Le corps, élément de la communication des hommes politiques ?
APPARENCE•Trop souvent commenté chez les femmes politiques, quelle place joue le corps et le physique chez leurs partenaires masculins ?
Jean-Loup Delmas
L'essentiel
- Dans une dépêche de Challenges, l’Elysée se réjouit du changement d’aspect physique d’Emmanuel Macron, qui aurait pris quelques kilos.
- Le corps est-il un outil politique, ou une contrainte, pour les hommes politiques ?
- Loin des injonctions féminines, le physique est néanmoins incontournable chez les politiques XY.
Dans une brève de Challenges publiée ce jeudi, l’Elysée annonce qu’Emmanuel Macron a (re) pris quelques kilos, ce qui lui donnerait « plus de densité » et de « maturité » sur les photos selon une source de la présidence. Cette ode un peu ridicule au « body positive » présidentiel interroge : quelle place pour le physique dans l’image des hommes politiques ?
Bien moins commenté que celui des femmes politiciennes, le physique n’en reste pas moins important pour l’image des hommes en politique. Au point de passer par des subterfuges, comme les talonnettes de Nicolas Sarkozy ou ses poignées d’amour photoshopés dans Paris Match, voire une mise au régime sec avec les kilos perdus par François Hollande en 2012 pour avoir l’air plus présidentiable. Faut-il être beau et svelte pour être élu ? Sophie Jehel, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-8 nuance : « Les canons de beauté sont moins exigeants à l’égard des hommes politiques qu’à l’égard des femmes, mais même si moins commentés, le corps des hommes reste très présent dans leur communication. »
Un esprit sain dans un corps sain
Et encore plus au fil des années, où la peopolisation des hommes politiques a pris de l’importance, précise Alexandre Eyries, enseignant-chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Bourgogne Franche-Comté. Pour lui, « désormais le corps d’un politique est aussi important que son discours, ou du moins autant scruté ».
Plus qu’être un canon esthétique à proprement parler, il s’agira de paraître en forme et charismatique. « On ne demande pas nécessairement à un politique homme d’être beau, mais on veut qu’il soit suffisamment imposant pour qu’on tourne la tête quand il arrive quelque part. Le physique compte moins que la présence physique », détaille Laurent Jauffret, conseiller en stratégie et communication politique.
Sophie Jehel se remémore la bataille médiatique des footings entre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy, lorsque les deux courraient après la place de candidat présidentiable pour 2007. Elle appuie : « Pour un homme politique, le corps est une manière de délivrer des messages sur son dynamisme et sa vitalité. » D’ailleurs, dans la dépêche de Challenges, avant même de parler densité et maturité, les kilos supplémentaires d’Emmanuel Macron sont vus comme « une remise en forme » après avoir contracté le coronavirus.
Prendre la communication à bras-le-corps
Pourtant, nos présidents n’ont pas tous été des canons de beauté ou des champions du marathon. Comment l’expliquer ? Alexandre Eyries : « Il n’y a pas d’injonction, seulement des contraintes. On adapte son discours et sa communication à son physique. Un président à l’aspect banal comme a pu l’être François Hollande a surjoué le président normal, tandis qu’avec un physique similaire, Nicolas Sarkozy a surjoué lui l’homme en forme pour compenser cela. »
Au point qu’avec l’évolution physique et l’âge, certains politiques changent de rôle. Ce fut le cas notamment de Jacques Chirac, ce que remémore Laurent Jauffret : « Le Chirac du début avec son physique filiforme de jeune aux dents longues avait un discours beaucoup plus offensif et une communication bien différente que le Jacques Chirac président », s’appuyant sur l’aspect sympathique de son visage et son côté proche de la population. Si les hommes échappent aux injonctions, « le rôle que chacun joue en politique ne peut trop s’éloigner de ce que leur physique renvoie. Ils ne peuvent s’émanciper de leur corps », appuie l’expert en communication.
Une communication risquée
Et c’est peut-être bien là tout l’enjeu pour Emmanuel Macron. Laurent Jauffret : « Dans sa campagne de 2017, il jouait lui aussi au jeune premier, et son physique s’y prêtait, mais après cinq ans de pouvoir, surtout aussi riche en évènement avec les crises politiques et sanitaires, il ne peut plus reprendre ce rôle ». Son évolution physique servirait alors à jouer au père de la nation, même si Laurent Jauffret craint pour le président que plus que les kilos, « ce sont quelques années qui manquent pour interpréter physiquement ce rôle. »
Une bonne stratégie malgré tout, de changer de corps pour changer de stature ? Pas certain que le timing ait été très bon pour le président. Au-delà des moqueries sur la brève de Challenges, Sophie Jehel note que de nombreux commentaires se sont indignés, mettant en comparaison cette joie d’une prise de poids et les files d’attente d’étudiants dans les rues pour les aides alimentaires avec la crise sociale et sanitaire : « Se réjouir d’une abondance en ce moment, c’est avant tout une faute de communication. » Il y a ce que le corps renvoie, mais il y a avant tout ce que les mots disent.