Présidentielle : Mais pourquoi donc 2027 les rend-il déjà toutes et tous fous ?
marathon•La prochaine élection présidentielle est dans plus de trois ans et demi, mais elle occupe déjà largement le personnel politiqueRachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- Il est rare, pour ne pas dire inédit, de voir une telle ébullition concernant une élection présidentielle qui n’aura lieu que dans… plus de trois ans et demi.
- L’impossibilité pour Emmanuel Macron de se représenter change la donne.
- Le paysage politique où, depuis le grand big bang de 2017, tout est en ruines, sauf l’extrême droite, aussi.
On ne vous apprend rien si on vous dit que dans les institutions françaises, l’élection présidentielle est la plus importante. C’est encore plus vrai depuis la réforme du quinquennat et la concordante du calendrier avec les élections législatives, depuis 2002. Pourtant, en cette rentrée 2023, à environ 1.300 jours de la date probable du premier tour de la prochaine présidentielle, on a l’impression que les manœuvres – on n’ose dire les grandes – sont déjà lancées. A gauche, où Fabien Roussel se place et où Jean-Luc Mélenchon refuse toute idée de primaire. Mais plus encore au centre-droit, avec l’activisme d’Edouard Philippe et de Gérald Darmanin, Bruno Le Maire pas si loin, et Laurent Wauquiez plus à droite, bien que plus discret. Ou encore à l’extrême droite, avec Marine Le Pen déjà dans les starting-blocks.
C’est tôt. Bien entendu, 2027 n’est pas encore dans l’esprit des électeurs et électrices, elle ne le sera que dans les tout derniers mois. Mais même pour celles et ceux qui suivent la politique de plus près, c’est très tôt. Le seul vrai précédent en la matière, c’est Nicolas Sarkozy, qui a démarré son offensive dès sa nomination au ministère de l’Intérieur, après la réélection de Jacques Chirac, en 2002. C’est dès le 20 novembre 2003, trois ans et demi avant l’échéance, qu’il déclare penser à l’élection présidentielle « pas seulement quand (il se) rase ».
Un président jeune, ça change tout
La mère de toutes les raisons de ce remue-ménage anticipé est donnée par le politologue Bruno Cautrès : « C’est sans doute la première fois dans l’histoire qu’on a un président sortant si jeune qui ne peut pas se représenter. » C’est la règle depuis 2008 : un président ne peut pas faire plus de deux mandats consécutifs. On sait donc depuis le 26 avril 2022 qu’Emmanuel Macron ne pourra pas être sur les rangs en 2027, et ça suscite les appétits. Mais que change son âge ? « Quand François Mitterrand et Jacques Chirac ont terminé leur second mandat, la longévité de leur carrière a permis à tout le monde de se préparer à la suite. Avec Emmanuel Macron, qui n’a mis les pieds en politique que moins de dix ans avant son élection, on a affaire à un phénomène beaucoup plus récent, reprend Bruno Cautrès. Les points de repère des uns et des autres ont volé en éclat. »
Concrètement, Gérald Darmanin, qui aura 41 ans le 11 octobre, n’a pas encore pu construire autour de lui une écurie qui peut l’emmener, sinon à la présidence, au moins jusqu’à la campagne. D’où son projet de rentrée politique personnelle à Tourcoing, sa ville, fin août, une première pour lui. Edouard Philippe, qui a douze ans de plus mais n’est devenu « présidentiable » qu’après ses trois ans comme Premier ministre (2017-2020), tente, lui, de structurer sa force à vitesse grand V. Il a créé son parti, Horizons, fin 2021, a déjà un groupe de 30 députés et députées et espère avoir un groupe au Sénat dès dimanche, un tour de force. A l’inverse, François Bayrou, qui a un vieux parti, le Modem, et l’expérience de trois campagnes présidentielles, n’a pas besoin d’être aussi actif. Dans une certaine mesure, Bruno Le Maire, déjà candidat à la primaire de la droite en 2016, a aussi ce type d’expérience.
Un marathon qui se termine par un 100 m
Pour expliquer cette ébullition prématurée, la situation politique conjoncturelle joue aussi. D’abord la majorité très relative sur laquelle doit s’appuyer Emmanuel Macron, qui réduit encore son crédit politique. Aussi, avec sa victoire de 2017, « le bulldozer Macron a fait de gros dégâts dans le paysage politique, il est en miettes, juge le communiquant Philippe Moreau Chevrolet. Il va falloir tout reconstruire, et ça justifie de partir tôt. » Surtout que, d’après lui, la seule maison qui tient encore debout, c’est la maison Le Pen. « Elle est identifiée, populaire, le paysage médiatique lui est plutôt favorable, et certains médias la soutiennent », poursuit Phillippe Moreau Chevrolet, pour qui la réelle chance de victoire de l’extrême droite en 2027 change tout.
« Les choses sont beaucoup plus complexes pour les candidats modérés, car ce n’est pas juste la bataille pour savoir qui va gagner contre Marine Le Pen. Cette fois, c’est une guerre idéologique brutale, frontale, avec un énorme risque. » Dans ce contexte, le communicant juge que « trois ans ou trois ans et demi pour installer un possible candidat dans l’opinion, c’est court ». Bruno Cautrès voit lui pour ces candidats prématurés le « risque du laminoir médiatique et des sondages » : pas facile d’intéresser et de surprendre pendant trois ans. « Bien sûr, il faut construire avant. Mais l’important, c’est le tempo des tout derniers mois », estime le politologue. L’image à retenir : un marathon qui se termine par un 100 m.
Le risque Le Pen
« On n’est plus dans les années 1980-1990, où il ne fallait rien trahir de ses intentions, ménager sa monture… Il faut changer de logiciel », affirme au contraire Philippe Moreau Chevrolet, pour qui la présidentielle a changé. « Il faut refabriquer des appareils politiques, des candidats, qui doivent trouver une crédibilité sur un champ de ruines où plus rien n’est identifié. Créer une cohérence en étant régulièrement dans les médias… Tout ça est long ! », détaille le communicant. Mais l’essoreuse médiatique n’est-elle pas précisément encore pire aujourd’hui que dans les années 1980-1990 ? « Si ! C’est compliqué, c’est certain ». Il le répète, le contexte d’une possible victoire de Marine Le Pen impose ce nouveau rythme.
Ajoutez à cela que les favoris de la présidentielle loin de l’échéance n’ont jamais remporté la mise, et vous avez le cocktail d’injonctions contradictoires que doivent affronter les impétrants. Pour savoir quel est le bon moment pour partir en campagne, il n’y a pas de manuel. Et il semblerait que ce soit toujours trop tôt.. avant qu’il ne soit trop tard.