Décès du maire de Signes: «Ce qui a changé, c’est le regard qui est porté sur le maire», dit une élue locale
INTERVIEW•Marie-Jeanne Béguet, maire depuis près d’un quart de siècle d’une commune de 1.600 habitants note qu’on en arrive plus facilement aux insultes qu’avant entre population et mairePropos recueillis par Rachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- La classe politique s’interroge sur les risques liés à la fonction de maire depuis la mort du premier magistrat de Signes, dans le Var, alors qu’il tentait de verbaliser un dépôt d’ordures illégal.
- Marie-Jeanne Béguet, maire d’une commune rurale depuis quatre mandats note effectivement que certains et certaines ont de plus en plus de mal avec l’autorité… tout en la réclamant.
- Un phénomène qui, bien qu’en progrès, reste minoritaire.
La mort de Jean-Mathieu Michel, le maire de Signes dans le Var, suite à un accident alors qu’il était en train de tenter de verbaliser des gens en plein déchargement de déchets sauvage, agit comme un détonateur. Sur la situation de ces élus de terrains, tous terrains même. A tel point que la commission des lois du Sénat a lancé une enquête auprès des maires pour en savoir plus sur les risques voire les violences auxquelles ils et elles peuvent être confrontées.
Etre maire, en 2019, ça serait donc plus difficile qu’avant ? Marie-Jeanne Béguet est vice-présidente de l’Association des maires ruraux de France. Elle est maire de Civrieux, dans l’Ain, une commune de 1.600 habitants depuis 1995. Elle a bien eu le temps, en quatre mandats, de voir que la relation entre les maires et leur population a bien changé.
Les maires ont-ils plus de pression sur les épaules qu’il y a quelques années ?
C’est vrai et ce n’est pas vrai. Les responsabilités, on n’en a pas plus qu’avant. On est toujours aussi responsable de pratiquement tout ce qui se passe dans la commune, ça n’a pas changé. Par contre, ce qui a changé, c’est le regard qui est porté sur le maire et la relation avec le maire. Ce changement n’est lié seulement aux maires. Il est lié aux relations des citoyens avec ce qu’on pourrait appeler « les autorités ». Avec ceux qui incarnent un certain pouvoir ou un certain savoir. Je pense que c’est la même chose que quand les professeurs se plaignent du comportement des parents d’élèves vis-à-vis d’eux. Je crois donc que c’est une évolution globale de la société.
Concrètement, ça se passe comment ?
On a le pouvoir et le devoir de rappeler la loi, les interdits dans l’intérêt général… Mais on nous conteste ce pouvoir. On nous répond : « Ah mais moi je fais ce que je veux ! ». C’est typiquement le cas sur les problèmes d’urbanisme. Seulement, dans le même temps, ceux qui le contestent le réclament aussi. L’exemple le plus criant c’est celui de la circulation à proximité des écoles. Tous les parents, lors des conseils d’écoles, nous tombent dessus en nous disant qu’il n’y a pas assez de sécurité, qu’on ne fait assez respecter le Code de la route… Et dans le même temps, qui ne respecte pas les règles de sécurité et le plan de circulation autour de l’école ? Ce sont les mêmes parents ! Et ça, on le retrouve dans tes tas de domaine. Une certaine schizophrénie : ils réclament plus de règlements pour des raisons, plus ou moins valables, et quand on fait appliquer ces règlements ils contestent leur application !
Vous diriez que la relation entre les maires et la population s’est détériorée ou que la population a plus d’exigences ?
Moi je ne vis pas ça comme une détérioration, je regarde toujours les choses avec bienveillance. Mais, je pense que les administrés s’autorisent des choses qu’ils ne s’autorisaient pas avant. Comme, par exemple, insulter un maire, employer un vocabulaire inapproprié. On en arrive très facilement là, il n’y a plus de frontière. Dès qu’une chose ne plaît pas, on se fait insulter. Je n’ai jamais été agressée physiquement, mais les agressions verbales c’est commun. Tout cela n’est pas le fait d’une partie de la population qui ne serait pas éduquée. Il faut être très clair : ce sont même des gens très bien éduqués qui ne supportent pas la contradiction. Ce qu’on entend souvent c’est : « Je suis allé voir sur Internet, c’est comme ça. » Oui, enfin, ce qui a été lu a peut-être été mal interprété, mal compris…
En fait, chacun ou chacune pense qu’il pourrait être un ou une meilleure maire ?
Si les gens pensent ça alors on aura beaucoup de candidats aux prochaines élections et je le souhaite ! Et il y a certainement des meilleurs maires potentiels, on est loin d’être parfaits. La plupart des maires essayent de faire au mieux.
Au contraire on s’attend plutôt à ce qu’on ait du mal à trouver des candidats et candidates aux municipales dans certains secteurs. Est-ce que c’est devenu insupportable comme charge ?
Là on parle des aspects négatifs de la relation maire/population, mais il y a quand même tous les aspects positifs. Le fait que des gens puissent venir à la mairie présenter et expliquer leurs difficultés. C’est quelque chose d’extrêmement important qu’il faut absolument conserver. Il y a plus de gens qui viennent nous solliciter, pour n’importe quelle raison, que de gens qui viennent contester et insulter. Je pense que ce premier niveau de contact avec les citoyens il ne faut surtout pas le supprimer ou décourager les vocations de maires.