Congrès du RN : Jordan Bardella, un sacre gâché par la polémique de Fournas à l’Assemblée
REPORTAGE•Le député RN Grégoire de Fournas a écopé de la sanction la plus lourde au sein de l’Assemblée, après des propos jugés « racistes » par l’ensemble des autres groupesThibaut Le Gal
L'essentiel
- Jordan Bardella a été élu ce samedi nouveau président du Rassemblement national, après une écrasante victoire (84.84 %) face à Louis Aliot.
- Mais le sacre du nouveau patron du RN, censé incarner la dédiabolisation du mouvement, a été entaché par une polémique à l’Assemblée nationale.
- Samedi, le député RN Grégoire de Fournas a été exclu 15 jours du palais Bourbon, une sanction rarissime, après des propos jugés « racistes » par l’ensemble des autres groupes.
De notre journaliste à la maison de la Mutualité (Paris),
Ce devait être un grand moment pour le Rassemblement national. Pour la première fois depuis cinquante ans, le président élu par les militants ne porte pas le nom Le Pen*. L’écrasante victoire de Jordan Bardella (84.84 %) face à Louis Aliot ce samedi devait être un sacre symbolique : l’aboutissement d’un parcours de militant commencé à l’âge de 16 ans en Seine-Saint-Denis et l’avènement du plus talentueux membre de la génération « Marine ». Un profil idéal pour poursuivre la dédiabolisation du mouvement. Mais la politique réserve bien souvent des surprises, et parfois des plus mauvaises. Car la veille, et pour la deuxième fois seulement depuis 1958, un député RN a écopé de la sanction la plus lourde au sein de l’Assemblée nationale, après des propos jugés « racistes » par l’ensemble des autres groupes.
Une sortie qui gâche la fête du RN
En quelques heures, deux images s’entrechoquent d’ailleurs de manière cruelle pour le parti à la flamme. Ce samedi, en fin de matinée, Jordan Bardella monte triomphant à la tribune, acclamé par les cadres du parti et des milliers de partisans, rassemblés dans la salle parisienne de la Mutualité. La veille, au sein de l’hémicycle, les mêmes élus du RN regardaient, d’un air dépité, l’ensemble de la représentation nationale se lever pour exclure le député de Gironde Grégoire de Fournas du palais Bourbon pendant quinze jours.
Nul ne sait si la phrase « qu’il retourne en Afrique », lancé par l’élu RN à l’Assemblée nationale, ce jeudi, visait directement le député insoumis Carlos Martens Bilongo, comme l’estiment les adversaires du RN, ou s’il évoquait plutôt le bateau humanitaire Ocean Viking bloqué en mer avec 234 migrants, qu’évoquait l’élu LFI. Mais ce samedi, l’embarras des militants présents au congrès prouve bien que la sortie du député frontiste gâche la passation de pouvoir attendue de longue date.
« Pour l’image de notre parti, ce n’est pas terrible »
« Si c’était une provocation envers un député noir, c’est minable. Mais je crois plutôt qu’il a été maladroit dans les mots utilisés, et si l’idée générale est de dire qu’on ne veut plus d’immigrés clandestins, je suis d’accord avec lui », souffle Victor, 31 ans, venu du Sud-Ouest. « Pour l’image de notre parti ce n’est pas terrible, mais je regrette la surenchère qui a été faite par nos adversaires et j’ai trouvé la sanction très sévère. Pour un salut nazi, un député Renaissance n’avait eu qu’un rappel à l’ordre », ajoute-t-il.
« Sur le fond, il a raison de s’opposer à la venue d’un bateau d’immigrés, mais sur la forme, il n’aurait pas dû dire ça comme ça, abonde David Treca, militant de Côte-d’Or. Je ne crois pas que ça aura un impact dans l’opinion mais c’est vrai que cette maladresse nous fait un peu de tort, car ça nous replonge au temps du FN, de Jean-Marie Le Pen. C’est ce qu’attendaient nos adversaires politiques depuis longtemps ». Preuve du malaise ambiant, le député Grégoire de Fournas était d’ailleurs absent au Congrès ce samedi.
Marine Le Pen dénonce les « vilenies » de ses adversaires
L’épisode a de quoi agacer Marine Le Pen. Car depuis l’entrée fracassante de 89 députés RN au palais Bourbon cet été, l’ancienne candidate à la présidentielle veille au grain pour éviter les controverses et poursuivre la « normalisation » de son parti. A la tribune, ce samedi, la présidente du groupe RN évoque de manière indirecte la polémique des dernières heures. « Durant cette dernière décennie, peu de vilenies nous auront été épargnées par certains de nos adversaires peu regardants et les derniers jours en ont encore donné un aperçu marquant », dit-elle. « Force est de constater que certains d’entre eux n’auront reculé devant aucun mensonge, aucune déloyauté, aucune manœuvre, aucune honte. »
C’est la stratégie défendue en bloc par les cadres présents dans les travées du meeting. « Cette sanction contre notre député est une honte, et un coup dur porté à la liberté d’expression. Les insoumis et le gouvernement profitent de cette affaire pour diaboliser ceux qui s’opposent à l’immigration », tonne Gilles Pennelle, directeur général du RN. « C’est un tsunami dans un verre d’eau. Les Français ne sont pas dupes de ce coup politicard, de cette mauvaise foi des insoumis et de l’extrême centre », enfonce le député de Moselle Laurent Jacobelli. « La belle victoire de Jordan Bardella est bien plus importante que les clapotis des derniers jours », ajoute-t-il.
A la tribune, le nouveau président rend en fin d’après-midi un hommage appuyé à Marine Le Pen et évoque l'affaire de Fournas, dénonçant « la chasse à l'homme contre un député de la République ». Mais Jordan Bardella doit déjà affronter une nouvelle controverse au sein de sa famille politique. Steeve Briois, maire d’Hénin-Beaumont, l’a accusé ce samedi de mener une « purge » au sein du mouvement après son exclusion (et celle de l’historique Bruno Bilde) de la nouvelle instance exécutive. Il a dénoncé sur BFMTV un « risque de re-radicalisation » et craint de voir de nouveau « débarquer des fous furieux obsédés par l’identité » avec la prise de pouvoir de Bardella. Un premier défi de taille pour le nouveau chantre de la « dédiabolisation ».
*Jordan Bardella était toutefois président par intérim depuis la campagne présidentielle 2022.