Présidentielle 2022 : Pourquoi les candidats se réclament-ils presque tous du général de Gaulle ?
HERITAGE•Alors que l’anniversaire de la mort du premier président de la Ve République approche, de nombreux candidats à l’élection présidentielle se réclament de son héritageX. R.
L'essentiel
- Mardi, à l’occasion de l’anniversaire de la mort du général de Gaulle, Marine Le Pen prononcera un discours à Bayeux, où il s’était exprimé en 1944 puis en 1946.
- Le même jour, plusieurs autres candidats iront se recueillir sur sa tombe, à Colombey-les-deux-Eglises.
- Figure légendaire, charisme, autorité, souveraineté, chaque candidat trouve quelque chose à prendre dans l’héritage de Charles de Gaulle.
A Bayeux, Marine Le Pen s’inscrira mardi dans les pas du général de Gaulle, rendant hommage au fondateur de la cinquième République dans un discours sur les institutions. Une volonté de se placer dans la filiation de l’auteur de l’appel du 18 juin 1940 à l’approche de l’ élection présidentielle, alors que son parti a souvent combattu le gaullisme. Pourquoi tant de candidats à l’élection présidentielle se réclament de l’héritage du général ? 20 Minutes éclaire l’histoire.
A droite, rien de nouveau
Chez Les Républicains, cet héritage n’est pas nouveau et est en réalité fondé, puisque le parti n’est autre que le descendant direct de l’UNR, parti gaulliste au pouvoir au début de la Ve République, devenu UDR, RPR, puis UMP. « C’est la figure tutélaire du parti, la statue du commandeur », expose Alexandre Eyries, enseignant-chercheur HDR en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Bourgogne. Faire appel à de Gaulle, c’est ainsi convoquer « le régalien, l’autorité, le charisme et la légitimité ». Impossible de passer à côté de cette filiation quand on n’incarne pas soi-même ces valeurs, « en particulier pour Xavier Bertrand qui était sorti de cette famille politique », insiste le spécialiste en communication politique.
Idem pour Valérie Pécresse. Mais l’identification au chef de la Résistance brasse plus large. « Jean-Luc Mélenchon veut changer de République mais reste attaché à son côté résistant, même Philippe Poutou pourrait se dire pour le de Gaulle anti-nazi en grattant un peu » sourit Fabrice d’Almeida, historien spécialiste de l’image politique et professeur à l’université Paris Panthéon-Assas. De Gaulle est « la dernière grande figure historique, en tête des figures historiques préférées des Français » selon un récent sondage. Et son nom parle à tout le monde.
L’école et la face sombre de de Gaulle
On pourrait s’attendre à ce qu’avec le temps, il perde de sa charge symbolique. C’est tout le contraire. « Au lycée, l’histoire doit faire partager les valeurs communes de la République », explique Fabrice d’Almeida. Au cours de leur scolarité, les élèves sont confrontés trois fois à la Seconde guerre mondiale et aux questions de mémoire, et donc à de Gaulle. « Depuis les années 1970, les profs ont plaisir à enseigner de Gaulle, car c’est un chapitre positif qui ménage toutes les susceptibilités », abonde l’historien. Y compris dans les lycées où se trouvent des jeunes d'origines diverses, puisque « de Gaulle a rendu l’indépendance à l’ Algérie » et à de nombreux pays d’Afrique. De quoi terminer tout en haut de la « tier-list des personnages historiques français » du streameur Rivenzi pendant le Zevent.
Pourtant, la mémoire actuelle du général de Gaulle occulte une partie de la réalité. Oubliés, les meetings de 1947 où le service d’ordre massacrait des militants communistes. Balayées, les critiques des années 1960 contre un pouvoir présidentiel à la limite du régime autoritaire et un de Gaulle gouvernant par plébiscite, à la manière d’un Napoléon III. « Aux Etats-Unis, on le présentait comme un dictateur », confie Alexandre Eyries, qui compare l’image du général en France à une « figure messianique ». Au-delà de l’histoire, au-delà même de sa légende, de Gaulle est en fait invoqué « comme un langage pauvre de la politique. On ne le cite pas directement, on dit de Gaulle comme on dirait drapeau ou Marseillaise », pointe Fabrice d’Almeida.
Les ambiguïtés de l’extrême
Un nouveau pan de la classe politique se met à son tour à convoquer de Gaulle, de manière plus inattendue : l’extrême-droite. D’abord Marine Le Pen, qui ira déposer une gerbe au pied de la croix de Lorraine avant d’aller prononcer un discours à Bayeux. « Eric Zemmour va venir lui siphonner des voix, elle est donc obligée d’aller sur les terres des Républicains », analyse Alexandre Eyries. Pourtant, son père et son parti ont longtemps été des ennemis farouches du gaullisme.
Mais certaines thématiques sont des opportunités en or pour se raccrocher au « chef de guerre devenu chef politique et libérateur de la France » dépeint par l’enseignant-chercheur. En particulier le thème de la souveraineté. D’un côté, un général venu « rétablir la souveraineté nationale » après l’Occupation et qui a sorti la France du commandement intégré de l’OTAN pour retrouver de l’indépendance, de l’autre une candidate qui veut faire primer le droit français sur le droit européen. La collusion était logique. Mais c’est oublié que de Gaulle a respecté les traités européens. « Cette ambiguïté sur la souveraineté est porteuse, elle permet à chaque électeur de recevoir le message comme il l’entend » souligne Alexandre Eyries.
L’ambiguïté est encore plus forte pour Eric Zemmour, qui « réhabilite Pétain dans l’idée qu’il a eu raison de signer l’armistice en 1940 car plus rien n’était sauvable et qu’il a sauvé les Français de la déportation, ce qui est faux », établit Fabrice d’Almeida. Ce qui n’empêche pas le polémiste de convoquer l’esprit rebelle du général de Gaulle, « l’homme providentiel » seul à pouvoir sortir la France du défaitisme. Dans le même temps, il se replace dans la mouvance du RPR, « car la figure de l’échappée en solitaire ne marche plus dans un monde où les figures politiques n’ont pas tellement changé » après l’élection d’ Emmanuel Macron, décrypte Alexandre Eyries. Comble de l’ambiguïté, Eric Zemmour a laissé planer l’hypothèse d’une officialisation de sa candidature à Colombay-les-deux-Eglises.