Assemblée nationale : Cyrielle Chatelain, l’inconnue verte à suivre
PORTRAIT•La jeune présidente du groupe écologiste à l’Assemblée est celle qui va porter la voix de la Nupes lors de la motion de censure débattue ce lundiRachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- La présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, Cyrielle Chatelain, sera ce lundi la première oratrice lors du débat sur la motion de censure déposée par la Nupes.
- Inconnue du grand public, elle s’est imposée dans l’adversité à la tête des députés écolos, en pleine crise en cette rentrée.
- Solide, structurée, intelligente, fiable, travailleuse, ayant un grand sens du collectif… Les compliments pleuvent sur cette élue à suivre.
Juste après le second tour des législatives, un influent conseiller écologiste se fend d’un message à tout son carnet d’adresses de journalistes : « Vous ne connaissez probablement pas Cyrielle Chatelain mais je vous encourage à la découvrir, car c’est vraiment une personne de très grande qualité. » Cette femme d’alors pas tout à fait 35 ans vient d’être élue députée EELV-Nupes de l’Isère et coprésidente du groupe écologiste, avec Julien Bayou. « J’ai insisté parce que sachant comment s’organise un binôme entre un homme médiatique et une femme travailleuse, on savait qu’elle allait bosser et que Bayou aurait les micros, explique-t-il aujourd’hui. Je ne suis pas un intime, mais je savais qu’elle était super travailleuse, brillante, efficace… »
Les compliments pleuvent sur Cyrielle Chatelain, qui sera ce lundi la première oratrice de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale pour défendre la première motion de censure contre le premier 49.3 actionné par le gouvernement, sur la première partie du projet de loi de finance (PLF). Inconnue du grand public et militante écologiste de longue date, ses parents étaient des militants de gauche - et, très vite, écologistes - : « Ils étaient des soutiens de Greenpeace et de la lutte antinucléaire », se souvient la nouvelle députée. D’où son engagement « logique » et marqué… à gauche. « Quand on est écologiste et qu’on se bat pour avoir une planète habitable, on se bat pour le partage, affirme Chatelain. Et pour ça, on est obligé de se confronter à notre modèle économique capitaliste. »
« Ecolo première langue »
« Elle parle écolo première langue », dit d’elle David Cormand, député européen et ancien secrétaire national d’EELV, de 2016 à 2019. « Vraiment de gauche, mais pas gauchiste », ajoute un proche de Yannick Jadot… Ses camarades la placent au centre idéologique du parti, dont elle « connaît bien les lignes et les arcanes », précise Cormand. « Elle a joué un rôle, pas à l’avant-scène mais important, dans des étapes décisives, se souvient-il. N’étant pas dans l’esbroufe, elle permettait de stabiliser certaines choses un peu tactico-créatives… » En 2014, elle milite par exemple pour qu’EELV ne revienne pas dans le gouvernement Valls après les départs de Cécile Duflot et Pascal Canfin.
Engagée sur la question du logement, Cyrielle Chatelain a voulu mettre son travail en cohérence avec sa militance. Et logiquement, le monde politique l’a appelée. En 2012, alors que les écologistes ont pour la première fois un groupe à l’Assemblée, elle veut « absolument faire partie de l’aventure, c’était le retour de la gauche au pouvoir et on avait une écolo au Logement [Cécile Duflot], c’était énorme ! » « Le groupe de collaborateurs, c’était le maillon fort du dispositif à l’époque, des gens costauds », note David Cormand. Elle passe en 2015 du législatif à l’exécutif, en entrant au cabinet du président de la métropole de Grenoble, avec « l’envie de voir comment on met en place les choses ». Et ça ne traîne pas : elle travaille sur la loi Alur et se retrouve aux manettes pour l’appliquer sur le terrain.
Dans la veine d’Eric Piolle
Cyrielle Chatelain s’occupe notamment de l’hébergement des SDF - « un sujet qu’on ne peut pas traiter qu’en théorie » - et fait des maraudes avec le Samu social de Grenoble. « A un moment donné, le sujet est binaire : est-ce que les gens ont un toit ou pas ? Ça me semblait important de le faire. » C’est cette radicalité, que revendique aussi le maire de Grenoble, Eric Piolle, qu’elle a soutenu lors de la primaire de 2021 : « La vraie radicalité, c’est celle qu’on arrive à mettre en œuvre, croit la jeune députée. Et ça ne veut pas dire qu’elle est édulcorée » Son tempérament est alors repéré par Bruno Bernard, le président EELV de la Métropole de Lyon, à partir de 2020 : la recruter à son cabinet est une priorité : « J’avais remarqué sa discrétion, son sérieux, son intelligence. »
A ce poste, elle travaille avec le maire socialiste de Villeurbanne, vice-président chargé de la Culture à la Métropole, Cédric Van Styvandael. Il garde d’elle un « souvenir extrêmement positif. Elle est super pro. Technique et assez politique, c’est rare pour quelqu’un qui bosse en cabinet d’avoir les deux ». Sa circonscription, dans la banlieue rouge de Grenoble, est gagnable. Mais si on y est plutôt de gauche, on n’y est pas forcément écolo. Chatelain fait le choix d’un suppléant insoumis : « Il fallait rassembler, trouver un équilibre local. Elle a fait preuve d’intelligence politique », juge Bruno Bernard, qui la « regrette » à son cabinet.
