique des Républicains. Il représente « tout ce que les Français ne veulent pas. Il est stratosphérique, déconnecté et il continuera ou finira de tuer la droite », déplore un parlementaire LR.
Une droite que le septuagénaire connait bien. Vieux loup de la politique française, Michel Barnier est entré en politique en 1973. Une longue carrière qui a fait dire, ce jeudi matin, au député RN Jean-Philippe Tanguy qu’il est « fossilisé de la vie politique ». Des décennies à arpenter les allées du pouvoir, à Paris comme à Bruxelles, où cet homme à la chevelure blanchie s’est forgé la réputation d’écouter, argumenter et de chercher à convaincre. « Derrière un air lisse se cache une personnalité torturée. C’est un inquiet et il a besoin d’être conseillé. Il tire sa force d’une équipe de collaborateurs en qui il a une totale confiance », explique un de ses proches.
De Jean-Claude Killy à Florence Aubenas
Michel Barnier, qui a plaidé pour un « moratoire » de trois à cinq ans sur l’immigration et voté contre la dépénalisattion de l’homosexualité en 1981, a siégé dans plusieurs gouvernements de droite en France dans les années 1990 et 2000, avec des portefeuilles variés (Affaires européennes, Environnement, Agriculture, Affaires étrangères, etc), a été commissaire européen à deux reprises, chargé des Politiques régionales et du Cadre financier (1999-2004), puis responsable du Marché intérieur et des Services (2009-2014).
Tout savoir sur Michel BarnierMarié et père de trois enfants, Michel Barnier rappelle aussi volontiers qu’il est un « montagnard », manière de transformer en atout ce qui, en France, peut constituer un handicap : ne pas faire partie du sérail parisien et ne pas sortir de l’ENA mais, dans son cas, de l’Ecole supérieure de commerce de Paris. A Bruxelles, dans son bureau, il montrait volontiers à ses visiteurs une photo où il pose aux côtés du triple champion olympique de ski Jean-Claude Killy, avec qui il a mené à bien l’organisation des Jeux olympiques d’hiver 1992 dans sa ville d’Albertville.
Une autre le montrait lors de la libération de la journaliste Florence Aubenas, otage en Irak, obtenue alors qu’il dirigeait le Quai d’Orsay.