EXCLUSIF. Municipales 2020 à Paris : « Rachida Dati, c’est le Paris de la bagnole et de l’entre-soi », tacle Anne Hidalgo
INTERVIEW•Anne Hidalgo, maire sortante et candidate, a répondu ce mercredi aux questions de « 20 Minutes » dans son bureau de l’Hôtel de ville (4e arrondissement)Propos recueillis par Thibaut Le Gal et Romain Lescurieux
L'essentiel
- Après six ans passés à l'hôtel de ville de Paris, Anne Hidalgo est de nouveau candidate.
- La maire socialiste a répondu ce mercredi aux questions de « 20 Minutes » dans son bureau de l'Hôtel de ville.
- Elle revient sur son bilan et attaque sa principale adversaire, la candidate de droite Rachida Dati.
Une campagne des municipales éclair rythmée par des rebondissements. « Même les meilleures fictions, type Baron Noir, n’ont pas imaginé un tel scénario », lâche Anne Hidalgo, ce mercredi. Alors que la crise du coronavirus perturbe l’élection, la maire de Paris veut d’ores et déjà prendre les devants et proposera, si elle réélue, un plan de 100 millions d’euros d’aide pour « soutenir l’économie parisienne ».
Imagine-t-elle Rachida Dati dans son fauteuil ? « Ce serait un retour en arrière terrible pour les Parisiens », tacle-t-elle. Radicalité, passions, PSG et fête techno… L’élue socialiste a répondu aux questions de 20 Minutes.
Avec la crise liée au coronavirus, vous avez annoncé ce mardi soir, lors du second débat entre les principaux candidats à la mairie de Paris, que votre première mesure en cas de réélection serait de soutenir l’activité des commerçants par un plan d’action. Pouvez-vous le détailler ?
Je suis très attentive à la menace pour notre santé que constitue le virus, et à la protection qu’il faut apporter aux plus fragiles. Ce qui s’annonce aussi préoccupant, c’est un arrêt de l’économie mondiale. Je souhaite mettre en place un plan de 100 millions d’euros d’aide pour soutenir l’économie parisienne et l’emploi. Si je suis réélue, cette aide sera attribuée dans le cadre d’une grande conférence avec tous les acteurs économiques et sociaux. Je pense aux commerces, à l’artisanat, aux PME, aux acteurs du tourisme et au monde de la culture et du spectacle. Un coup d’arrêt sur l’activité veut dire beaucoup de personnes et d’entreprises en difficulté. Il faut aller vite, avec un vote en urgence au Conseil de Paris, pour éviter des dépôts de bilan et les licenciements.
Vous avez annulé votre meeting de jeudi soir. Comment conciliez-vous la fin de campagne avec ce risque ?
Cette campagne aura été particulière. Même les meilleures séries, comme Baron Noir, n’auraient pas imaginé un tel scénario : quatre semaines avant le vote, on change le candidat du parti présidentiel et, à présent, le coronavirus. Mais je suis maire avant tout : ma responsabilité première, c’est de protéger les Parisiens. Les mesures prises et les préconisations nationales ont été utiles. Ce matin, à Paris, on recensait 46 cas. Dans une ville dense comme Paris, même si ce chiffre va augmenter et que nous allons certainement basculer dans la phase 3, les gestes qu’on a pu prodiguer ont permis de limiter la progression.
Nous avons demandé aux autres candidats quel regard ils portaient sur le mandat d’Anne Hidalgo. Mais vous, quel bilan dressez-vous de vos six années en tant que maire ?
Je suis très fière de mon mandat. On l’a porté avec une large majorité qui est restée unie malgré les épreuves. Aujourd’hui, 40.000 petits Parisiens fréquentent nos crèches, mangent bio. Nous étions à la traîne mais, aujourd’hui, Paris est en avance pour l’accueil de la petite enfance. Par ailleurs, 42.000 logements sociaux ont été financés, produits, créés, et permettent à 550.000 Parisiens de vivre dans la capitale avec des loyers entre 6 et 15 euros le mètre carré. Je suis fière aussi de notre bilan sur la mobilité : les nouvelles places, le tramway, les pistes cyclables, plébiscitées par les Parisiens. Mais aussi la baisse du trafic automobile et de la pollution.
Vos adversaires estiment que la sécurité et la propreté sont vos deux grands échecs. Que répondez-vous ?
Depuis vingt ans, ce sont les sujets de préoccupation majeurs des Parisiens. Sur la sécurité, c’est l’échec du gouvernement actuel. La Cour des comptes est formelle : les policiers nationaux à Paris ne peuvent plus passer que 2,5 % de leur temps sur le terrain. Par manque de moyens, la situation est catastrophique. Les Parisiens ne voient plus les policiers dans la rue. C’est pourquoi je veux créer une police municipale.
