L'essentiel

  • L’annonce d’un projet de Super ligue de foot européen a fait bondir les dirigeants européens, brandissant menaces et grands discours depuis lundi.
  • Pour bloquer une évetnuelle Super ligue, ses opposants devraient passer par une bataille juridique qui s’annonce longue et complexe, sans garantie de victoire, en l’état des traités européens.
  • Vu leurs maigres armes juridiques pour couler la Super ligue, les réactions des politiques peuvent être soupçonnées d'une part d'opportunisme voire de démagogie.

Quel est le point commun entre Emmanuel Macron, Boris Johnson et Viktor Orban ? Ils étaient tous les trois vent debout contre le projet de Super ligue européenne de football, annoncé lundi par 12 clubs parmi les plus riches et les plus primés du Vieux continent. Mardi soir, six clubs anglais se sont finalement retirés du projet, reporté sine die. Cette compétition semi-fermée, puisque 15 des 20 places y auraient été pré-attribuées tous les ans à 15 équipes fondatrices, a provoqué un tollé parmi les politiques. Mais malgré leurs messages indignés, les dirigeants européens ne peuvent pas faire grand-chose pour empêcher une telle compétition de voir le jour, à part se lancer dans une (impossible ?) réforme du droit de l' Union européenne.

Coups de semonce politiques

En France, le projet a suscité l’unanimité contre lui, du Rassemblement national au Parti communiste, et jusqu’au sommet de l’Etat. « Le président de la République salue la position des clubs français de refuser de participer à un projet de Super Ligue européenne de football, menaçant le principe de solidarité et le mérite sportif », faisait savoir Emmanuel Macron dimanche soir.

Son homologue hongrois Viktor Orban, pas si souvent à l’unisson de Paris, annonçait lui aussi qu’il soutenait « l’UEFA, la Fifa et la Fédération hongroise de football (MLSZ) dans l’intérêt de la protection de l’intégrité des compétitions des fédérations au niveau national ou européen ». Côté britannique, Boris Johnson a fait monter la pression mardi en annonçant qu'« aucune mesure [n’était] écartée » par son gouvernement pour faire couler le projet de Super Ligue européenne dissidente. Mais comment empêcher une telle initiative, concrètement ?

Paris veut changer le droit européen

Il faut regarder du côté du droit de la concurrence, estime Sacha Houlié, avocat et député La République en marche de la Vienne. « L’Union européenne est compétente pour empêcher les concentrations économiques, la Commission pourrait refuser la création d’une Super ligue, qui se ferait sous la forme d’une société commerciale, car elle concentrerait des revenus entre quelques clubs ». Une source proche de l’Uefa indique à 20 Minutes que c’est effectivement sur la législation européenne sur la concurrence que peuvent miser les opposants à la Super ligue. Problème, le vice-président de la Commission a justement évacué cette possibilité mardi. « Ce n’est pas de la compétence de la Commission. Ce sont [l’UEFA et les fédérations nationales de football] qui devront trouver des solutions à ces problèmes », a déclaré Margaritis Schinas au quotidien italien Il Messaggero.

C’est semble-t-il la piste d’une réforme du droit européen que favorisait l’Elysée, selon Le Parisien. Un combat qui s’annoncerait long, et loin d’être gagné d’avance, selon les spécialistes du droit du sport que nous avons consultés, tous critiques des vives réactions des leaders européens. « Elles sont désolantes, car les politiques semblent totalement ignorer le droit lorsqu’ils qualifient de potentiellement illégal ce projet », déplore Thierry Granturco, avocat spécialiste du droit du sport. « Cette Super ligue est conforme au droit européen, aussi bien aux traités qu’à la jurisprudence, donc pour la contrecarrer, il faut changer le droit positif », développe-t-il :

« « Au même titre qu’il y a une exception culturelle, le droit européen pourrait intégrer une exception sportive, qui préciserait que les règles de concurrence dans ce secteur économique sont dérogatoires du droit commun. Cela permettrait aux fédérations sportives, qui ont aujourd’hui le monopole de l’organisation des compétitions, d’abuser de leur position dominante sur le marché. Et cela rendrait la création de championnats concurrents quasiment impossible ». »

En l’état actuel du droit, cette Super ligue pourrait donc concurrencer les compétitions organisées par l’UEFA et les fédérations nationales. Mais ce championnat serait-il conforme avec le principe de libre-concurrence ? A priori, les trois quarts des places seraient pré-attribués aux clubs fondateurs, excluant les autres équipes, ce qui pourrait s’apparenter à un système anti-concurrentiel.

Le casse-tête juridique se complexifie lorsque l’on jette un oeil à la décision de Bruxelles concernant le patinage de vitesse. En décembre 2020, le tribunal de l’Union européenne a considéré dans une affaire de patinage que « le fait qu’une fédération vise à protéger ses intérêts économiques n’est pas en lui-même anticoncurrentiel ». En d’autres termes, l’UEFA et la FIFA seraient légitimes à se défendre face au projet de Super ligue.

Un combat long… et voué à l’échec ?

Si les dirigeants européens veulent vraiment interdire la Super ligue, une réforme du droit européen pourrait se faire via une directive européenne ou un règlement. Dans les deux cas, ce chantier n’aurait guère de chance d’aboutir avant 2022, si les 27 parvenaient à se mettre d’accord. Le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Clément Beaune a en tout cas évoqué mardi sur France info la présidence française de l’UE, au premier semestre 2022, comme horizon d’action.

Mais cette perspective n’est guère crédible pour Colin Miège, auteur de Sport et droit européen (L’Harmattan, 2017) :

« « Une directive doit respecter les traités européens, or la libre concurrence est inscrite à l'article 101, comme un principe fondateur de l’Union. Je vois mal comment on pourrait fabriquer un texte législatif qui irait à l’encontre de ce sacro-saint pilier de l’UE, sauf à réécrire les traités. Et comment imaginer qu’on le ferait pour faire plaisir aux fédérations ? » »

Le président du comité scientifique du think tank Sport et Citoyenneté rappelle que Nicolas Sarkozy avait déjà plaidé pour l’instauration d’une exception sportive lors de la présidence française de l’UE en 2008, en vain. D’où son sentiment que ces déclarations des dirigeants ne sont que de la « gesticulation politique ».

Boris Johnson dans les cages.
Boris Johnson dans les cages. - Toby Melville/AP/SIPA

Souci de popularité politique

Une gesticulation qui peut même prêter à sourire, quand les libéraux Boris Johnson et Emmanuel Macron envisagent de couler la Super ligue en ayant recours à des leviers anticoncurrentiels. « La position de Boris Johnson peut surprendre, mais vu l’ampleur que ça prend, et le choc que génère ce projet chez les supporteurs de foot, ça se comprend », relève le marcheur Sacha Houlié. « Aucun politique ne se risquerait à défendre ce projet de Super ligue, il est trop impopulaire ».

« Pendant les dernières décennies, les hommes politiques n’ont pas dit grand-chose face à l’évolution du football, vers plus de libéralisme et de capitalisme, dont la création de cette Super ligue n’est que la suite logique », observe André Gounot, historien du sport à l’université de Strasbourg. « On peut soupçonner qu’ils réagissent par souci de popularité, d’image, car les fans de foot sont très nombreux ». Un pari politique peut-être hasardeux au départ, mais qui a certainement contribué à affoler les clubs anglais mardi, puis italiens ce mercredi, juste à temps.