« La bonne personne à la bonne place »
Si Cyrielle Chatelain devient coprésidente du groupe écologiste en juin dernier, c’est finalement parce qu’elle est l’une des plus expérimenté du groupe. « Elle sait de quoi elle parle quand il s’agit de gouverner », affirme Marie-Charlotte Garin, députée EELV de Lyon. Et puis, chez les élus EELV, à part Eva Sas, personne n’a jamais été député. « Or, connaître la règle du jeu, ça compte, rappelle un proche de Yannick Jadot. On peut être formidable, mais quand on arrive, on n’a pas forcément en tête que le truc le plus important, c’est le règlement de l’Assemblée. » Le retour des écolos au Palais-Bourbon est néanmoins chaotique. Le recrutement des collaborateurs et collaboratrices est difficile, et surtout l’affaire Julien Bayou, sur fond d’accusation de violences psychologiques, manque de faire exploser le collectif.
« Elle a été autant à la hauteur qu’elle pouvait l’être compte tenu de l’exposition médiatique, des enjeux et surtout des personnalités en présence », pense, de l’extérieur, David Cormand. A l’intérieur, on loue son « grand sens du collectif, de la finesse, de la droiture », comme le dit Marie-Charlotte Garin. C’est « la bonne personne à la bonne place », croit Benjamin Lucas, député des Yvelines. « Elle a discuté avec les uns et les autres et a su apaiser la situation », dit avec moins d’enthousiasme Sandrine Rousseau, la députée de Paris, selon qui son sens du collectif, tant loué par toutes les personnes contactées, « devra se consolider par la suite ».
De l’ombre à la lumière
Pour certains, le fait de la voir aujourd’hui seule présidente du groupe, sans que la question de lui trouver un nouveau binôme ne se soit posée, prouve sa solidité. « Malgré sa diplomatie et sa douceur, elle a de la poigne », remarque Sandra Regol, députée de Strasbourg et proche de longue date. Pas étonnant pour Cédric Van Styvandael, selon qui elle « résiste assez bien à la pression ». Illustration : le soir de la conférence de presse de l’avocate de Julien Bayou, elle est l’une des rares écolos à rappeler les journalistes qui la sollicitent. Deux jours plus tard, alors qu’il lui aurait été facile d’annuler un rendez-vous calé de longue date avec des journalistes, elle vient. Et reste droite dans ses bottes malgré une « situation humainement difficile » : « La question, c’est la réponse politique » sur les violences sexistes et sexuelles, nous dit-elle alors.
« Elle a toujours été dans l’ombre à pousser les autres, moi par exemple, décrit Sandra Regol. Les gens qui se mettent au service des autres, c’est très bien, mais c’est bien aussi qu’on puisse à notre tour se mettre à leur service. » La lumière, elle va y être en plein centre en portant ce lundi l’accusation du gouvernement au nom de la Nupes. « Je l’avais trouvé assez bonne lors du débat sur le discours de politique générale, observe Bruno Bernard. Pour une première intervention, j’étais bluffé. »
« Il ne faut pas rater les marches »
Cette fois, la pression est plus forte. « Il y a de la pression à chaque discours, coupe la Grenobloise. On porte autre chose que soi-même. Lors de la réponse au discours de politique générale, c’était comment organiser le retour de la voix de l’écologie dans l’Assemblée. Là, il s’agira de parler du fond : le budget, c’est là que se font tous les choix. Sur l’inflation comme sur le fait de ne pas dépasser les 3°C de réchauffement dans dix ans, c’est ici que ça se passe. »
Une marque de confiance des alliés de la Nupes avec laquelle elle est « très à l’aise ». Son homologue socialiste, Boris Vallaud, la trouve « intelligente et structurée ». « Cyrielle est précise, il n’y a pas 15.000 interprétations possibles de ce qu’elle dit. Elle est carrée, ne fuit pas le conflit, ce doit être extrêmement appréciable pour les partenaires », avance un proche de Yannick Jadot déjà cité.
Quant à la suite, « elle gagnerait à prendre de la liberté, d’affirmer encore plus ses options politiques et sa ligne, croit David Cormand. Mais ça va venir » Sandra Regol lui voit quant à elle un grand avenir, sans plus de précisions. Cyrielle Chatelain se garde bien de mettre des limites formelles à son ambition, mais temporise tout de suite : « Je fais ce que j’ai toujours fait quand j’ai pris des postes à enjeu : faire le mieux possible. Mon objectif, c’est que l’écologie soit plus forte dans cinq ans grâce à au groupe écologiste. Si on n’y arrive pas, on pourra toujours se projeter… Il faut savoir être à ce qu’on fait, ne pas rater les marches. » Des marches, elle va déjà en gravir à 16 heures, pour monter à la tribune de l’Assemblée au nom de la Nupes. Elle connaît le chemin.