Extrême droiteQu’y a-t-il derrière Academia Christiana, l’asso catho traditionaliste ?

Qu’y a-t-il derrière Academia Christiana, le mouvement catholique traditionaliste que veut dissoudre Darmanin ?

Extrême droiteFondée en 2013, l’association est au « confluent du catholicisme traditionaliste et des idées identitaires », souligne le politologue Jean-Yves Camus
Emilie Jehanno

Emilie Jehanno

L'essentiel

  • «Paisible » association catholique ou groupe qui « légitime de façon récurrente la violence physique et le recours aux armes » ? Academia Christiana mobilise ses réseaux depuis l’annonce de la proposition de dissolution par Gérald Darmanin le 10 décembre.
  • Jean-Yves Camus, chercheur rattaché à l’Institut des relations internationales et stratégiques, analyse les positions publiques de l’association, fondée en 2013.

Edit du 12 décembre à 16h30 : Nous avons ajouté l’information sur la plainte pour diffamation déposée par Academia Christiana contre Gérald Darmanin.

Academia Christiana, une « paisible association de catholiques » ? Voilà en substance le message qu’ont répété sur les réseaux sociaux ses soutiens d’extrême droite. Gérald Darmanin en dresse un tout autre portrait, en paraissant confondre certains faits. L’association apporterait « un très grand soutien à la collaboration du maréchal Pétain », a déclaré le ministre de l’Intérieur sur CNews ce 11 décembre.

Et aurait « fait l’apologie de l’antisémitisme avec des personnes qui considéraient que les juifs n’étaient pas des hommes comme les autres » lors de son université d’été. Sauf que, si l’événement organisé par Academia Christiana avait fait parler de lui en raison de militants fichés S, il n’y a pas eu d’articles concernant des propos antisémites. Il s’agit là de l’université d’été de Civitas (association dissoute en octobre), où des propos antisémites ont été tenus a rapporté France Bleu Mayenne. Pour cette confusion, Academia Christiana a déposé plainte pour diffamation auprès de la Cour de justice de la République, a annoncé leur avocat maître Frédéric Pichon sur X, ce mardi 12 décembre.

« Catholicisme traditionaliste et idées identitaires »

Le 10 décembre, le ministre de l’Intérieur avait annoncé sur Brut que « les éléments » soutenant la dissolution du mouvement seraient présentés en Conseil des ministres prochainement. Le groupe « légitime de façon récurrente la violence physique et le recours aux armes », a précisé à l’AFP une source proche du dossier. En réaction à l’annonce de la dissolution, Academia Christiana a accusé l’exécutif de chercher à « interdire toute pensée ou réflexion en dehors de l’idéologie laïciste et matérialiste » dans un communiqué et a rejeté les accusations du ministre, qualifiées « de faits imaginaires ».

Fondé en 2013 par des jeunes proches de la mouvance identitaire, Academia Christiana se présente comme un institut de formation « intégrale », à la fois « spirituelle, morale, intellectuelle et sportive ». Elle affirme « défendre le Vrai, le Beau et le Bien ». L’association est « au confluent du catholicisme traditionaliste et des idées identitaires, indique Jean-Yves Camus, chercheur rattaché à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et codirecteur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès. Depuis 2013 et la fin de la Manif pour tous, une sorte de jonction s’est opérée entre une partie du courant identitaire et des jeunes qui sont principalement animés par le catholicisme traditionnel en tant que foi. Ça, c’est une relative nouveauté. »

Une université d’été surveillée

L’organisation est présidée par Victor Aubert, professeur de français et philosophie à l’Institut Croix des Vents à Sées (Orne), un établissement scolaire privé hors contrat dirigé par la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, institut traditionaliste reconnu par Rome. Parmi ses membres, on retrouve Julien Langella, qui en est le vice-président, et avait co-fondé Génération Identitaire, groupuscule d’extrême droite dissous en 2021. Comme le relève Libération, l’association recommande dans sa bibliographie des ouvrages antisémites, comme ceux de l’antimaçonnique Jacques Ploncard d’Assac ou de monseigneur Delassus.

Ce n’est pas la première fois que l’association, surveillée par les services de renseignements, est dans l’actualité. En août, son université d’été s’est tenue près d’Angers en présence de plusieurs militants fichés S et connus pour des violences, comme le rapportait France 3. Ces rencontres, qui ont rassemblé environ 400 personnes, sont devenues un « carrefour », où se succèdent à la tribune des intervenants d’à peu près toutes les chapelles des droites radicales, « ce qui est assez rare », note Jean-Yves Camus.

« Le meilleur régime, c’était Vichy »

Une enquête en caméra cachée diffusée dans le JT de « 20 Heures » de France 2 en février 2022 rappelle aussi que plusieurs membres d’Academia Christiana sont fichés S en raison de leur radicalité. Lors d’une réunion dans un bar, la journaliste a rencontré un participant qui lui soutient que « le meilleur régime politique qu’on ait eu en France au XXe siècle, c’était Vichy, nonobstant les lois anti-juives et la collaboration ». Il reconnaît ensuite que des personnes sont antisémites à Academia Christiana, « mais pas la majorité ». En réponse, Victor Auber, président de l’association indique qu’Academia Christiana est « un institut de formation qui n’appelle à aucune lutte armée et est étranger à toute obsession sur les Juifs ».

Son Programme politique d’une génération dans l’orage, publié en 2022, est « un programme catholique et identitaire, assez classique », explique Jean-Yves Camus. Il décline des propositions sur la culture, la mémoire, le localisme, l’identité avec la question de la remigration, la politique sociale, la sécurité, les institutions, la famille (l’association défend des positions anti-IVG et a participé aux « marches pour la vie »), etc. « Rien ne distingue ce programme dans la virulence des propos du reste de la production et de la mouvance des droites radicales », estime le chercheur, qui pointe que c’est plutôt logique pour un livre destiné à être vendu. Les prêtres traditionalistes, avec qui elles travaillent, « restent dans l’obéissance à Rome et au Vatican », poursuit-il.

Une bataille judiciaire en perspective

Concernant l’emploi du terme « croisade » lors d’événements fermés, le chercheur reste prudent. « La croisade étant bien évidemment, quand on regarde l’histoire, une expédition à objectif spirituel, mais qui utilise assez largement la violence dirigée contre les musulmans. L’emploi de ce terme recouvre-t-il une réalité qui met en danger les institutions ou qui voit un certain nombre de militants de l’association échafauder des projets violents ? Je suis incapable de vous le dire. »

Est-ce suffisant pour une dissolution ? L’association la rejette en bloc et répète la faiblesse du dossier du ministre. Elle indique qu’elle ira « devant les tribunaux » pour contester cette dissolution « absurde ».