Le projet de loi sur la recherche scientifique critiqué pour son manque d'ambition
INVESTISSEMENT•Destiné à redonner du souffle à un système affaibli par un sous-investissement chronique, le projet de loi sur la recherche fait l’objet de nombreuses critiques20 Minutes avec AFP
Le projet de loi sur la recherche, attendu mercredi en Conseil des ministres, promet un investissement inédit pour revigorer un système anémié. Mais il fait face à un flot de critiques, qui l’accusent de manquer d’ambition et d’aggraver la précarité dans le monde scientifique.
Maintes fois repoussé depuis son lancement par Edouard Philippe début 2019, ce texte doit être présenté en Conseil des ministres – après deux reports – en vue d’un examen au Parlement en septembre. Sans avoir été modifié, malgré plusieurs mois d’une contestation inédite chez les chercheurs.
Injecter 25 milliards d’euros en dix ans
Son ambition : redonner du souffle à un système affaibli par un sous-investissement chronique. Le projet de loi pluriannuel de la recherche, appelé « LPPR », dessine ainsi une trajectoire budgétaire réinjectant 25 milliards d’euros sur les dix prochaines années, pour permettre à la France de garder son rang dans une compétition scientifique mondiale qui s’intensifie.
« Il n’y a pas eu un investissement équivalent dans la recherche depuis les années 1950 », assure la ministre de la Recherche Frédérique Vidal, dont l’objectif est que le budget de la recherche publique atteigne 1 % du PIB (contre 0,7 % actuellement), niveau auquel la France s’est engagée il y a vingt ans.
Ces 25 milliards d’euros doivent être injectés par paliers, pour qu’en 2030 le budget atteigne 20 milliards d’euros par an, soit 5 milliards de plus qu’aujourd’hui. Une part importante vise à revaloriser les carrières des chercheurs, pour les rendre plus attractives.
« Pas à la hauteur »
Mais après des décennies de coupes claires, l’enveloppe globale est jugée largement insuffisante par les détracteurs du texte, de plus en plus nombreux. Mobilisés depuis janvier, syndicats et collectifs du monde universitaire ont multiplié les actions – rassemblements, pétitions, tribunes, grèves des revues, journées « fac mortes »… – et envoyé plusieurs milliers de personnes dans la rue début mars, pour réclamer le retrait d’une loi « inique » à leurs yeux.
Plusieurs instances consultées ces dernières semaines ont aussi émis de sérieux doutes. Dans un avis cinglant rendu fin juin, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a notamment estimé que l’investissement prévu n’était « pas à la hauteur des défis » auxquels la France doit faire face. Les 400 millions d’euros qui seront investis en 2021, relève-t-il, représentent moins que l’investissement de 2020 (500 millions). Et le gouvernement « fait peser les efforts annoncés essentiellement sur les deux quinquennats suivants », ce qui ne l’engage en rien, selon le Cese.
Mêmes critiques du côté de l’Académie des sciences, qui a fait part de sa « déception ». « L’effort budgétaire, modeste et étalé sur dix ans, ne permettra certainement pas d’assumer » les ambitions affichées, estiment les membres de l’Académie pour lesquels il manque « au moins une quinzaine de milliards d’euros supplémentaires d’ici 2030 ».
La crainte d’une « explosion de la précarité »
Au-delà du budget, c’est la philosophie même du texte qui est décriée et sa mesure phare visant à distribuer les nouveaux financements principalement par des appels à projets, en renflouant l’Agence nationale de la recherche (ANR) à hauteur d’un milliard d’euros.
Pour les opposants, ce renforcement de la recherche sur projets se fera au détriment des financements pérennes, dits « de base », des laboratoires, dont beaucoup se trouvent déjà fragilisés. Ils y voient l’avènement d’une recherche « compétitive et sélective » au profit de quelques-uns, et nuisant à la liberté académique.
Autre point de crispation : le volet social de la LPPR, qui crée des voies parallèles de recrutement pour attirer les jeunes scientifiques, dont des « parcours de titularisation » à l’américaine, un contrat permettant d’accéder à une titularisation au bout de six ans maximum.
Ces « chaires de professeurs juniors » pourraient aller jusqu’au quart des créations de postes de directeurs de recherche et de professeurs. Avec la mise en place de « CDI de mission scientifique », elles sont vues comme une « liquidation des statuts » par la majorité des syndicats qui redoutent une « explosion de la précarité », alors qu’un quart des effectifs de la recherche sont déjà non permanents, comme l’a souligné le Cese.