Agnès Buzyn (LREM) et Rachida Dati (LR) vous accusent de rejeter la faute sur l’Etat concernant la sécurité, et sur le manque de civisme des Parisiens concernant la propreté…
Il faut être raisonnable et concret. C’est tellement pratique de dire « il y a un papier qui traîne rue des Martyrs, c’est la faute d’Anne Hidalgo ! » Sur la propreté, nous avons pris beaucoup de mesures : j’ai recruté des agents, trouvé des moyens supplémentaires, déployé de nouvelles poubelles, réorganisé les services. Je veux aussi plus de sanctions. Car la saleté est un problème lié à l’évolution de nos modes de vie.
Ce mardi, à la porte de la Chapelle, vous étiez aux manettes d’un engin de chantier pour détruire un ancien parking. Tout un symbole, alors que vos adversaires vous accusent d’avoir « bétonné » la ville ?
Oui, c’est un symbole de démolir des choses qui renvoient à un passé révolu. Un parking désamianté va devenir une arena exemplaire pour les Jeux olympiques. C’est tout le quartier qui va être transformé.
Concernant la bétonisation, le candidat écologiste David Belliard vous reproche régulièrement de défendre des grands projets, comme la tour Triangle ou la ZAC Bercy-Charenton…
Sur la hauteur des immeubles à Paris, le sujet a été tranché en 2008. Je ne vais pas y revenir. Sur la construction, j’ai été la maire qui a le plus dédensifié Paris. Je sais que Les Verts y sont sensibles, on discutera de ces sujets-là en temps voulu. Paris est déjà très dense, mais il faut aussi continuer à proposer du logement pour les classes moyennes, tout en créant des jardins, comme on l’a fait à Clichy-Batignolles ou à Truillot, dans le 11e, notamment. Par ailleurs, sur le mot « bétonisation »… c’est caricatural et ça ne veut pas dire grand-chose. On est justement en train de sortir du béton pour aller vers le bois et des matériaux bio-sourcés.
« Ecologie punitive », dénonce Agnès Buzyn, « la méthode Hidalgo, c’est la brutalité et la contrainte », selon Rachida Dati… Faut-il être radical aujourd’hui concernant l’environnement ?
Je suis atterrée de voir qu’en 2020, dans une ville où a été signé l’accord de Paris, des candidates à la mairie nous expliquent que l’écologie serait une punition ou une simple idéologie. C’est très étonnant, on n’est pas très loin d’une forme de climatoscepticisme. Celles qui expliquent que l’écologie est une punition se disqualifient pour diriger cette ville. La punition, c’est l’absence d’écologie, de ne pas se préoccuper de la qualité de l’air ou de ce qu’il y a dans nos assiettes. Et c’est une punition qui touche avant tout les plus vulnérables.
Madame Dati veut plus de voitures ! Ca fait vingt ans que la droite parisienne nous dit : « Il ne faut rien faire car un jour, il y aura des véhicules propres et le problème sera réglé ! » Vous croyez vraiment qu’on aurait obtenu cette baisse du trafic et de la pollution sans volonté et détermination, ou sans agir parfois de manière radicale ?
Faut-il aller plus loin ? Etes-vous prête à interdire les SUV dans Paris, comme le propose Danielle Simonnet ? Faire payer le stationnement des deux roues ?
Il faut aller plus loin, même si on a fait une bonne partie du chemin. Seuls 35 % des Parisiens ont aujourd’hui un véhicule, les autres se déplacent autrement. Il faut aller vers une ville où la voiture individuelle n’est utilisée que lorsqu’elle est indispensable : les personnes en situations de handicap, les artisans, les commerçants, ceux qui travaillent en horaires décalés, les véhicules d’urgence, les taxis…
Peut-on faire une politique anti-voitures sans exclure les personnes qui habitent en banlieue ?
Je suis la seule candidate à présenter une plateforme commune avec des maires voisins. Leurs habitants aussi veulent la transition écologique. Un sondage montrait que 75 % des habitants du Grand Paris souhaitent que l’on prenne des mesures de diminution du trafic pour faire baisser la pollution [75 % des habitants de la métropole étaient favorables à la mise en place d’une zone à faibles émissions dans le périmètre de l'A86 selon un sondage]. Il faut continuer dans ce sens-là. La ville sera plus agréable à vivre. Qu’on ne m’explique pas, comme le font Madame Buzyn ou Madame Dati, qu’on va pouvoir pacifier la ville en laissant les voitures revenir.
Craignez-vous un front anti-Hidalgo dans l’entre-deux tours, et d’éventuelles tractations entre les Républicains et La République en marche ?
