communicationQuand Macron se demande « qui aurait pu prévoir » ces crises prévisibles

Quand Emmanuel Macron se demande « qui aurait pu prévoir » ces crises prévisibles

communicationDevant les élus à Pau pour parler des émeutes à la suite de la mort de Nahel, le président de la République s’est demandé « qui avait prévu ce qui allait se passer ? »
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

C’est une expression qui revient régulièrement dans la bouche du président : « Qui aurait pu prédire ? » ou « qui avait prévu ? ». Emmanuel Macron s’est posé la question lors de ses vœux de la nouvelle année à propos du climat, et particulièrement des incendies qui ont ravagé les forêts françaises à l’été 2022. Le chef d’Etat a réitéré ses propos lors d’un échange avec les élus à l’occasion de son déplacement à Pau à la suite des émeutes déclenchées par la mort de Nahel, tué par le tir d’un policier à Nanterre. « Enfin, mais qui avait prévu ce qui allait se passer ? », a-t-il interrogé.

Une formule que semble apprécier le président, lui permettant de fuir ses responsabilités mais qui le décrédibilise par la même occasion, explique à 20 Minutes Philippe Moreau Chevrolet, communicant français, président de l’agence de conseil en communication des dirigeants MCBG Conseil. Une analyse toutefois « exagérée » estime Christel Bertrand, consultante en communication de crise.

Stratégie ou maladresse ?

Peut-on parler d’un élément de langage sorti du dictionnaire Macron afin de se dédouaner sur les crises concernées ? Selon Philippe Moreau Chevrolet, il s’agit en effet d’un « gimmick sorti du répertoire » du président et « une façon de s’exonérer de sa propre responsabilité ; le fait de rejeter la faute sur quelqu’un d’autre pour s’en sortir politiquement est très courant », analyse-t-il. En plus de ce « répertoire très balisé, Emmanuel Macron a aussi organisé une sorte de grand débat avec les élus, là encore une figure classique de sa communication », insiste le communicant. Or, pour Philippe Moreau Chevrolet, le chef de l’Etat aurait dû « innover, prendre des risques, même si c’est très difficile dans la situation actuelle du pays où la marge est très limitée ».

De son côté, Christel Bertrand fait une tout autre interprétation et insiste sur le fait qu’il s’agit d’un « début de phrase » qui n’est pas représentatif d’une stratégie de communication politique. La locution en entier s’adresse aux élus : « Enfin, mais qui avait prévu ce qui allait se passer ? Sous cette forme, dans des villes qui parfois n’avaient jamais connu de phénomène de violence urbaine ? ». « C’est un message pour diffuser l’idée qu’il n’est pas le seul responsable et en effet, qui aurait pu prévoir les émeutes dans des villes comme Arpajon ? », s’interroge-t-elle. Si c’est une formule que Christel Bertrand qualifie de « pas très jolie », elle est « beaucoup moins maladroite que celle de janvier à propos de la crise climatique ».

Une image abîmée

Sur ses deux mandats, Emmanuel Macron aura pour le moment traversé au moins quatre crises, des « gilets jaunes » aux émeutes en passant par le Covid-19 et la réforme des retraites. Sans parler de la guerre en Ukraine et l’inflation. Toutes étaient, à leur façon, imprévisibles, même celle des émeutes « dans la forme qu’elle a prise », note Christel Bertrand. Mais, « c’est vrai que tout le monde savait que la situation sociale était inflammable, depuis longtemps », concède-t-elle. Comme pour la situation du climat, le contexte social tendu « est très documenté et connu », abonde Philippe Moreau Chevrolet.

Alors, pour le communicant, cette formule du président de la République « l’affaiblit un peu plus à chaque crise. Cela démolit le mythe de la compétence, de l’infaillibilité, axe sur lequel il s’est fait élire à la base et son image de bon gestionnaire en est très atteinte ». Dès le début des violences, on a senti, selon le communicant, « une sorte de panique dans la communication du chef de l’Etat, une hésitation, notamment lorsqu’il a essayé de rejeter la faute sur les jeunes, les parents, les réseaux sociaux, les jeux vidéo… » Ce qui s’explique par le fait qu’il a « basculé dans une communication de crise d’une seconde à l’autre », nuance Christel Bertrand. Dans ce contexte, le défaut d’Emmanuel Macron est de ne pas être entouré par un ponte de la politique. D’ailleurs, « aller voir François Bayrou à Pau, une figure confirmée et rassurante pour l’opinion publique, est la meilleure chose qu’il ait faite depuis le début de la crise », juge encore Philippe Moreau Chevrolet.

Un discours du « en même temps » qui divise

Tandis que le spectre des émeutes de 2005 s’est répandu dans tous les esprits pendant cette séquence, la réponse politique a été bien différente. A l’époque, le président Jacques Chirac, avait opté pour un discours le plus rassembleur possible, en disant « aux enfants des quartiers difficiles, quelles que soient leurs origines, qu’ils sont tous les filles et les fils de la République. » Il avait « pris des habits gaulliens », se souvient Philippe Moreau Chevrolet, obligé également par un contexte bien différent, réélu face à Jean-Marie Le Pen en 2002. Jacques Chirac avait néanmoins également évoqué « l’autorité parentale » mais en prônant un « soutien actif aux familles qui connaissent de grandes difficultés ».

Notre dossier sur la mort de Nahel

Emmanuel Macron a choisi un autre costume politique, « aussi défendable que celui de Chirac », juge Philippe Moreau Chevrolet, mais dans un autre spectre, celui du « en même temps ». Cette formule renvoie au macronisme de la première heure, ce « ni de gauche ni de droite ». C’est ainsi qu’aujourd’hui, on a à la fois entendu des ministres demander la plus grande fermeté et d’autres annoncer un prochain comité interministériel des villes à la rentrée. Cela va « jouer dans la division avec deux registres qui s’affrontent pour être l’arbitre et apparaître comme le seul lien entre deux parties opposées », analyse le communiquant.