Présidentielle 2022 : « Je veux toucher des gens qui n’aiment pas la politique », explique le streamer Jean Massiet
« 20 MINUTES » AVEC•Le « streamer » Jean Massiet veut faire de sa nouvelle émission « Back Seat » le « rendez-vous des jeunes » pour suivre la campagne présidentielle sur TwitchPropos recueillis par Léa Ménard (avec Thomas Lemoine à la vidéo)
L'essentiel
- Chaque semaine, 20 Minutes propose à une personnalité de commenter un sujet de société dans son rendez-vous « 20 Minutes avec… ».
- Jean Massiet, commentateur politique sur Twitch et YouTube veut faire de son talk-show Back Seat, lancé à la rentrée, l’émission des jeunes pour suivre l’élection présidentielle de 2022.
- « Je force un peu mes invités politiques à fendre l’armure », explique-t-il.
Lorsqu’on le salue, il commence par s’excuser de ne pas porter de chemise. L’inverse nous aurait pourtant étonnés. A 33 ans, Jean Massiet est un aficionado des débats parlementaires. Mais n’espérez pas le croiser dans les couloirs de l'Assemblée : c’est devant son écran qu’il officie. Sans costume, donc. Depuis six ans, le juriste et youtubeur commente les débats politiques français à la façon des journalistes sportifs, avec passion et panache.
A la rentrée, il a lancé Back Seat, une émission à destination des jeunes consacrée à la campagne présidentielle et diffusée sur Twitch. En réalité, celle-ci avait été mise sur les rails dès le début de l’été avec une pré-saison. Un baptême du feu qui a vraisemblablement convaincu ses plus fidèles internautes, puisque la campagne de financement participatif qui y était associée a fait un carton, récoltant plus de 115.000 euros.
Vous êtes présent sur Internet depuis plusieurs années. Mais comment faut-il vous présenter ?
Je suis un vulgarisateur et un « streamer » [personne qui diffuse des vidéos en direct, en particulier sur Twitch]. On peut dire que je suis politologue, parce que je fais de l’analyse politique. Je ne suis pas un éditorialiste : je ne prends pas trop position, ce n’est pas trop le but du jeu. On peut dire que je suis journaliste. Je ne m’en réclame pas, mais, ça ne me dérange pas du tout. Et on peut simplement dire que je suis un mec sympa avec qui on va passer un petit moment en parlant d’actualité !
Dans votre bio, vous écrivez : « Si la politique te fait chier t’es au bon endroit. » La politique vous ennuie-t-elle ?
C’est une phrase un peu provoc, mais sincère en même temps. Elle dit : « Oui, si la politique te fait chier, viens nous voir. On va te montrer qu’en fait, la politique, ça dépend comment tu la prends, mais elle peut être aussi sympa, elle peut même être très fun. » Personnellement, elle m’exaspère souvent, notamment quand elle vire à la polémique ou à des rapports de force un peu absurdes… D’ailleurs, elle exaspère tout le monde dans ces cas-là. Elle me fatigue parfois, mais je ne peux pas dire qu’elle me fait chier. C’est mon métier. Je suis un drogué de l’info, donc je trouve de l’intérêt dans la politique là où j’ai envie d’en chercher.
Les émissions diffusées sur la plateforme Twitch ont la particularité d’être commentées en direct dans un tchat par une partie des spectateurs, les « viewers ». Quelle importance accordez-vous à ces réactions lors des « streams » ?
Un « stream », c’est une conversation avant d’être une émission. C’est quelque chose de très horizontal. C’est très lié à une culture web où chacun peut, avec son pseudo, interagir, dire ce qu’il pense, poser des questions et faire des blagues. Mon job à moi, ce n’est pas tant d’être un animateur ou un présentateur. Je ne suis pas sur une estrade en train de délivrer un discours. Je suis à la terrasse d’un café, avec des inconnus avec qui je vais parler de politique et leur dire deux-trois trucs que je sais et animer une conversation.
Cela implique de poser des questions aux gens. Par exemple : « Comment ça va ? Est-ce que vous avez passé un bon week-end ? » au démarrage de mon émission et, un peu plus tard : « Et vous, vous pensez quoi de ce qu’on vient de regarder ensemble ? Qu’est-ce que vous pensez de Macron ? De Le Pen ? Comment est-ce que vous voyez les choses ? » Pour moi, c’est plus important que tout d’avoir ce retour, plutôt que d’avoir mon opinion, dont on se fout pas mal. Le tchat, c’est vraiment central dans le dispositif éditorial.
Vous avez récemment lancé Back Seat, une émission politique diffusée en direct tous les jeudis à partir de 20h, dans laquelle vous recevez des politiques comme Najat Vallaud-Belkacem, Fabien Roussel ou encore Philippe Juvin. Quel est son objectif ?
