Elections européennes : Avec le « localisme », le RN utilise l’écologie pour défendre son projet identitaire
POLITIQUE•Le Rassemblement national détourne le concept de « localisme » pour défendre l'arrêt de l'immigration et torpiller le multiculturalismeThibaut Le Gal
L'essentiel
- Pour les européennes, le RN met en avant le concept de localisme.
- « Face au globalisme, on défend le localisme : c’est-à-dire produire ici tout ce qu’on peut raisonnablement produire », assure Jordan Bardella, la tête de liste.
- Cette récupération permet au RN de défendre des thèses identitaires.
Pendant longtemps, au Front national, l’écologie faisait ricaner. « La nouvelle religion des bobos-gogos », raillait Jean-Marie Le Pen. En 2010, les responsables du parti dénonçaient encore la « manipulation » du « prétendu réchauffement climatique ». Petit à petit, le projet frontiste s’est verdi, du moins en apparence. La thématique figure en bonne place dans le programme du Rassemblement national pour les élections européennes. « Nous proposerons que l’Alliance [des états européens] aide par tous les moyens les nations à faire de l’Europe la première civilisation écologique au monde », est-il écrit.
Au « front », la question environnementale se traduit à travers la réappropriation du concept de « localisme », vieux courant de pensée écologiste. « Face au globalisme, on défend le localisme : c’est-à-dire produire ici tout ce qu’on peut raisonnablement produire […] L’idée est de détaxer la proximité. Ça suppose d’arrêter les traités de libre-échange et les remplacer par le juste-échange. On ne peut pas être pour la mondialisation sauvage et l’écologie », expliquait jeudi à 20 Minutes Jordan Bardella, chef de file du RN pour le scrutin du 26 mai.
Le localisme, une idée venue de la Nouvelle droite
« Le localisme, c’est s’opposer à cette folie de la globalisation, qui permet d’importer des produits de la vie quotidienne moins chers que le produit de la ferme d’à côté, malgré les milliers de km de transports, et qui abouti à des délocalisations massives », illustre Hervé Juvin, en cinquième position sur la liste. Le programme évoque la possibilité « de détaxer les circuits courts et surtaxer les importations mondialisées anti-écologiques », sans plus de précision. Le RN reste encore flou sur sa mise en pratique, qui impliquerait de changer les traités actuels et l’échelle d’application (locale ? Nationale ? Européenne ?).
« On pourrait imaginer dans les hôpitaux, les maisons de retraites, les cantines scolaires, de réserver un pourcentage aux produits de la région. Ensuite, faire payer le dioxyde de carbone du transport et refuser les produits qui sont faits dans des conditions écologiques détestables n’est certainement pas idiot », répond Hervé Juvin, qui évoque aussi un « protectionnisme européen pour rétablir les conditions du juste-échange ». C’est d’ailleurs Juvin, homme d’affaires et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet qui a contribué à faire avancer le RN sur le sujet.
Le localisme, marqueur de la droite identitaire
Le concept n’est pourtant pas nouveau à l’extrême-droite. « L’idée de localisme est un marqueur de la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist depuis les années 1970, qui a toujours fait la promotion du régionalisme et de l’enracinement. Cette écologie, très identitaire, n’était pas dans la motrice originelle du FN », indique Stéphane François, chercheur associé au GSRL du CNRS. « Elle est apparue lorsque des militants identitaires ont pris de l’importance au sein du parti, comme Philippe Vardon [directeur de la communication pour les européennes et n°33 sur la liste], ancien responsable de Nissa Rebela, antenne niçoise du Bloc identitaire ».
Le « localisme » permet aussi au Rassemblement national de défendre une préservation culturelle, identitaire, de populations sur le territoire français. Cela implique pour le parti la fin de l’immigration et la dénonciation du multiculturalisme. « Le trésor des cultures humaines est l’adaptation des hommes à leur milieu naturel, c’est ce qu’on est en train de détruire avec notre politique d’immigration, qui est en réalité un nouveau trafic d’esclaves », dit Juvin. Marine Le Pen évoquait elle en février une « disparition en tant que peuple dans une submersion migratoire organisée ».
« Il y a une comparaison entre espèces animales et humaines avec l’idée que les groupes ont des territoires qui leur sont propres, des biotopes naturels qu’il faudrait respecter », avance Stéphane François. « Cela permet au RN de faire passer des thèses identitaires, l’idée de grand remplacement, de manière plus soft, en faisant croire à un verdissement du parti. »
Le RN, un parti écolo ?
Alors, le parti s’est-il mis au « vert » par pur intérêt électoral ? « J’essaye de faire progresser les thèmes écologiques au sein du parti. Il y a encore des sensibilités climatosceptiques, ou pro-chasse, mais elles sont en forte diminution », répond Hervé Juvin.
« Le parti adapte cette notion d’écologie de proximité à l’idée de défense du national alors que l’écologie défend traditionnellement des valeurs universalistes, indique Daniel Boy, directeur de recherche émérite au Cevipof et spécialiste de l’écologie politique. Par ailleurs le critère de proximité est un peu simpliste. On peut imaginer de l’agrobusiness local et du commerce équitable à distance ». Au-delà du localisme, le programme européen du RN reste très léger sur les enjeux environnementaux. Marine Le Pen reste par ailleurs attachée au nucléaire et mobilisée contre les éoliennes. Daniel Boy ajoute : « Dans une élection où l’enjeu environnemental est important, tous les partis cherchent à attirer l’électorat écolo. Que ce soit LREM qui va chercher des figures écolos sur sa liste ou le RN avec ce concept ».