polémiqueD’où vient le terme « décivilisation », employé par Emmanuel Macron ?

Violences : D’où vient le terme « décivilisation », employé par Emmanuel Macron ?

polémiqueUn ouvrage du penseur d’extrême droite Renaud Camus porte ce titre
Xavier Regnier

Xavier Regnier

L'essentiel

  • Le chef de l’Etat a pointé mercredi, en Conseil des ministres, un « processus de décivilisation » à l’œuvre pour qualifier et englober la superposition de plusieurs faits divers récents.
  • Une expression qui a fuité et provoqué la colère de la gauche, puisque Décivilisation est le titre d’un ouvrage de Renaud Camus, le théoricien du « grand remplacement ».
  • D’où vient vraiment ce terme ? Que recouvre-t-il ? 20 Minutes fait le point.

Après avoir dit du maréchal Pétain qu’il était un « grand soldat » en 2018 et vu son ministre Gérald Darmanin mobiliser le concept de « terrorisme intellectuel », Emmanuel Macron a une nouvelle fois utilisé des termes controversés, mercredi en Conseil des ministres. Rapprochant l’agression qui a coûté la vie à une infirmière au CHU de Reims à l’accident de la route dans lequel sont morts trois policiers, le chef de l’Etat a dénoncé un « processus de décivilisation ». Un mot loin d’être anodin. 20 Minutes fait le point.

D’où vient le terme « décivilisation » ?

A l’origine, le terme est associé aux travaux du sociologue allemand Norbert Elias, qui parle de « processus de civilisation » et a travaillé sur les causes de la montée du nazisme. Avec d’autres penseurs du XXe siècle, il montre que « la dé-civilisation des années 1930-1940 consistait à détruire l’individu pour le fondre dans la masse », explique l’historien Hamit Bozarslan dans le Figaro. Dans la civilisation de Norbert Elias, il y un « autocontrôle exercé, par les individus, sur leur violence spontanée », cite France Culture, qui n’a plus cours dans la société barbare de l’Allemagne nazie.

Mais dans la sphère politique, Décivilisation est surtout le titre d’un ouvrage du penseur d’extrême droite Renaud Camus, paru en 2011. La même année, l’essayiste développe sa théorie raciste et complotiste de « grand remplacement », dont se sont emparés des membres du RN, Eric Zemmour ou encore Valeurs actuelles. A la croisée des deux concepts, l’écrivain publie aussi La Grande Déculturation, présentée comme un « enseignement de l’oubli » de la culture occidentale, indispensable pour mener à bien le « grand remplacement ».

Que mettent les politiques derrière ce terme ?

Partant de là, le terme s’est répandu à droite et à l’extrême droite pour dénoncer les violences traversant la société. Xavier Bertrand l’emploie sur Europe 1 lors de la campagne de la primaire à droite, en 2021, mettant en avant « tous les jours, des agressions contre l’Etat » sans « riposte ». Chez LR, le maire de Cannes David Lisnard a signé une tribune « Peut-on arrêter la décivilisation ? » dans le Figaro après l’agression d’une octogénaire, et Bruno Retailleau l’emploie régulièrement au Sénat. « La France est en train de s’ensauvager avec un phénomène de décivilisation », estimait-il ainsi en septembre 2022.

L'« ensauvagement », autre terme cher à l’extrême droite, suit de près la « décivilisation ». « Le président ne reprend pas un concept », défend l’Elysée, « c’est une réalité », dans laquelle Emmanuel Macron englobe l’agression d’une soignante par un homme atteint de troubles psychiatriques, l’accident de circulation qui a coûté la vie à trois policiers et le décès d’une petite fille, renversée par une voiture quittant son stationnement à Trappes. Mais les incidents graves « ne sont pas le quotidien des Français », relativise la sociologue Renée Zuberman sur France Info, même si « on peut faire passer l’idée que la France est un pays de plus en plus violent » avec le traitement médiatique de faits divers limités conjugué à une hausse des « violences sans contact » comme les insultes ou les menaces.

Quelles ont été les réactions politiques ?

L’emploi du terme, titre d’un livre d’extrême droite, n’est pas passé inaperçu au sein de la classe politique. « Considérer que ce serait pure coïncidence est soit une farce, soit affligeant », a taclé le député LFI Alexis Corbière sur Twitter. « J’en ai marre de la complaisance d’Emmanuel Macron avec l’extrême-droite ! », s’est agacée Sandrine Rousseau sur BFMTV, estimant qu’à « chaque fois qu'(il) est face à une difficulté, il lance une espèce de perche sur l’extrême droite ».



Une accusation qu’a renvoyée Olivier Véran sur Europe 1, expliquant que ce terme n’était « pas l’apanage de l’extrême droite », et soulignant son utilisation chez Norbert Elias, « un sociologue juif ». Ce « n’est pas un phénomène qui correspond à un parti politique ou qui correspond à une idée politique » mais une situation qui « nuit au bien-être de chacun », a-t-il argumenté. Il n’empêche, au RN, on se frotte les mains. « Je parle d’ensauvagement depuis des années et je me fais accuser de tous les maux », pointe Marine Le Pen. « La décivilisation, c’est la barbarie », continue la présidente du groupe RN à l’Assemblée sur CNews, estimant qu’Emmanuel Macron « nous donne raison ».