C’est une offre médiatique nouvelle. Un rendez-vous d’actualité politique sur Twitch pensé pour les jeunes à l’occasion de l’élection présidentielle de 2022. Le but du jeu, c’est d’être – si ce n’est la seule – au moins la première émission politique que des jeunes vont regarder. Je m’adresse à des gens qui n’aiment pas la politique. C’est le public que je veux toucher. On est en tee-shirt, en baskets, on dit des gros mots, on se tutoie, on se marre. C’est possible d’aborder des sujets politiques extrêmement sérieux, avec des gros enjeux, tout en étant entre nous sur cette plateforme, avec une interaction grâce au tchat.
Avez-vous la volonté de lutter contre l’abstention avec cette émission ?
Je ne me suis jamais donné le rôle de lutter contre l’abstention des jeunes. J’ai toujours dit aux jeunes : « Je ne suis pas là pour vous faire voter. Je ne suis même pas là pour vous faire aimer la politique. Je suis là pour vous la montrer telle qu’elle est. » Si elle n’est pas aimable, ce n’est pas de ma faute. Mais, ça ne nous empêche pas d’avoir envie d’en parler.
« « Si je réussis à réconcilier des jeunes avec la politique, tant mieux, j’en serai très content. » »
J’ai aucun problème avec le fait que les gens qui me regardent ne votent pas. La seule chose que je leur demande, c’est qu’on en discute. C’est bien de parler de son abstention, de son rapport aux politiques, etc. J’ai presque l’impression d’être au stade précédant celui de l’abstention. Je suis au moment de la réconciliation avec la politique. Si je réussis à réconcilier des jeunes avec la politique et qu’ils vont jusqu’à voter, tant mieux, j’en serai très content. Mais si j’en réconcilie d’autres et qu’ils continuent d’être abstentionnistes, pas de problème. Ils sont les bienvenus et il n’y a pas de soucis.
Comment choisissez-vous vos invités ?
Chaque semaine, sur le plateau de Back Seat, on reçoit un premier invité qui est une personnalité d’Internet – des youtubeurs, des streamers, des instagrameurs… C’est trop facile de faire un plateau où l’on est que des passionnés de politique et on discute entre nous. Je veux ouvrir notre espace à des gens qui représentent beaucoup plus les jeunes que nous, à qui on peut s’identifier. Je suis très content quand je reçois un invité qui me dit : « Ben moi la politique ce n’est pas mon truc, j’aime pas ça. Je suis vachement éloigné, je m’informe très peu, j’ai décroché, je m’en branle, j’aime pas les politiques… » Ces gens-là, ils ont un discours qui est très vrai. Ils représentent beaucoup plus les jeunes de France que nous.
Le premier invité est-il un moyen de convaincre les « viewers » de rester pour écouter l’invité politique ?
Je suis très content si, grâce à la premère partie, des personnes restent pour entendre l’invité politique. On essaie au maximum d’avoir des personnalités de premier plan en lien avec la présidentielle de 2022 : candidats, chefs de parti, ministres et parlementaires.
Espérez-vous que Back Seat puisse permettre de mieux comprendre la réalité du travail politique ?
Il y a un travail que je fais depuis longtemps qui est de réhabiliter les politiques. Je postule – et c’est un parti pris – sur la sincérité de leur engagement, de leur combat et de leur travail. Ça ne veut pas dire que je suis d’accord avec ce qu’ils font mais, pour moi, les responsables politiques sont des gens qui croient en ce qu’ils font et sont engagés. Et l’engagement pèse sur les corps, la psyché, demande de l’énergie… Oui, il y a ce travail, aussi : montrer aux gens que le travail politique est un truc humain.
C’est aussi probablement une différence que j’ai avec la télévision et la radio, c’est que j’essaie de sortir mes invités politiques de la logique des éléments de langage, des matinales de radio avec des paroles calibrées. Je les force à fendre l’armure. Par exemple, il n’y a pas de maquillage sur cette émission, et c’est aussi un parti pris. Bon, c’est aussi parce qu’on n’a pas le budget ! (rires)
C’est l’un des moyens pour réconcilier les jeunes avec la politique ou, a minima, de les y intéresser ?
Ça peut montrer aux jeunes qu’en fait l’engagement politique est accessible à tous. Pas besoin d’avoir fait Sciences Po pour être engagé en politique. N’importe quel militant associatif, syndical ou politique, qui va coller des affiches ou mener un combat dans sa ville, est tout aussi sincère et investi qu’un ministre ou un président de la République. Si ça peut déclencher des vocations pour certains jeunes qui vont se dire : « En fait, le militantisme politique, c’est un truc humain », c’est tant mieux !