Projet de loi immigration : Un compromis au Sénat fait l’affaire du gouvernement… temporairement
ACCORD•Le durcissement du texte du gouvernement par la droite sénatoriale semble faire l’affaire de Gérald Darmanin, mais devra convaincre la majorité à l’Assemblée nationaleRachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- Le projet de loi immigration, porté par Gérald Darmanin, est discuté au Sénat depuis lundi.
- Malgré l’opposition frontale des LR, les centristes ont réussi à forger un compromis avec la droite sur la mesure de régularisation des travailleurs sans papiers dans les secteurs en tension.
- Le gouvernement assure en être satisfait, aux grands dams de LR. Mais il devra convaincre sa propre majorité à l’Assemblée.
C’est un nouveau rebondissement dans le cheminement parlementaire déjà long du projet de loi (PJL) immigration du gouvernement : Les Républicains (LR), vent debout contre le projet, ont trouvé un accord sur la base d’un compromis avec les centristes du Sénat sur les régularisations des travailleurs et travailleuses sans papiers dans les métiers en tension. LR trouvait le projet trop laxiste, notamment cette mesure, dans l’article 3, et ne voulait pas entendre parler de régularisations, en aucune manière. Mais LR n’a pas la majorité seul au Sénat, la majorité à la chambre haute comprend aussi les centristes qui eux sont en faveur de la mesure.
De quoi s’agit-il ? Les possibilités de régulation de personnes en situation irrégulière par le travail sont drastiquement réduites par rapport au projet du gouvernement, mais aussi par rapport à la situation actuelle. Cependant, la possibilité existe quand même, en gravant dans la loi qu’il s’agit d’une décision discrétionnaire des préfets. Chez les centristes, on insiste sur le fait que cette possibilité de régularisation est sauvée et simplifiée puisque l’autorisation de l’employeur n’est plus nécessaire. Chez les LR, on insiste sur le fait que cette mesure revient à durcir le droit actuel. Le gouvernement s’est empressé de s’engouffrer dans la brèche. Gérald Darmanin s’est « félicité » de cet accord. Olivier Dussopt, le ministre du Travail, a même dit sur Public Sénat qu’il pensait que le camp présidentiel pourrait soutenir cette réécriture du fameux article 3.
Vrai et faux vainqueur
Soucieux d’apparaître comme le vainqueur dans une bataille très technique et où il n’est pas facile de compter les points, Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat, a voulu reprendre Olivier Dussopt sur Twitter : « Ce que vous dites est faux monsieur le ministre, et vous le savez très bien : votre projet, c’était de rendre automatique la régularisation des clandestins qui travaillent. Notre texte interdit cette automaticité et durcit considérablement les critères de régularisation au cas par cas (…). »
Gérald Darmanin, qui avait plutôt caressé dans le sens du poil les sénateurs LR jusque-là, a poursuivi avec brio, il faut le reconnaître, la controverse dans l’hémicycle. Il a assuré que le compromis trouvé était « acceptable pour le gouvernement même s’il faudra sans doute réécrire certaines expressions à l’Assemblée qui vont plus loin que ne le voulait le gouvernement ». Sous entendu : dans la précipitation de la rédaction, LR s’est montré plus généreux que prévu. « Vous ne manquez pas d’air ! Vous avez du culot ! Mais en politique c’est souvent une qualité, je le reconnais », lui a répondu un Bruno Retailleau qui se gondolait un peu trop sur son fauteuil pendant la prise de parole du ministre pour avoir l’air totalement à l’aise.
La gauche s’en remet à Renaissance
Car ce qui est certain, c’est que cet accord facilite au moins temporairement la vie du gouvernement. Il ouvre la voie à un vote de la PJL immigration par le Sénat dans une version que les LR de l’Assemblée nationale auront du mal à refuser. Et donc à une commission mixte paritaire (réunion de six sénateurs et sénatrices et six députés et députées pour se mettre, ou pas d’accord, après lecture dans chaque chambre) en fin de course, où LR, majoritaire dans l’instance, serait tenu par son accord sénatorial. La perspective d’un article 49.3 sur le PJL immigration, refusée par Gérald Darmanin, s’éloignerait donc ?
C’est temporaire. Il faut encore que le gouvernement fasse avaler la couleuvre à l’aile gauche de la majorité et au président de la commission des lois de l’Assemblée, Sacha Houlié, qui tient dur comme fer à l’article 3 d’origine. Ceux-là mêmes qui ont signé, en septembre, une tribune dans Libération avec une partie de la gauche pour mettre la pression sur un gouvernement qui a parfois vacillé dans sa volonté de conserver « l’équilibre » d’un texte « méchant avec les méchants, gentil avec les gentils », pour reprendre la formule de Gérald Darmanin et Olivier Dussopt lors de la présentation du texte, il y a déjà un an.
La gauche, qui n’a jamais fait miroitier un vote du texte même si l’article 3 était conservé, a eu des mots très durs contre la réécriture du fameux article. « C’est une darmanisation du projet de loi, une recomposition de la droite autour de Gérald Darmanin ! », a tonné Patrick Kanner, le président du groupe socialiste. « Le gouvernement préfère perdre l’honneur pour garder une loi que de perdre un vote et garder la face », pour l’écologiste Mélanie Vogel. Au-delà de la question de l’article 3, les sénateurs et sénatrices de gauche dénoncent le durcissement global du texte, « un musée des horreurs » disent certains, notamment avec la suppression de l’aide médicale d’Etat. « On parle souvent de la modération du Sénat… mais sur l’immigration, les LR ont la bave aux lèvres », constate un socialiste. Lors d’un point presse, les socialistes en ont appelé aux députés et députées Renaissance : « On leur souhaite beaucoup de courage », a lancé sénatrice Corinne Narassiguin.
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