Affaire Balkany: « Je suis embêtée pour la suite », les Levalloisiens plongés dans l'incertitude avant les municipales
REPORTAGE•Avec le maintien en prison de Patrick Balkany, le maire de la ville, l'incertitude règne à Levallois-Perret à quatre mois des municipalesThibaut Le Gal
L'essentiel
- La cour d'appel de Paris a rejeté ce mercredi la deuxième demande de mise en liberté de Patrick Balkany.
- Le maire LR de Levallois-Perret est incarcéré depuis deux mois après ses condamnations successives pour fraude et blanchiment.
- A quatre mois des municipales, l'incertitude règne chez les habitants.
Au petit marché de la place Jean-Zay, ce mercredi matin à Levallois-Perret, une femme grimace dans le froid, accélère le pas. « Je n’ai rien à dire sur les municipales, je ne veux pas vous parler de monsieur Balkany et je connais pas les autres candidats ». Quelques minutes plus tôt, la justice confirmait le maintien en détention du maire Les Républicains de la ville des Hauts-de-Seine. Condamné pour fraude et blanchiment, l’édile de 71 ans dort en prison depuis deux mois. Dans les cafés du quartier, l’annonce fait les gros titres, mais les habitants lèvent à peine les yeux vers les écrans de télévision.
« Je suis très triste de cette décision », souffle Françoise, 69 ans. « Je connais Patrick Balkany depuis que je suis arrivée ici, en 1976, et je l’ai soutenu depuis tout ce temps. Il y a vraisemblablement eu des dérapages, mais il n’y a pas que lui qui est touché par des affaires. Sa gestion de la ville a toujours été très bien. Je suis embêtée pour la suite ». A quatre mois des municipales, et en attendant les prochaines décisions juridiques, une bonne part des 63.000 têtes que comptent la commune se sent comme orpheline.
Un règne sans partage depuis près de 40 ans
Car depuis 1983, lorsqu’il arrache la ville aux communistes, Patrick Balkany est, avec sa femme Isabelle, indissociable de ce territoire huppé de l’ouest parisien. « Il a réussi à transformer l’ancienne cité ouvrière en une ville plus moderne, avec de nombreux bureaux, à attirer des jeunes », sourit Annie, baguette au bras. « Le pouvoir corrompt partout, partout ! A gauche, à droite. C’est juste que certains se font prendre et pas d’autres. Il a peut-être volé de l’argent mais il n’a tué personne », défend cette Levalloisienne historique.
Au prix d’une politique ciblant les seniors et les familles avec enfants, l’ancien député du coin garde depuis près de 40 ans*, et malgré les nombreux soucis judiciaires, le soutien infaillible d’une majorité des habitants. « Il est populaire car on le voit tout le temps. Il est chaque semaine au marché pour serrer la main des vieilles dames. A Noël, il distribue des cadeaux pour les enfants et les seniors… C’est du clientélisme. Il est sympathique mais 30 ans c’est trop long, il a fait son temps », nuance Colette.
Cyril, 36 ans, ajoute : « Beaucoup d’habitants sont satisfaits car des employés municipaux nettoient les crottes de chien, même le dimanche matin. La ville a été bien entretenue, mais l’endettement est faramineux ». Avec plus de 350 millions d’euros de dette, Levallois est la ville la plus endettée de France par habitant, selon le site économique Le Journal du Net en 2018. Le professeur d’histoire-géo ajoute : « Il a changé beaucoup de choses ici, mais il est temps de passer à autre chose ».
Les opposants prêts à en profiter
Ce désir de changement est partagé par de nombreux passants rencontrés ce mardi. « Ce serait bien de tourner la page. C’est dur, mais ça changera un peu », lance Fatima. Dans l’opposition, plusieurs candidats sont déjà prêts, espérant profiter de l’inéligibilité prononcée contre le maire pour ravir la mairie.
C’est le cas d’Arnaud de Courson, rival historique du couple Balkany. « Je ne suis pas dans la revanche à leurs égards mais on est en train d’enfermer la campagne sur la situation des Balkany. Quand un membre d’une équipe triche, en sport, on le sort de l’équipe. Ils feraient bien de sortir par le haut », tacle l’élu municipal divers droites, battu par un macroniste aux dernières législatives sous l'étiquette LR. « Il est temps de redorer l’image de notre ville mais je tiens à rassurer les habitants : la qualité de vie ne va pas changer, simplement la manière de faire de la politique, avec éthique et transparence ».
Avec des scores importants aux derniers scrutins (37 % aux européennes, 44 % aux législatives), La République en marche espère aussi profiter de l'occasion pour déloger le baron de la droite. « Il y a une fenêtre de tir. La ville est un vieux bastion du RPR, mais nos derniers résultats ont montré qu’il y avait un terreau favorable pour l’emporter. Dans le 92, on a répondu à un électorat de droite, libéral, pro-européen, attaché à l’ordre et à l’éducation », avance Maud Brégéon, la candidate LREM.
Un autre candidat, Lies Messatfa, souhaite lui rassembler la gauche, les écologistes et le centre droit (UDI), avec sa liste citoyenne Levallois d'Avenir. «Nous ne sommes pas dans une logique d'opposition. La ville a toujours été une terre de rassemblement et doit redevenir exemplaire, et répondre aux défis environnementaux, de mobilité, de santé et de solidarité», indique l'ancien candidat PS aux législatives (4.85% dans la ville), qui a claqué la porte du parti en 2018.
Reste l’inconnue Balkany. Plusieurs responsables de la Commission nationale d'investiture des Républicains ont botté en touche, indiquant que le cas de Levallois n'était pas encore à l'agenda. Le couple, lui, semble vouloir étudier toutes les possibilités pour se maintenir à l’hôtel de ville. Isabelle, condamnée à de la prison ferme mais sans mandat de dépôt, gère actuellement la ville. Sera-t-elle candidate? Son mari fera-t-il campagne depuis la prison? Un opposant socialiste** soupire : « On peut tout imaginer car ils sont capables de tout. Un de ces jours, je ne doute pas qu’ils auront droit à une série Netflix à leur nom ».
*De 1995 à 2001, la ville est dirigée par le chiraquien Olivier de Chazeaux.
** Le PS soutient la liste de rassemblement Levallois d'Avenir.