Ecologie, agriculture... Le traité Mercosur met-il Macron face à ses contradictions?
POLITIQUE•L'accord commercial conclu vendredi soir entre l'UE et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) est critiqué au sein même de la majoritéThibaut Le Gal
L'essentiel
- L'accord commercial conclu entre l'UE et les pays du Mercosur est critiqué par la classe politique et les agriculteurs.
- Certains écologistes reprochent au président français un décalage entre ses discours écolo et les conséquences de cet accord.
- Les agriculteurs français dénoncent eux «une concurrence déloyale» avec les éleveurs d'Amérique du Sud.
Un « moment historique ». Après vingt ans de discussion, le traité commercial entre l’Union européenne et les pays membres du Mercosur a été signé vendredi. Une signature qui a entraîné de nombreuses critiques chez les agriculteurs français et dans la classe politique, relevant les contradictions entre les engagements en faveur de l'écologie du gouvernement et un accord de libre-échange avec un pays qui accroît massivement la déforestation. Le traité du Mercosur met-il Emmanuel Macron face à ses contradictions ?
Dans la majorité, certains ont fustigé «un jour funeste » et un «déni de démocratie» tandis que le gouvernement a accueilli avec prudence la future ratification. Emmanuel Macron a salué la conclusion de ce vaste partenariat. « Cet accord est bon à ce stade, il va dans la bonne direction mais nous serons très vigilants », a-t-il déclaré samedi, en marge du G20. 20 Minutes vous propose de comparer précisément ce qui a été dit par le chef de l'Etat et ce qui est contenu à ce stade dans l'accord.
« Je ne suis pas favorable à la signature d’accords commerciaux larges avec des puissances qui ont annoncé qu’elles ne respecteront pas l’accord de Paris »
Que disait Emmanuel Macron ? Fin novembre, le président français s’inquiétait des conséquences pour le climat avec l’arrivée au pouvoir du président d’extrême droite Jair Bolsonaro à la tête du Brésil.
Qu’est-ce qui lui est reproché ? 340 ONG européennes et sud-américaines, dont Greenpeace et Friends of the Earth, ont dénoncé l’accord, condamnant « la détérioration des droits humains et la situation écologique au Brésil ».
L’eurodéputé EELV Yannick Jadot a accusé le chef de l’Etat de « duplicité » et de « mensonge » : Le chef d’Etat brésilien « veut massacrer l’Amazonie », «a réautorisé 239 pesticides interdits» et « veut livrer son pays à l’agrobusiness, a-t-il justifié. Nicolas Hulot a également dénoncé forme d'« incohérence » de l’exécutif : « On finit par ne plus croire personne : on dit des choses et dans la foulée, on prend des engagements, on signe des traités qui nous mènent à l’opposé de nos intentions ».
Quelle réponse du gouvernement ? L’UE et le Mercosur ont dit s’engager « à mettre en œuvre efficacement l’accord de Paris sur le climat ». Mais cet engagement, comme celui sur le développement durable, est non contraignant. Sur Europe 1, le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, a finalement assuré que l’accord ne serait ratifié que si le Brésil respecte ses engagements, notamment en matière de lutte contre la déforestation en Amazonie.
« Il n’y aura jamais de bœuf aux hormones en France, il n’y en aura jamais »
Que disait Emmanuel Macron ? : En février 2018, devant l’inquiétude des agriculteurs, le président français avait tenté de déminer les conséquences de l’accord pour la filière bovine notamment. « Il n’y aura aucune réduction de nos standards de qualité, sociaux, environnementaux, ou sanitaires à travers cette négociation », avait-il ajouté, en assurant qu’il travaillerait à ce qu’il soit possible de « bien contrôler aux frontières la traçabilité et les normes environnementales et sociales ». Le président avait tenu à rassurer les agriculteurs français. Ces derniers, redoutant un afflux de viande bovine en provenance d’Amérique du sud, avaient manifesté à travers le pays.
Qu’est-ce qui lui est reproché ? Les pays du Mercosur vont notamment pouvoir exporter vers l’Europe quelque 99.000 tonnes de viande bovine en payant un tarif douanier réduit. Lourdement dépendants des subventions de Bruxelles, les éleveurs européens craignent la concurrence des « usines à viande » latino-américaines. D’autant que, selon eux, les deux continents ne sont pas sur un pied d’égalité : antibiotiques utilisés comme hormones de croissance d’un côté, assorties de déforestation SUPPR?, contre toujours plus de normes environnementales côté européen. La patronne du premier syndicat agricole, la FNSEA, Christiane Lambert, a jugé l’accord « inacceptable » car il « va exposer les agriculteurs européens à une concurrence déloyale et les consommateurs à une tromperie totale ».
Quelle réponse du gouvernement ? « On va regarder [l’accord] dans le détail et en fonction de ce détail, nous allons décider. La France pour l’instant n’est pas prête à ratifier », a assuré mardi la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye, sans plus de précision. «L'accord ne sera pas signé si au niveau du boeuf, on n'a pas de certitude sur la traçabilité, pas de certitude sur le bien-être animal, et sur les antibiotiques» administrés aux animaux, a déclaré mardi le ministre devant l'Assemblée nationale.
Concédant que le texte engendre « certains défis pour les agriculteurs européens », le commissaire à l’Agriculture Phil Hogan leur a lui promis « une aide financière » jusqu’à un milliard d’euros « en cas de perturbation du marché ».
«On ne peut pas continuer à dire ce que je viens de dire à l’OIT et dire à l’OMC : "C’est formidable le commerce, il faut négocier des accords avec tout le monde, quelle que soit leur sensibilité sociale ou environnementale. Et vive le dumping ! Cela ira mieux. Cela enrichit tout le monde". On ne peut pas continuer que le monde s’organise en tuyaux d’orgue. »».
Que disait Emmanuel Macron ? Le chef de l'Etat avait dénoncé les dérives d'un «capitalisme fou» devant l'Organisation internationale du travail à Genève en juin dernier.
Qu’est-ce qui lui est reproché? L'accord éliminera à terme 91% des droits de douane imposés par le Mercosur sur les produits européens, ce que la Commission évalue en valeur à 4 milliards d'euros. A l'inverse, l'UE supprimera de son côté 92% des taxes actuellement appliquées sur les biens sud-américains qui arrivent sur son sol.
«Le libre-échange est à l’origine de toutes les problématiques écologiques. L’amplifier ne fait qu’aggraver la situation. Il faudra d’ailleurs comprendre un jour qu’une des premières obligations va être de relocaliser tout ou partie de nos économies», a notamment dénoncé Nicolas Hulot dans le Monde.
Quelle réponse du gouvernement ? Le gouvernement n'a pas communiqué précisément sur le principe même des traités de libre-échange et d'une éventuelle protection à l'échelle européenne.