Déficit : L’indéboulonnable Bruno Le Maire est-il en danger ?
GOUVERNEMENT•La hausse du déficit public a suscité des tensions entre le ministre de l’Economie et Emmanuel MacronThibaut Le Gal
L'essentiel
- Bercy a annoncé mercredi une prévision de déficit public de 5,1 % du PIB pour l’année 2024, obligeant le gouvernement à trouver 10 milliards d’euros d’économie supplémentaires.
- Un dérapage des comptes publics qui fragilise le statut d’indéboulonnable de Bruno Le Maire, en poste depuis sept ans à Bercy.
- Le ministre de l’Economie cultive ses ambitions pour la présidentielle 2027, ce qui suscite aussi des tensions avec Emmanuel Macron.
Avis de tempête au sommet de l’Etat : l’envolée des finances publiques plombe les relations entre Emmanuel Macron et Bruno Le Maire. Bercy prévoit désormais un déficit de 5,1 % du PIB pour l’année 2024, obligeant le gouvernement à trouver 10 milliards d’euros supplémentaires d’économie (20 en tout) pour espérer repasser sous la barre des 3 % à la fin du quinquennat.
Un dérapage qui fragilise le statut de l’indéboulonnable ministre de l’Economie et des Finances. Lequel ne manque pas de cultiver ses ambitions pour 2027, au grand dam de l’Elysée.
« Macron recadre rarement ses ministres »
Sans demander rien à personne, Bercy avait évoqué le week-end dernier l’idée de mettre en place un projet de loi de finances rectificative (PLFR), afin de rétablir la trajectoire économique. Cette piste, dangereuse pour l’exécutif car elle ouvre la voie à une motion de censure, n’a pas été du goût d’Emmanuel Macron. Le président de la République est venu le dire en personne à une réunion de la majorité lundi. « Si on commence à péter la confiance, c’est fini. Il n’y a rien de plus dur à gagner, a-t-il lancé. Il ne faut pas que ça soit la foire à la saucisse. Il faut le calme des vieilles troupes ».
Une manière de tempérer les propos alarmistes de son ministre sur l’état des finances publiques ces derniers mois. « Macron recadre rarement ses ministres. Peut-être qu’il a senti que c’était dangereux pour les européennes. On ne gagne pas une campagne en faisant peur aux Français », souffle un cadre de la majorité.
L’Elysée a aussi été irrité par l’offensive médiatique accompagnant la sortie d’un énième livre – quasi-programmatique – de Bruno Le Maire, La Voie française (Éd. Flammarion), il y a un mois. L’ouvrage, qui prône notamment une réforme du modèle social français, a été écrit et publié… dans le secret de l’exécutif. « Il a raison sur la relance économique et les réformes. Il devrait en parler à celui qui est ministre de l’Économie depuis sept ans », a raillé Emmanuel Macron, selon des propos rapportés par le Canard enchaîné. Des piques savamment distillées dans la presse pour affaiblir le locataire de Bercy.
Faire sauter le « fusible » Le Maire ?
L’opposition, de la gauche au RN, s’est engouffrée dans la brèche, dénonçant « le bilan épouvantable » de l’intéressé et appelant à sa démission. Suffisant pour fragiliser sa position au gouvernement ? « Faire sauter le fusible Le Maire est une possibilité », confie une cadre de la majorité, qui s’étonne des critiques répétées d’Emmanuel Macron.
« Le président n’aime pas qu’on le mette en péril. Mais il voudrait faire porter le poids de la dette à Le Maire parce qu’il écrit des livres et qu’il les écrit bien ? », balaie en souriant un élu Renaissance proche des deux hommes. « Le ''quoi qu’il en coûte'', le bouclier énergie, le doublement du budget de la Justice, ce n’est pas le choix du ministre, qui a d’ailleurs toujours été loyal », évacue-t-il. « On a parfois l’impression que Bruno Le Maire suit son agenda personnel. Mais il ne faut pas en faire un bouc émissaire pour autant, il n’est pas responsable de la dette », abonde un député MoDem.
Une visite qui sent la poudre
Après plusieurs jours de tensions, l’heure serait désormais à l’apaisement. « Il y a eu un désaccord, une explication a eu lieu. Ma position n’a pas été retenue, dont acte. Il faut maintenant faire bloc », a glissé Bruno Le Maire aux cadres de la majorité, réunis pour le traditionnel petit-déjeuner à Matignon mercredi, nous rapporte l’un des participants.
Le ministre accompagnait ce jeudi le chef de l’Etat lors d’une visite d’usine à Bergerac (Dordogne). Ce dernier a rappelé qu’il excluait toute nouvelle hausse d’impôts, cette « maladie française », l’un des mantras du locataire de Bercy. Preuve de l’entente cordiale entre le président et son ministre ? Méfiance car fin avril, plusieurs agences de notation pourraient abaisser la note de la France à quelques semaines de périlleuses élections européennes. De quoi faire remonter les tensions dans le camp présidentiel. Le déplacement de ce jeudi – une usine de poudre pour obus – prendrait alors une tout autre symbolique.
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