Marseille : Pourquoi Emmanuel Macron est si attendu avec son carnet de chèques ?
DECRYPTAGE•Dans une ville où les retards s’accumulent, et où les finances sont au plus bas, un coup de pouce de l’Etat est attendue comme le messieMathilde Ceilles
La rumeur d’une visite bruisse dans les alcôves marseillaises depuis des mois. L’Elysée n’a envoyé la confirmation qu’en fin de semaine dernière. A partir de ce mercredi, le président de la République débarque dans la cité phocéenne pour un déplacement de trois jours. Certes, Emmanuel Macron a choisi cette date afin d’assister ce vendredi à l’ouverture du congrès mondial de la nature.
Mais le chef de l’Etat sait aussi, si ce n’est surtout, que les politiques marseillais attendent avec une certaine impatience de lui qu’il sorte le carnet de chèques. Le tout afin de débloquer des situations qui, à Marseille, s’enlisent et semblent sans issue. 20 Minutes fait le point
Des finances dans le rouge
La situation financière préoccupante de la ville est connue depuis plusieurs mois. En août 2020, un rapport de la chambre régionale des comptes alertait déjà sur un « mur de la dette » de 1,8 milliard d’euros en 2017. Ramenée au nombre d’habitants, cette dette marseillaise est, selon ce même rapport, « deux fois plus élevée que la moyenne des villes de taille comparable ».
La faute, selon la CRC, à une gestion contestable par majorité de Jean-Claude Gaudin, notamment dans la gestion du personnel, au cœur d’une enquête du parquet national financier. Ainsi, selon le rapport de la CRC, pas moins de 61 millions d’euros auraient pu être économisés par une meilleure gestion du personnel
Lors de la présentation des conclusions de l’audit commandé par la nouvelle majorité, Benoît Payan dresse en février dernier un constat sans appel : « les caisses sont vides. » Le principal point noir pointé par l’audit, réalisé par le cabinet Deloitte, porte sur la capacité très limitée d’investissement de la ville, plombée par une dette chiffrée fin 2020 à 1,54 milliard d’euros. Fin 2019, selon l’audit, la ville ne disposait dans ses caisses que de 13 millions d’euros pour investir -- une capacité d’autofinancement même négative, à -20 millions d'euros, dans le budget 2020, selon Joël Canicave.
Et la nouvelle municipalité ne peut, pour le moment, pas compter sur l’impôt dans une des villes les plus pauvres de France. En effet, à l’heure actuelle, à Marseille, 53 % des ménages sont non imposables. La capacité d’impôts par habitant s’élève à seulement 900 euros contre 1.112 euros à Nice ou 1.352 euros. Une situation qui risque de s’aggraver avec la disparition de la taxe d’habitation prévue en 2023.
Des promesses électorales à tenir sur les écoles
C’était la principale promesse de campagne du Printemps Marseillais lors des municipales. La nouvelle municipalité de gauche de Marseille a fait de la remise en état des écoles dégradées de la ville l’une des priorités de son mandat. Mais la réalisation d’une telle promesse patine. « Ça fait un an que le sujet est sur le tapis, mais rien n’a été vraiment enclenché », regrette Séverine Gil, présidente de l’association de parents d’élèves MPE 13.
Un programme de réhabilitation de cinq groupes scolaire (11 écoles) pour 85 millions d’euros, financé à 90 % par l’ANRU (Agence régionale de rénovation urbaine), a été voté début avril dans son premier budget. Mais au total, pas moins de 200 des 472 écoles de la ville ont été listées comme devant intégrer un grand plan de rénovation des écoles, sur lequel la nouvelle municipalité travaille depuis sa prise de poste. En juin dernier, le maire de Marseille avait évoqué la somme d’un milliard d’euros pour les dix premières années nécessaire à l’aboutissement de ce plan « de longue haleine ».
« Des écoles sont en situation d’urgence absolue, d’autres en situation d’urgence, d’autres en situation critique, d’autres encore à rénover partiellement, d’autres à construire ou reconstruire », avait alors détaillé Benoît Payan. Pour ce faire, le maire avait établi des contacts avec l’Elysée, mais aussi Matignon, pour « fabriquer un outil qui permette une vraie rénovation des écoles. »
Un retard considérable en matière de transports
La deuxième ville de France ne comporte que deux lignes de métro, inaugurées dans les années 1970, et, qui couvrent qu’une partie infime de la ville. Ainsi, Selon une étude de l’union des transports publics et ferroviaires, Marseille compte 1.129 kilomètres de lignes, tous modes de transports confondus, soit deux mois qu’à Lyon. Les métros et tramways sont totalement absents de certains quartiers, notamment dans les quartiers Nord, mais aussi certaines zones économiques, comme la Valentine. Un déficit qui a des conséquences très concrètes, et inquiétantes. En 2019, selon une estimation réalisée par la majorité portée alors par Jean-Claude Gaudin, le manque de transports en commun à Marseille serait à l’origine de 3 % de chômage, déjà au-dessus de la moyenne nationale.
Des projets sont pour le moment dans les tiroirs… mais avec des échéances bien lointaines en raison là encore, selon les responsables politiques locaux, d’un budget trop faible face à l’enjeu. Dans une interview accordée à 20 Minutes au début de l’année 2021, la présidente LR de la métropole Martine Vassal ne cachait pas compter sur un coup de pouce financier conséquent de l’Etat pour « rattraper le retard, dans le cadre du plan de relance ». « Si on a des financements plus rapides, on fera des transports beaucoup plus rapidement, estimait-elle. On continuera à avancer sur les études d’impact. Le prolongement du métro verra le jour en 2030. Ça fait loin ! »
Une explosion de règlements de comptes
Au printemps dernier, alors que déjà se préparait la venue d’Emmanuel Macron à Marseille, la question n’était pas vraiment à l’ordre du jour. Mais depuis, la cité phocéenne, en proie à des guerres de réseaux sans fin sur fond de trafic de stupéfiants, a traversé un été meurtrier comme elle en a rarement connu. Pas moins de douze personnes ont péri depuis le 15 juin dans des règlements de compte.
« Depuis le début de l’année, on voit que ces huit mois sont scindés en deux, analysait récemment la procureure de la République de Marseille Dominique Laurens lors d’une conférence de presse sur le sujet. Sur les six premiers mois, nous notions assez peu de règlements de comptes. Il y a eu une accélération à partir du 15 juin, on note une explosion du nombre d’affaires en l’espace de deux mois ».
Un premier renfort policier de 300 policiers en trois ans avait été accordé par le ministère de l’Intérieur, quelques mois après la nomination d’une nouvelle préfète de police qui avait fait du « pilonnage » des trafics sa principale mission. Un effort jugé insuffisant par le maire de Marseille Benoît Payan, qui ne réclame pas moins de 900 policiers supplémentaires à Marseille.