INTERVIEWQuel a été l’impact du Covid sur le rapport entre Français et politiques ?

Coronavirus : « La communication sur les masques a laissé des traces » sur le rapport des Français avec la politique

INTERVIEWLe politologue Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof, commente la dernière enquête sur la confiance des Français, publiée ce lundi par le Centre de recherches politiques de Sciences Po
Thibaut Le Gal

Propos recueillis par Thibaut Le Gal

L'essentiel

  • Le Cevipof, le centre de recherches de Sciences po, a publié ce lundi son enquête annuelle sur la confiance des Français.
  • Avec la crise sanitaire, le rapport entre citoyens et politiques a-t-il évolué ?
  • « On remarque une vraie demande de protection de la part des Français », commente le politologue Bruno Cautrès, co-auteur de l’étude.

Avec la persistance du coronavirus, le moral ne va pas fort. « Lassitude » et « morosité » sont en forte hausse dans le pays, selon le traditionnel baromètre du Cevipof sur la confiance des Français,* publié ce lundi. La crise sanitaire a également un impact sur le rapport entre citoyens et politiques. On en parle avec Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof et co-auteur de l’étude.

Bruno Cautrès, politologue, chercheur au Cevipof
Bruno Cautrès, politologue, chercheur au Cevipof - IBO/SIPA

Quel impact la crise sanitaire a-t-elle eu sur l’état d’esprit des Français ?

On voit que la lassitude (41 %, +13 points en un an) et la morosité (34 %, +12 points) sont en forte augmentation dans le pays, bien plus haut qu’en avril dernier, lors du premier confinement. La morosité est aussi plus haute que lors des périodes d’attentats en 2015, cela montre que le climat est lourd et pesant. En douze ans d’enquête, on s’est aperçu que ce climat négatif est plus structurel que dans les autres pays européens. La population française a un filtre assez négatif, les Français sont plutôt pessimistes.

Y a-t-il toutefois des motifs d’espoirs ?

Les Français maintiennent leur confiance dans les institutions publiques, celles qui s’occupent de leur quotidien, l’Etat protecteur à la française : les hôpitaux (81 % de confiance, +1), l’école (73 %, +3), les institutions publiques régaliennes (la police, 69 %, +3 ou l’armée 77 %, +1). Ils sont également moins inquiets de la situation financière actuelle de leur foyer (48 %) que celle du pays (84 %). C’est sans doute lié aux mesures d’accompagnements des derniers mois.

Qu’en est-il des politiques ?

La confiance est en hausse pour toutes les personnes qui exercent des responsabilités. C’est un réflexe normal en cas de crise. Mais on remarque toujours un décalage très important selon les postes : 65 % des Français font confiance à leur maire (+2), 51 % à leurs conseillers régionaux (+7), mais seulement 44 % font confiance à leur député (+7), 34 % au Premier ministre (+3) et 37 % au président de la République (+7). Même s’il y a une confiance plus forte, l’incarnation nationale reste très loin du niveau local.

Est-ce en raison de la gestion de la crise sanitaire ?

Seuls 37 % des Français estiment que le gouvernement gère bien la crise sanitaire. On est loin des 56 % en Allemagne, 52 % en Italie, ou 48 % au Royaume-Uni. Cet écart entre la France et ses voisins s’est maintenu depuis un an, alors que le gouvernement assure qu'il fait mieux que le reste des pays européens. Cela s’explique bien entendu par la traditionnelle défiance politique dans notre pays. Mais la communication de début de crise sur les masques a aussi laissé des traces. Tout comme les interrogations sur les tests, le traçage, ou la vaccination.

Le niveau de la confiance envers les partis politiques est très bas (16 %) par rapport à la confiance envers les scientifiques (75 %). Les politiques disent pourtant s’être appuyés sur les scientifiques pour gérer la crise…

Si les Français ont confiance dans le personnel hospitalier, l’omniprésence des experts dans les médias a eu des conséquences. Ce que l’on remarque, dans l’enquête, c’est que la possibilité que « ce soient des experts et non un gouvernement qui décident » fait moins recette qu’auparavant. Un tel système est soutenu par 47 % de personnes, soit 5 points de moins que lors de la dernière enquête.

Le système politique préféré reste le système démocratique, mais plusieurs indicateurs montrent une demande d’un pouvoir moins vertical, de renouvellement démocratique, plus en proximité des gens. 80 % pensent toujours que les politiques ne se préoccupent pas du tout ou peu de leur avis.

Les Français ont-ils de nouvelles attentes des politiques ?

Il y a une insatisfaction sur le fonctionnement démocratique, et sur notre méritocratie par rapport aux autres pays européens. 57 % pensent qu’il faut avoir des relations pour réussir dans la vie. La promesse d’émancipation était pourtant au cœur du projet initial d’Emmanuel Macron.

On remarque par ailleurs une vraie demande de protection de la part des Français, plus que chez leurs voisins européens. Aucun indice ne montre une volonté de réduire notre modèle social et 44 % estiment que la France doit se protéger davantage du monde désormais (+6 points), contre 19 % qui souhaitent plus d’ouverture. On retrouve cet élément sur la question de l’immigration, puisque 63 % des Français souhaitent que le pays se ferme davantage sur la question migratoire.

* Enquête réalisée en ligne par Opinionway du 20 au 31 janvier auprès de 2.105 personnes inscrites sur les listes électorales, issu d’un échantillon de 2.294 personnes représentatif de la population française suivant la méthode des quotas. Marge d’erreur de 1 à 2,2 points au plus pour 2.000 répondants.