Exister sans choquer… A l’Assemblée, le RN au défi de la respectabilité
dédiabolisation•Marine Le Pen compte s’appuyer sur l’image des députés RN à l’Assemblée et leur travail législatif pour tenter de « normaliser » encore un peu plus son mouvementThibaut Le Gal
L'essentiel
- Le Rassemblement national est entré en force à l’Assemblée nationale en juin dernier, avec 89 députés.
- Marine Le Pen compte s’appuyer sur l’image des députés RN et leur travail dans l’Hémicycle pour « normaliser » encore un peu plus son parti.
- Mais cette stratégie de « dédiabolisation » n’est pas toujours évidente pour le mouvement d’opposition.
C’est le « en même temps », façon Marine Le Pen. Depuis les législatives de juin dernier, la patronne du Rassemblement national est sur une ligne de crête : gagner ses galons de respectabilité à l’Assemblée nationale sans rien renier de son opposition « radicale » à Emmanuel Macron. Cette semaine, un exemple illustre la difficulté de l’exercice. La députée d’Hénin-Beautmont a déposé jeudi une motion de censure face au 49.3 déclenché par Elisabeth Borne sur le volet recettes du budget 2023, tout en indiquant que les 89 députés RN ne voteraient pas celle défendue par la Nupes.
« On n’est pas là pour tout casser »
Cette position, qui n’offre aucune chance aux oppositions de faire tomber le gouvernement, fait passer la motion du RN (c’est pareil à gauche) pour un coup d’épée dans l’eau. « On n’est pas là pour tout casser, mais pour faire avancer nos idées, on ne s’oppose pas pour les mêmes raisons que les insoumis », balaie le député du Nord Sébastien Chenu. Le vice-président de l’Assemblée nous rappelle la ligne - pas trop de vagues - fixée par Marine Le Pen l’été dernier. « Nous sommes concentrés sur l’image que nous allons renvoyer à l’Assemblée, que les Français se rendent compte qu’ils peuvent nous confier un jour les clés du pays ».
Depuis trois mois, les 89 députés RN ont donc pour consigne de se tenir à carreau dans l’Hémicycle. Ils sont même rappelés à l’ordre, en interne, lorsqu’ils délaissent leurs sièges au moment de votes cruciaux sur les textes budgétaires. Le parti se vante désormais d’avoir voté certaines mesures « de bon sens » du gouvernement, comme sur le pouvoir d’achat l’été dernier, ou d’avoir su entraîner d’autres forces politiques à voter leurs amendements. Un travail législatif imaginé comme l’ultime étape de la dédiabolisation. « Notre travail à l’Assemblée est le symbole de l’évolution définitive de notre mouvement, veut croire Thomas Ménagé, député RN du Loiret. On n’est plus un parti protestataire, en dehors des institutions. L’objectif est de mener ce travail sérieusement pour montrer que l’on est prêt à gouverner en 2027 ».
« Mettre le bazar dans l’Hémicycle, ça dégoûte les gens »
Si le RN refuse de voter la motion de censure de la gauche déposée mercredi soir, c’est aussi parce qu’il a pensé son image au Palais-Bourbon par opposition à celle des élus de la Nupes, fidèles aux coups d’éclat médiatiques. « Certains nous disaient "on vous voit moins que LFI !" Je préfère qu’on soit mal entendus que mal vus. Mettre le bazar dans l’Hémicycle, ça dégoûte vite les gens », tacle un député RN. « Le signe de Sandrine Rousseau [un symbole féministe réalisé avec les mains], ça fait parler, mais ça ne fait pas avancer la cause des femmes. Est-ce qu’on doit être aussi con qu’eux ? La question s’est posée, dit-il, mais une autre ligne a été tranchée. Et les sondages nous donnent raison ».
Dans l’enquête annuelle « Fractures Françaises » de la Fondation Jean Jaurès, publiée début octobre, le RN est le parti d’opposition suscitant le plus d’approbation sur la façon dont il se comporte à l’Assemblée (35 %, loin devant LFI, à 24 %). Par ailleurs, 39 % des Français estiment que le parti de Marine Le Pen serait capable de gouverner, contre 25 % en juin 2017. Ce sont peut-être ces chiffres qui ont poussé le député LFI François Ruffin à l’introspection. « Je n’ai plus envie de hurler sur les bancs de l’Assemblée Nationale. Je l’ai dit au groupe : ça ne sert à rien. Ça renforce le RN », disait-il à France inter la semaine passée. « Il y a de la colère dans le pays, mais on ne doit pas se contenter de transposer la colère dans l’Hémicycle, car la colère, c’est du vote RN en barre ! », se désole aussi un élu communiste.
« Pour nous, l’enjeu, c’est que le RN révèle son vrai visage »
Ce début de session parlementaire tout en discrétion des élus RN agace aussi certains membres de la majorité. « Ils ont été jusqu’ici les grands gagnants de la séquence à l’Assemblée, bien aidés par le style grossier des insoumis. Mais derrière la façade, sur certains amendements ou certains propos, on voit qui ils sont vraiment. En commission, un RN m’a déjà traité de connard hors caméras. Il va falloir les énerver un peu. Car pour nous, l’enjeu, c’est que le RN révèle son vrai visage », assure un député MoDem. « Le RN reste un parti d’extrême droite, aux idées nauséabondes, qu’il faut combattre sans relâche, assure la députée Prisca Thévenot, porte-parole de Renaissance. Ils peuvent mettre du vernis partout, mais dès qu’on gratte, ça finit par craquer ».
Ce chemin vers la normalisation est d’ailleurs émaillé de plusieurs incidents. Lors de la première séance de l’année, en juin, le député RN José Gonzalez est accusé de faire « l’apologie de l’Algérie française et des crimes de la colonisation » dans un discours à la tribune. Début juillet, son collègue Jean-Philippe Tanguy suscite la controverse en évoquant les « aspirations homoérotiques » qu’Emmanuel Macron aurait « sollicitées » dans les milieux d’affaire… Le 11 octobre à la tribune, le député de Moselle Alexandre Loubet accuse Bruno Le Maire de « brader » l’industrie française, et déclenche un vif incident en traitant de « lâche » le ministre de l’Economie.
« L’Assemblée est un lieu de confrontation, pas un théâtre insipide où l’on ne pourrait plus rien dire, défend le député RN Julien Odoul. Nous ne sommes ni dans la provocation permanente de LFI, ni dans la mollesse complaisante de LR ». L’exercice d’équilibriste s’annonce difficile à tenir pour le RN dans les semaines à venir. Car un grand débat sur l’immigration est prévu à l’Assemblée, en amont d’un texte de loi présenté en début d’année prochaine. Et l’affaire Lola a rappelé cette semaine que l’immigration reste, pour le RN, un sujet d’opposition frontal avec l’exécutif.
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