Présidentielle 2022 : Comment la Primaire populaire a fini par troubler tout le monde à gauche
CAMPAGNE•A partir de ce jeudi et jusqu’à dimanche, 467.000 personnes sont appelées à choisir quel candidat ou candidate est la meilleure pour représenter la gauche à l’élection suprêmeRachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- C’est le grand jour : les 467.000 inscrits et inscrites à la Primaire populaire ont jusqu’à dimanche pour départager les candidats de gauche.
- Le résultat n’est reconnu que pas une candidate majeure, Christiane Taubira. Pourtant, il est difficile d’imaginer que le vote de près d’un demi-million de personnes sera sans aucun effet.
- Les organisateurs et organisatrices ont déjà fait bouger les choses, quel que soit le résultat.
«Pour faire gagner l’écologie et la justice sociale à l’élection présidentielle, j’estime que chacune de ces personnalités serait… » Telle est la question posée dès ce jeudi aux quelque 467.000 inscrits et inscrites à la Primaire populaire. Pour chacune des personnalités présentées (Anna Agueb-Porterie, Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Pierre Larrouturou, Charlotte Marchandise, Jean-Luc Mélenchon et Christiane Taubira), les votants et votantes doivent répondre « très bien », « bien », « assez bien », « passable » ou « insuffisant(e) ». Les conséquences du résultat sont pour le moment très incertaines. Ce dont on est sûr, en revanche, c’est que la Primaire populaire a changé la donne à gauche.
Quand bien même ils ont toujours refusé d’y participer, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot ont été interrogés et réinterrogés sur la Primaire populaire. A mesure que les journalistes ont insisté, les critiques des insoumis et des écologistes ont redoublé. Ce week-end encore, à Bordeaux, Jean-Luc Mélenchon a assuré qu’à « soixante-dix jours du premier tour, il y a mieux à faire qu’une obscure primaire (…), d’obscures combines pour sortir un lapin du chapeau ». Côté EELV, l’ancien chef du parti David Cormand juge que la Primaire populaire laisse le terrain libre à l’extrême droite et protège la candidature d’Emmanuel Macron : « C’est une conception politicienne et tacticienne de la politique, alors qu’on a besoin de parler du fond. »
Changement d’ambiance
L’ambiance était tout autre, il y a deux mois. A l’époque, la Primaire populaire ressemblait à un prêche dans le désert. Pour attirer l’attention, les organisateurs et organisatrices avaient décidé de faire des sit-in, devant les sièges d’EELV, du PS et de LFI. Les socialistes affirmaient « ne pas voir l’initiative d’un mauvais œil », mais ils ne croyaient pas une seconde qu’elle puisse fonctionner. Devant LFI, des responsables du mouvement ne rechignaient pas à engager la discussion avec une certaine bienveillance, mais sans que les points de vue se soient rapprochés d’un iota. Cette pression était vue comme « amicale et sympathique ». « On a été ignorés, moqués et, maintenant, on est attaqués », analysait, sereine, l’une des deux porte-parole de la Primaire populaire, Mathilde Imer, consciente que l’influence politique se mesure aussi à la puissance des tirs de barrage.
Aujourd’hui, la pression n’est plus uniquement celle des sondages, qui – les organisateurs de la Primaire populaire l’ont répété à l’envi pendant des semaines – montrent que 85 % de l’électorat de gauche veut l’union. C’est celle de 467.000 personnes inscrites dans un processus inédit, hors partis et qui, même s’il est sorti de l’anonymat ce dernier mois, n’a pas bénéficié de la couverture médiatique des autres primaires. Un nombre qui ne pourra pas être ignoré, veut-on croire chez Christiane Taubira, prétendue favorite du scrutin, à l’heure où « on a des responsables politiques qui ont le mot “démocratie” à la bouche 50 fois par jour, qui veulent tous favoriser l’engagement citoyen… », juge Guillaume Lacroix, le patron du Parti radical de gauche.
Merci Hidalgo ?
Bien sûr, la Primaire populaire peut dire merci à Anne Hidalgo qui, à la surprise générale, le 8 décembre, a décidé de se rallier à elle, avant de se raviser un mois plus tard. « Un bon coup stratégique », a reconnu début janvier un cadre local du PS, qui a d’ailleurs motivé ses militants à s’inscrire. Mais si la candidate socialiste était à elle seule capable d’attirer 400.000 personnes, sa campagne ne serait peut-être pas là où elle en est. Elle a probablement donné à des tas d’électeurs de gauche un peu perdus sinon un espoir, en tout cas, un os politique à ronger. Ça n’aurait pas existé si les militants et militantes de la Primaire populaire n’y travaillaient pas depuis mars 2021.
Les fameuses inscrites et inscrits à cette primaire sont, eux, largement inconnus. La flambée soudaine des inscriptions (qui n’est pas sans rappeler celle de la primaire écologiste, avec le même prestataire) a favorisé les rumeurs sur le noyautage du scrutin. « On voit que Mélenchon et Jadot sont en train de faire entrer des adhérents pour influencer le résultat et se présenter en vainqueurs », aurait dit il y a quelques jours, d’après Politico et Libération, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Ainsi, sa numéro 2, Corinne Narassiguin, a salué le succès des inscriptions et indiqué qu’elle-même irait voter. Mais on est loin de la stratégie bien établie : il n’y aurait pas de consignes nationales ; certaines fédérations font voter, d’autres non. Rémi Féraud, sénateur de Paris, n’est par exemple pas inscrit et ne « fait pas passer aucune consigne ». Mais quel parti de gauche a les moyens de noyauter un scrutin d’un demi-million de personnes ?
Le risque que la Primaire populaire soit un coup pour rien, et qu’elle ajoute une candidature plutôt que d’en éliminer, est réel. Et si, à nouveau, la gauche n’accède pas au second tour de l’élection présidentielle, la séquence de la Primaire populaire ne sera peut-être qu’une péripétie parmi d’autres de la campagne électorale de 2022. Mais est-ce seulement à cela que doit se mesurer le succès ou non de l’initiative ? Les partis politiques, largement discrédités depuis longtemps, viennent de se faire dire pour la première fois qu’ils ne sont plus les seuls maîtres du jeu électoral. Qu’il y ait ou non des lendemains, ce n’est pas un petit événement politique.