Pourquoi Emmanuel Macron est en Corse (et pourquoi c’est important)
puliticu•Au menu de ce déplacement du président, une commémoration des 80 ans de la libération de la Corse et, surtout, un discours à l’Assemblée exécutive corse ce jeudi où des annonces sur le statut constitutionnel de la Corse sont espérées
Alexandre Vella
L'essentiel
- Emmanuel Macron est en Corse jusqu’à jeudi soir. En plus des commémorations des 80 ans de la libération de la Corse, le président est très attendu sur la « question corse » de l’autonomie.
- En juillet, les élus de l’assemblée corse ont voté un texte qui doit servir de base de travail avec l’Etat pour engager « le processus historique vers l’autonomie ».
- 20 Minutes fait le point sur cette visite très attendue.
A la suite de son ministre de l’Intérieur, qui s’est rendu en Corse les 13 et 14 septembre, Emmanuel Macron est attendu ce mercredi soir sur l’île de Beauté. Au menu de ce déplacement de deux jours, une commémoration des 80 ans de la libération de la Corse et, surtout, un très attendu discours à l’assemblée exécutive corse ce jeudi matin, où des annonces sur le statut constitutionnel de l’île sont espérées. Pourquoi cette visite est importante ? En quoi ce projet de nouveau statut constitutionnel divise les élus ? 20 Minutes fait le point pour vous « la question corse ».
Macron en Corse, pour quoi faire ?
Il s’agit de la quatrième visite du président Emmanuel Macron en Corse depuis son élection en 2017. Son premier déplacement avait eu lieu en février 2018, à l’occasion de la commémoration du vingtième anniversaire de l’assassinat du préfet Claude Erignac. Le président avait remis le couvert en avril 2019 pour y conclure son « grand débat » lancé après les manifs des « gilets jaunes ». Enfin, Emmanuel Macron y est venu pour la dernière fois en septembre 2020, dans le cadre du sommet Med7, groupe informel réunissant sept pays méditerranéens du sud de l’Union européenne. Pour son premier déplacement en Corse depuis sa réélection, Emmanuel Macron revient donc sur l’un de ses terrains favoris : celui des commémorations, alors que l’île célèbre les 80 ans de sa libération en 1943.
Mais si ce déplacement est particulièrement attendu, ce n’est pas pour le seul devoir de mémoire. Certes, il faut se remémorer l’histoire passée mais il faut toujours écrire celle à venir, soit l’éventuelle évolution du statut de la Corse vers plus « d’autonomie ».
Retour vers le futur
Si les velléités d’indépendance portée depuis les années 1970 notamment par le FLNC semblent avoir fait long feu, la « question Corse » est revenue brutalement sur la table dans la foulée de l’agression d’Yvan Colonna à la prison d’Arles provoquant des scènes d’émeutes en Corse en mars 2022. Rendu sur l’île pour éteindre l’incendie social et ouvrir des discussions, Gérald Darmanin avait annoncé dans une interview à Corse-Matin être « prêt à aller jusqu’à l’autonomie ».
Mais encore fallait-il en définir le périmètre. Pour ce faire, le ministre de l’Intérieur à multiplier les déplacements en Corse (six depuis 2017, dont quatre depuis cette annonce). C’est également Gérald Darmanin qui a présidé les cycles de discussions avec les élus corses organisés à Paris en juillet et septembre 2022 et en février 2023. Des discussions un temps suspendues par l’incarcération en décembre 2022 du leader nationaliste Charles Pieri, (ancien cadre du parti Corsica Libera) mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste ».
La conclusion de ces échanges semble avoir été trouvée le 4 juillet dernier, avec l’adoption par l’assemblée exécutive Corse (46 voix sur 63 élus) d’un texte, baptisé « Autonomia » cadrant le périmètre et le processus souhaité de cette « autonomie ». Ce texte est maintenant entre les mains du gouvernement.
Alors, « autonomie », de quoi parle-t-on ?
Dans l’immédiat, ce texte de 16 pages liste différentes compétences qu’il serait possible de transférer « dès l’entrée en vigueur du statut d’autonomie à la collectivité autonome de Corse », et notamment « le pouvoir de modifier, de réglementer la totalité des impôts et des taxes » ou encore « l’organisation politique et administrative de la Collectivité autonome ». Une seconde liste fait état des compétences qui « pourront s’ajouter » de façon progressive, où l’on retrouve l’épineuse question de la langue (lire point suivant). En somme, seuls sont exclus de ces compétences, l’ensemble des pouvoirs régaliens (justice, défense et sécurité intérieure, monnaie).
Dans son article 3 du chapitre Ier, ce texte énonce « l’objectif historique de reconnaissance » du peuple corse. Cela passe, d’après l’Assemblée corse, par un statut de « de coofficialité de la langue corse », qui pourrait dès lors être employé dans les textes juridiques. Egalement, le texte propose de « constitutionnaliser le lien entre les Corses et leur terre (…) ouvrant par exemple la voie juridique à la mise en œuvre d’un statut de résident ».
Ces deux derniers points pourraient être de sérieux points d’achoppements des discussions engagées depuis maintenant dix-huit mois. Dès 2018, lors d’une visite en Corse, Emmanuel Macron s’était dit opposé à l’idée d’une coofficialité, y préférant le bilinguisme. Il avait également prévenu qu’il n’accepterait « jamais de réserver à celui qui parle corse tel ou tel emploi », déclaration qui vise expressément le statut de résident. Deux « lignes rouges » qui ne semblent pas avoir évolué du côté de l’Etat et qui seront à n’en pas douter sources de discussions difficiles. Et si l’Etat a ses « lignes rouges », ce texte n’emporte pas non plus l’adhésion de tous les élus et politiques corses.
Pourquoi cela divise les élus corses ?
Voté avec 46 voix pour, « Autonomia » a été rejeté par les 16 élus du groupe Un Soffiu Novu, classé à droite et qui avait présenté un texte concurrent. Un rejet motivé, notamment, par leur opposition à l’autonomie fiscale, et surtout par « un principe de réalité politique », explique le président du groupe à Corse Net info : un texte de nature constitutionnelle doit emporter l’adhésion de 3/5e des parlementaires (ou passer par un référendum). Une majorité dont ne dispose pas le président de la République, notamment au sénat, dominé par Les Républicains (LR).
A gauche, c’est la seule représentante de Corsica Libéra, Josepha Giacometti-Piredda, qui s’est finalement abstenue car ce texte respecterait trop les lignes rouges instaurées par le gouvernement, d’après France 3 Corse. Au final, l’adoption de ce texte et la faible opposition rencontrée dans l’assemblée corse s’expliquent par la liquidation aux dernières élections régionales de l’essentiel des élus nationalistes de Corsica Libera, qui était 13 lors de la précédente mandature. Petr’Antone Tomasi, le leader de ce parti politique avait tiré à boulets rouges près d’un mois après le vote de ce texte au cours des Ghjurnate internaziunale (Journées internationales) à Corte, jugeant qu’il ne s’agit en l’état que d’une « décentralisation améliorée, d’une autonomie au rabais ».
À lire aussi