De notre côté, nous sommes clairs : tout le monde sait qui sera maire de Paris si les électeurs votent pour les listes « Paris en Commun » que je conduis. Ca l’est beaucoup moins pour les deux autres familles politiques que vous évoquez. S’il y a un accord entre Rachida Dati et Agnès Buzyn, je ne sais pas qui sera maire et qui sera la première adjointe de l’autre.
Comment imaginez-vous Paris si la ville était dirigée par Rachida Dati ?
Je ne l’imagine même pas. Ce serait un retour en arrière terrible pour les Parisiens. Quand on entend son discours sur l’écologie, c’est le retour au Paris de la bagnole qu’elle propose. Mais c’est aussi le Paris de l’entre-soi, sans logement social. D’ailleurs elle a refusé que le 7e arrondissement qu’elle dirige puisse s’ouvrir, avec seulement 2.5 % de logement social, alors que je vise 25 % sur la capitale.
Avec elle, la ville perdrait aussi de son dynamisme. Si Paris est attractif, c’est parce qu’elle est engagée dans les grands défis du siècle, notamment sur l’environnement. Si on veut continuer à attirer ceux qui créent et qui innovent, ce n’est pas avec Rachida Dati comme maire qu’on le fera. Vous imaginez ? Penser le monde de demain en remettant la bagnole au cœur du sujet ?
L’unité autour de l’écologie ira-t-elle jusqu’à Cédric Villani, candidat dissident exclu de La République en marche ?
On est à la veille du premier tour. Je constate qu’il y a deux voies : ceux qui mettent l’écologie au centre et ceux qui considèrent que l’écologie est une punition. Les débats ont révélé ces deux orientations. Aux électeurs de se déterminer : je leur propose de me donner la plus grande force possible dès le premier tour.
Certains vous reprochent d’avoir enlaidi Paris à travers le renouvellement du mobilier urbain, comme les kiosques ou les fontaines, via l’installation d’œuvres comme le bouquet de Jeff Koons ou le cœur de Clignancourt… Un maire peut-il changer l’âme d’une ville au nom de la modernité ?
Je suis très attachée au patrimoine. Paris a toujours été une ville de grande controverse. Des auteurs se plaignaient déjà de l’installation de la Tour Eiffel, estimant que ce « squelette » allait défigurer la ville. C’est normal qu’il y ait des débats, Paris est une ville de passions, où chacun donne son avis sur tout.
Concernant le mobilier urbain, nous avons des réussites reconnues : la place de la Bastille ou de la Nation. Sur les kiosques, il y a eu une pétition avant même notre choix. Aujourd’hui, ils sont repris par beaucoup de villes, notamment à Versailles. C’est qu’ils ne doivent pas être si mal…
Ces critiques sur votre « mauvais goût » vous touchent ?
Il vaut mieux être solide quand on est maire de Paris et faire la part des choses entre les critiques de bonne foi et les autres. Les kiosques, je les trouve très beaux. On a remis de la densité de couleur, avec la bonne gamme de vert et de gris. Le bouquet de tulipes de Koons ne fait plus vraiment l’objet de critiques. Le cœur de Clignancourt a été choisi par les habitants, il est magnifique ! Il faut de la prise de risque, accepter l’audace, l’art est là pour bousculer. C’est aussi le rôle du maire de Paris de travailler à l’évolution de sa ville en impliquant artistes et citoyens.
Sur l’âme de la ville, on a souvent reproché à Paris de dormir la nuit, d’avoir des lieux de fêtes très formatés, uniformisés, de nombreuses restrictions sur les terrasses voire des fermetures de salles… Paris est-il encore une fête ?
Oui, Paris est une fête. Les acteurs de la nuit parisienne me disent que Paris a retrouvé son statut de ville de la nuit avec des lieux très divers : des spectacles, des clubs, des soirées. La place des musiques actuelles est reconnue, grâce au travail engagé par la Concrete (devenu Dehors Brut), notamment. Il y a aussi des lieux extraordinaires dans le Grand Paris, le long du canal [de l’Ourcq] vers Bondy, après Pantin. Une grande partie de ces arts urbains sont d’ailleurs nés en banlieue et Paris bénéficie de cette énergie.
Où pourriez-vous aller faire la fête si vous être réélue ?
(Rires) Je verrai, mais il y a plein d’endroits. Pourquoi pas à Dehors Brut ?
Vous serez présente ce mercredi soir au Parc des princes pour le match retour des huitièmes de finale, à huis clos, du PSG contre Dortmund…
J’ai toujours été là pour cette équipe dont je me sens proche. C’est le rôle de maire d’être aux côtés de son club. C’est, pour les joueurs, une épreuve terrible de jouer à huis clos, alors qu’on sait le rôle déterminant des supporteurs. Je ne ferai sans doute pas autant de bruit que les tribunes Boulogne et Auteuil, mais je serai toujours là pour porter le soutien des Parisiens.