Référendum en Nouvelle-Calédonie : « Il faut vraiment que ce résultat s’accompagne d’un dialogue entre les partis »
INTERVIEW•Sarah Mohamed-Gaillard, maîtresse de conférences à l’Inalco, analyse pour « 20 Minutes » les résultats du référendum en Nouvelle-CalédoniePropos recueillis par Rachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- Les citoyens et citoyennes de Nouvelle-Calédonie étaient à nouveau appelés à se prononcer sur l’indépendance de leur archipel.
- Une nouvelle fois, le « non » l’a emporté mais, une nouvelle fois aussi, le score du « oui » surprend : l’écart entre les deux options est passé en deux ans de 18.000 à 10.000 voix.
- De quoi faire rêver les indépendantistes en vue d’un probable troisième référendum mais qui, quel que soit son résultat, ne réglera rien, pour Sarah Mohamed-Gaillard, spécialiste interrogée par 20 Minutes.
C’est raté, mais pas de beaucoup, doivent peut-être se dire les indépendantistes de Nouvelle-Calédonie. Ce dimanche, lors du second référendum organisé dans le cadre des accords de Nouméa (1998) le « non » à l’indépendance l’a à nouveau emporté. Mais, comme en 2018 lors de la première consultation, la force du score du camp du « oui » surprend. Donnée complètement hors jeu en 2018, 43,3 % des Néocalédoniens avaient pourtant fait le choix de l’indépendance. Cette année, cette option gagne encore plus de trois points, à 46,74 %. L’écart entre « non » et « oui » est passé de 18.000 à 10.000 voix en seulement deux ans.
Or, les accords de Nouméa prévoient qu’un troisième référendum peut encore être organisé, l’affaire n’est donc pas terminée. Pour analyser le résultat de ce deuxième référendum, 20 Minutes a fait appel à Sarah Mohamed-Gaillard, maîtresse de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
En 2018 déjà la victoire des loyalistes avait été décevante au niveau du score. Peut-on à nouveau parler de victoire en trompe l’œil pour le camp du « non » ?
Oui, clairement. C’est le « non » qui l’emporte mais il y a eu une très forte mobilisation des citoyens calédoniens et la progression de mobilisation va du côté des indépendantistes. Les loyalistes, ou non-indépendantistes, peu importe comment on les appelle, espéraient avoir un écart un peu plus fort pour échapper au troisième référendum (possible dans les accords de Nouméa en 1998, N.D.L.R.). Alors que là, avec cet écart qui se réduit, les indépendantistes, qui ont gagné trois points, doivent se dire qu’en gagnant à nouveau trois points on est quasiment au coude à coude, ça peut passer. Donc ça va les conforter dans leur volonté d’aller vers un troisième référendum.
Comment expliquer cette progression du « oui », plus nette qu’attendue ?
En 2018, lors du précédent référendum, il y avait eu une participation record pour la Nouvelle-Calédonie mais il y avait quand même autour de 20 % d’abstentionnistes. Il y avait donc une marge de progression de ce côté-là. En 2020, la participation a encore été plus forte. Clairement, une partie de ceux-là ont voté pour l’indépendance. Prenons l’exemple de l’île d’Ouvéa, où, en 2018, il y avait eu un appel au boycott du vote. C’est un secteur qui a voté à 86 % pour le « oui » aujourd’hui. Et puis les indépendantistes ont fait une très bonne campagne électorale, notamment à l’égard de la jeunesse. Et pas seulement la jeunesse kanake, la jeunesse calédonienne. Comme en 2018, ils ont été très actifs sur les réseaux sociaux et je pense qu’ils ont réussi à atteindre des jeunes qui, pour certains votaient pour la première fois. Puisque même si la liste électorale est figée aux citoyens calédoniens, elle est quand même glissante (puisque les personnes nées sur place font peu à peu leur entrée sur la liste, N.D.L.R.). Et la démographie est plus favorable aux Kanaks : il y a plus de jeunes kanaks que de jeunes européens qui sont arrivés au scrutin pour la première fois.
Il est probable qu’un troisième référendum aura lieu en 2022. La victoire du « oui » est-elle possible dans deux ans, vu la dynamique, ou les indépendantistes sont-ils arrivés au plafond de verre, la participation étant déjà presque au taquet ?
C’est très difficile de répondre à cette question : toutes les personnes qui tentent des pronostics depuis 2018 se trompent. Dans tous les cas, ce qu’il faut retenir, quels que soient les résultats des référendums, c’est que ça ne résoudra pas la question. C’est-à-dire que les indépendantistes vont rester indépendantistes et les loyalistes voudront rester dans le giron de la France. La seule façon de résoudre le problème c’est de dialoguer. Vous imaginez si le « oui » l’emporte à 50,2 % ? Ce serait une indépendance avec la moitié de la population contre. Et idem dans le sens inverse. Les frustrations terribles de part et d’autre rendraient la situation très dangereuse. Il faut donc vraiment que ce résultat s’accompagne d’un dialogue entre les partis calédoniens mais aussi entre ces partis et la France.
L’Etat a donc un rôle à jouer dans ce contexte, mais quand on regarde l’intervention du président Macron on peut avoir l’impression que la neutralité de Paris confine au désintérêt. C’est un sentiment que vous partagez ?
L’Etat est dans une position difficile puisqu’il est arbitre et en même temps partie prenante puisque historiquement la France est l’Etat colonial. Mais ce qui est quand même frappant dans les allocutions qui ont pu avoir lieu aujourd’hui c’est que les indépendantistes et les loyalistes ont vraiment regretté de ne pas avoir eu de contacts avec le gouvernement depuis la nomination de Jean Castex comme premier ministre. Ce qui est assez surprenant. On peut le comprendre avec la crise du Covid-19 en France, mais de manière générale il y a quand même un grand désintérêt politique et même médiatique pour ce qu’il se passe en Nouvelle-Calédonie : ce référendum a encore été moins couvert que le premier.
Edouard Philippe, lui, marchait vraiment dans les pas de Michel Rocard (qui avait fait signer les accords de Matignon, en 1988, N.D.L.R.). Sa visite sur place, ses prises de paroles étaient vraiment maîtrisées, millimétrées, dans une filiation rocardienne évidente. Là, je ne sais pas s’il y a un désintérêt mais il n’y a pas de prise de parole forte. C’est assez surprenant alors que l’enjeu est important : c’est un territoire français qui pourrait sortir du cadre national et ça semble être un non-sujet.
Cette « absence » n’est-elle pas un formidable argument pour les indépendantistes ?
Je ne sais pas si c’est un argument car je ne crois pas que les indépendantistes se positionnent par rapport à leur dialogue avec la France. Ce qui est certain, en revanche, c’est que ça peut attiser de l’amertume ou des regrets chez les non-indépendantistes qui peuvent se sentir un peu lâchés. Mais il y a des signaux contradictoires puisque lors de ces référendums, les loyalistes ont été autorisés à arborer le drapeau français sur leur matériel électoral, ce qui avait été interdit en 2018. La parole du gouvernement n’existe donc pas vraiment, mais il y a des signes ambigus, puisqu’on pourrait dire que, là, l’Etat est un peu sorti de son rôle d’arbitre.