Affaire des écoutes : Pourquoi les politiques attaquent-ils le parquet national financier après la condamnation de Sarkozy ?
JUSTICE•Après la condamnation de l’ancien chef d’Etat, les critiques pleuvent, à droite et à l’extrême droite, contre le PNF, parquet spécialisé créé en 2013Laure Cometti
L'essentiel
- Nicolas Sarkozy a été condamné lundi à trois ans de prison dont un ferme pour « corruption et trafic d’influence » dans l’affaire dite des « écoutes », une décision dont il fera appel.
- C’est le parquet national financier qui avait ouvert cette enquête visant l’ancien président de la République, en 2014.
- Des politiques, surtout de droite et du RN, critiquent le PNF, qu’ils accusent de jouer un rôle politique et de cibler l’opposition.
Certes, l’ancien président de la République, qui va faire appel de sa condamnation dans l'affaire des écoutes, a épargné le parquet national financier ce mercredi soir, dans le journal télévisé de TF1, niant l’accusation de « justice politique ». « Le PNF est une institution que je respecte […]. Je ne demande la dissolution d’aucune institution », a ajouté Nicolas Sarkozy. Mais depuis sa condamnation à trois ans de prison dont un ferme, lundi, une partie de l’opposition fustige le parquet national financier et l’accuse de jouer un rôle politique. Les critiques contre ce parquet spécialisé, créé en 2013 après l’affaire Cahuzac, ne sont pas nouvelles, mais le jugement ravive les controverses.
C’est le PNF qui, le 26 février 2014, avait ouvert une information judiciaire pour « trafic d’influence », conduisant à la mise en examen de Nicolas Sarkozy au mois de juillet de la même année. A partir du 23 novembre 2020, l’ancien chef de l’Etat a été jugé par la 32e chambre correctionnelle de Paris, et c’est sa présidente, Christine Mée, qui a prononcé la condamnation. Le PNF représentait l’accusation lors du procès, et avait requis quatre ans de prison, dont deux avec sursis.
- Pourquoi le PNF est-il critiqué ?
Au lendemain du verdict, l’avocate de Nicolas Sarkozy, Jacqueline Laffont, a estimé que « le PNF a été très habile dans sa communication en instrumentalisant un combat qui est un combat purement juridique ». La droite a tiré à boulets rouges. « Il y aura un avant et un après cette affaire Sarkozy, que je lie quand même très fort à l’affaire Fillon », a affirmé mardi soir la sénatrice Les Républicains des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer. « Sans le PNF, je pense qu’Emmanuel Macron ne serait pas président de la République », ajoute-t-elle en référence à l'enquête visant François Fillon ouverte par le PNF pendant la campagne présidentielle de 2017.
Ces critiques ne sont pas nouvelles à droite : dans la foulée de la condamnation de François Fillon justement, en juin 2020, le député LR des Alpes-Maritimes Eric Ciotti avait annoncé le dépôt d'une proposition de loi pour le supprimer.
La patronne du Rassemblement national a elle aussi tancé le parquet spécialisé dans la grande délinquance économique et financière. « C’est devenu le parquet de l’opposition : à chaque fois qu’un responsable politique d’opposition a une difficulté, on confie cela au PNF, cela pose un problème d’impartialité », a-t-elle estimé mardi sur Europe 1. Evoquant l’affaire Fillon et ses propres ennuis judiciaires, elle a affirmé que « la justice ne s’est pas comportée de la même manière avec les candidats qu’avec n’importe quel quidam, et a cherché clairement à influer directement sur l’élection. Or je ne souhaite pas que les magistrats fassent la primaire de la présidentielle. »
- Ces critiques se cantonnent-elles à la droite ?
Les avis varient en fonction des tendances politiques. Le PS défend le PNF, né sous le quinquennat de François Hollande. L’ancien ministre Michel Sapin a déclaré mardi à L'Express que sa création constitue « une très belle réussite ». Pour le député La République en marche Didier Paris, « dire que le PNF est un organe politique est absolument faux ». « Sur les 600 à 700 procédures en cours, seules quelques poignées concernent des hommes et des femmes politiques », souligne le rapporteur de la commission d'enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Le parlementaire de la Côte-d’Or estime que les réactions de la droite sont « une forme d’instrumentalisation politique, car la décision n’est pas celle qu’elle souhaitait ».
Le député insoumis Ugo Bernalicis observe que « la droite a une stratégie de défense qui est une stratégie de rupture », remettant en cause la légitimité de l’enquête sans parler du fond. Quant aux critiques sur l’indépendance du PNF, l’élu les partage en partie. « Quoi que fasse le PNF, il sera toujours soupçonné [de partialité], car en France le parquet n’est pas indépendant de l’exécutif. Tant que cette question n’est pas réglée, il y a potentiellement un cocktail explosif en confiant à un procureur l’enquête sur des affaires politico financières. » Pour y remédier, La France insoumise plaide pour une réforme d’ampleur de la justice française et, en attendant, pour une hausse des moyens alloués au PNF, qui compte 18 magistrats.
- Les attaques sont-elles fondées ?
La question de la séparation des pouvoirs, en l’occurrence entre la justice et l’exécutif, fait régulièrement débat en France. Mais ce soupçon de manque d’indépendance de la justice peut s’appliquer à tous les parquets, et pas uniquement au PNF, souligne Julie Gallois. « Les magistrats du parquet sont placés sous l’autorité du garde des Sceaux, qui fait partie de l’exécutif », rappelle la maîtresse de conférences à l’université de Lorraine, et membre de l’Observatoire de l’éthique publique. « Il peut leur donner des directives générales, mais n’a pas à livrer d’instructions pour des affaires. »
Par ailleurs, « le procureur financier est un magistrat spécialisé dans les infractions d’affaires dans lesquelles ce sont souvent des politiques qui sont impliqués ». « Et ce sont des personnalités publiques, donc les enquêtes sont médiatisées, et tous ces éléments peuvent donner l’impression que le PNF s’acharne contre les politiques », poursuit Julie Gallois.
Un effet de loupe, en somme, alors que le PNF a aussi lancé des investigations à l’encontre d’entreprises, dont Airbus, Veolia ou Lycamobile. Les membres de la majorité ne sont pas non plus épargnés, et le parquet a ouvert une enquête sur l'emploi des filles du socialiste Bruno Le Roux à l’Assemblée en mars 2017, sous le quinquennat de François Hollande. En juin 2018, le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler, proche d’Emmanuel Macron, a lui aussi été visé par une enquête, classée sans suite en août 2019.
« Le PNF est ici un prétexte : si on le supprime, ça ne règle pas le problème », estime Julie Gallois, qui souligne toutefois que plusieurs épisodes ont pu alimenter les « controverses » sur ce parquet : le témoignage de l’ex-procureure financière Eliane Houlette, et les enquêtes demandées par les ministres de la Justice Nicole Belloubet puis Eric Dupond-Moretti, justement au sujet de l’affaire des écoutes de Nicolas Sarkozy.
Les critiques devraient vraisemblablement ressurgir en novembre prochain, lors du procès en appel de François Fillon, voire bien plus tôt, dès le mois d’avril et la présentation de la réforme de la justice du gouvernement.