Elections européennes 2024 : Une Europe dominée par l’extrême droite, ça ressemblerait à quoi ?
Hypothèse•L’extrême droite est favorite en France et déjà au pouvoir ailleurs, mais peut-elle gagner le 9 juin ?Xavier Regnier
L'essentiel
- Le RN est donné largement en tête dans les sondages pour les élections européennes en France, et l’extrême droite est également en position de force dans d’autres pays comme l’Italie. Assez pour être majoritaire au Parlement européen ?
- « Une victoire des droites radicales est possible », estime Benjamin Tainturier auprès de « 20 Minutes ». Mais gouverner passera par des alliances et des accords entre des partis qui ont « des agendas différents ».
- Le rapport à la Russie, l’économie et même l’approche migratoire pourraient être des points bloquants, tandis que le RN et l’AfD ont brisé leur alliance.
Ce n’est plus une surprise ni un épiphénomène : l’extrême droite est largement favorite des élections européennes en France, avec le RN crédité d’environ 30 % des intentions de vote. Les Français envoyant le deuxième plus gros contingent de députés au Parlement européen, la possibilité de voir un important groupe d’extrême droite à Strasbourg prend de l’épaisseur. D’autant plus qu’ailleurs en Europe, cette partie de l’échiquier politique a aussi le vent en poupe.
A moins de trois semaines des élections, 20 Minutes s’interroge. Quels pays pourraient, eux aussi, envoyer de nombreux députés d’extrême droite au Parlement européen ? Une victoire de l’extrême droite à l’échelle européenne est-elle alors possible ? Et à quoi ressemblerait une UE dominée par des droites radicales traditionnellement europhobes ?
Dans quels pays l’extrême droite est-elle en position de force ?
« Il y a des droites radicales un peu partout », résumé d’emblée Benjamin Tainturier, doctorant au Medialab de Sciences po. En Italie, le parti post-fasciste Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni est au pouvoir. Idem aux Pays-Bas, où le Parti de la liberté de Geert Wilders vient de trouver un accord de coalition pour gouverner. Chez le voisin belge, « le Vlaams Belang se renforce par rapport à l’élection précédente », et est parfois donné en tête, indique Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie de l’Institut Français de Géopolitique et chercheuse associée à l’IAE de Poitiers.
Au Portugal, le parti antisystème Chega a réalisé une percée aux dernières élections législatives, devenant la troisième force politique d’un pays longtemps « immunisé » contre l’extrême droite. « Sans parler de l’Europe de l’Est, où c’est moins nouveau avec Droit et Justice en Pologne, la Hongrie de Viktor Orban… », ajoute Benjamin Tainturier.
Toutefois, « il existe des exceptions comme Malte, Chypre, l’Irlande, le Luxembourg », où l’extrême droite est marginale, note Anaïs Voy-Gillis. Mais ces pays pèsent peu à Strasbourg. Reste le cas de l’Espagne, où « Vox a essuyé un revers important aux législatives car ils ont été incapables de se mettre d’accord avec le PP », souligne Benjamin Tainturier. L’entrée en campagne du parti a tout de même été « suivie par Marine Le Pen, Viktor Orban et des personnalités du Likoud », le parti de Benyamin Netanyahou en Israël, et s’est faite en présence de Javier Milei, le président argentin antisystème.
Enfin, l’AfD est régulièrement citée comme deuxième ou troisième force en Allemagne, mais sa campagne est perturbée. Le parti a sanctionné sa tête de liste, Maximilian Krah, qui a récemment estimé qu’un SS n’était « pas automatiquement un criminel », ce qui a conduit le RN à rompre l’alliance entre les deux partis.
Une victoire de l’extrême droite à l’échelle de l’UE est-elle possible ?
Au vu de ces dynamiques, « évidemment, une victoire des droites radicales est possible », estime Benjamin Tainturier. Anaïs Voy-Gillis fait les comptes : « les Conservateurs et Réformistes européens (CRE) avaient 68 députés dans 18 pays, ils pourraient monter entre 80 et 85. De son côté, Identité et démocratie (ID) avait 59 députés de 6 pays, ils pourraient être entre 80 et 90 demain ». Ajoutons le Fidesz de Viktor Orban, dont les 12 élus actuels font partie du groupe des non-inscrits. Une forte poussée donc, mais loin de la majorité absolue, établie à 353 sièges. « L’enjeu, c’est le rapprochement avec le PPE [actuellement le premier parti au Parlement, de centre-droit », analyse la géographe et géopolitologue.
« Mais la grosse question, c’est la fragmentation des droites radicales sur deux aspects : le rapport à la Russie et l’économie », pointe Benjamin Tainturier. Du côté d’Identité et démocratie, le RN de Marine Le Pen se montre ainsi très réservé sur le soutien à l’Ukraine, quand Giorgia Meloni, dont le parti est membre du CRE, est fermement engagée aux côtés de Kiev. Le même CRE, « plus libéral-conservateur et atlantiste plus affirmé », est aussi vu comme « plus fréquentable ».
« Le RN a rompu avec l’AfD, c’est un point important », reprend Benjamin Tainturier. L’AfD a d’ailleurs été exclu du groupe ID ce jeudi. « Le RN doit son succès à sa normalisation, et se désolidariser de l’AfD, c’est encore une démonstration en ce sens », selon lui. Il pointe aussi « une division claire entre l’agenda national et l’agenda européen des partis », qui « pose question sur leur capacité à travailler ensemble ». L’avenir du groupe ID s’en trouve remis en question : « il faut des élus de minimum six pays pour former un groupe », rappelle-t-il. D’autant plus que l’ex-patronne du RN et la Première ministre italienne ont récemment esquissé un rapprochement à venir.
Une Europe dominée par des partis qui la rejettent, ça donnerait quoi ?
Admettons un instant que les partis d’extrême droite, ID et CRE unis, l’emportent le 9 juin et occupent assez de sièges pour au moins mener une coalition. Que deviendrait alors l’UE avec des partis parfois europhobes à sa tête ? Anaïs Voy-Gillis anticipe des changements de direction « sur le green deal, mais aussi sur des politiques communes comme la concurrence et l’immigration ». Loin de signifier la fin de l’Europe, une victoire des droites radicales serait plutôt synonyme d’une UE repliée sur elle-même, retranchée derrière ses frontières.
Le premier changement serait « dans les éléments de langage, sur la définition de l’Europe », estime Benjamin Tainturier. En cas de succès, plus question de « viser l’Europe de Bruxelles » ou de parler de quitter l’UE ; l’idée sera de « proposer une autre Europe, mettre l’accent sur les racines chrétiennes et se présenter comme un berceau de civilisation ». Un discours déjà porté par Eric Zemmour et d’autres, qui veulent « passer d’un idéal de cosmopolitisme à une forme de régionalisme ». En ce sens, « l’AfD porte déjà un projet de remigration, qu’Eric Zemmour pourrait aussi porter » mais pas le RN, selon l’expert.
La priorité de cette extrême droite européenne au pouvoir serait plus globalement « d’assurer une souveraineté régionale et de défendre l’idée que l’Europe doit être un acteur politique de premier plan ». Pas si europhobes que ça, donc.