VIDEO. Elections européennes: «L’UE doit devenir le porte-parole des combats de la jeunesse»
INTERVIEW•A l’approche des élections européennes, « 20 Minutes » vous propose quatre interviews d’intellectuels pour mieux comprendre les enjeux de l’Union. Le troisième volet de ces entretiens, avec la politologue Agathe Cagé, porte sur le rapport entre citoyens et institutionsL'essentiel
- Docteur en science politique, Agathe Cagé avait planché sur le programme de Benoît Hamon, le candidat PS à la présidentielle.
- Elle plaide aujourd’hui pour la prise en main par l’Union européenne du sujet du réchauffement climatique.
- « Les citoyens doivent faire des choix politiques pour la qualité de vie », plaide-t-elle.
Docteure en science politique, passée par l’ENS et l’ENA, Agathe Cagé a cofondé le think tank, « Cartes sur table », qu’elle a quitté en 2017. Elle a été conseillère de Vincent Peillon et de Benoît Hamon, puis directrice adjointe de cabinet de Najat Vallaud-Belkacem, au ministère de l’Education nationale, de 2014 à 2017.
Après avoir œuvré au côté de Benoît Hamon comme secrétaire générale durant la campagne présidentielle du candidat PS, elle a cofondé et pris la présidence du cabinet de conseil Compass label. Elle est l’auteure de Faire tomber les murs entre intellectuels et politiques (Fayard).
On voit de plus en plus de défiance sur des questions relevant de l’Europe : interdiction du glyphosate, traité d’Aix-la-Chapelle, et plus encore vote sur le Brexit. Comment retisser le lien entre UE et citoyens ?
L’Union européenne doit devenir le porte-parole des combats des citoyens de la jeunesse. Et notamment de la lutte contre le changement climatique. Il faut que l’UE trouve des forces et porte ce combat, peu porté par les politiques eux-mêmes. C’est pour ça aussi que les citoyens doivent faire des choix politiques pour la qualité de vie. La sortie du glyphosate s’inscrit aussi là-dedans, de même que respirer un air plus pur. Il faut un coup d’accélérateur. Les députés européens doivent être porteurs de ces demandes. Junker avait mis les questions des droits sociaux à son agenda. Il faut que le futur président de la commission européenne mette le changement climatique. On pourrait trouver une alliance au Parlement européen pour aller vite. Et puis, il faut aussi rappeler que chez les moins de 25 ans, le sentiment est à plus de 60 % favorable à l’Union européenne. C’est plus que la moyenne totale. Les jeunes ne sont pas europhobes : que l’UE se saisisse de ce besoin de renouveler l’action politique.
Dans votre livre Génération 2040, vous prônez la puissance d’action citoyenne au sein d’une Europe politique. Quels seraient les axes concrets d’une telle action ?
Concrètement, il faudrait une participation beaucoup plus forte aux élections européennes pour qu’elles deviennent une élection de premier plan. Quand on voit les têtes de liste, on peut s’interroger sur le fait que les principaux responsables des partis choisissent de ne pas mener ce combat. Il faut pourtant des personnalités politiques très fortes. Daniel Cohn-Bendit par exemple, sa voix portait. Il faut que les responsables prennent le risque d’aller sur ces élections-là. Il y a aussi des leviers d’actions citoyennes dont il faut se saisir plus. Sans forcément tous descendre dans la rue ensemble, chaque pays peut trouver ses leviers d’action. Pour le mouvement climat, les manifestations ont eu un sens profond. Greta Thunberg, la jeune lycéenne suédoise, avait commencé son action toute seule par un sitting. Mais dire qu’on agit ensemble le même jour pour porter un combat, c’est une force.
Comment faire participer les citoyens aux débats européens ?
Il faut véritablement recréer un peu partout sur le territoire européen des moments où on peut discuter d’un sujet. On peut créer des débats aux frontières par exemple. Jouer sur les outils numériques aussi, mais si on veut que l’Union européenne s’incarne, il faut se retrouver physiquement pour discuter, débattre. La force des « gilets jaunes », ce sont les regroupements sur les ronds-points. Les questions sur le pouvoir d’achat, on les a vus monter comme ça : on discute, et on voit qu’on a tous le même problème. Il faut faire de même au niveau de l’Union européenne. L’affaire du siècle, ce sont deux millions de personnes qui ont signé la pétition en ligne et en même temps les marches sur le climat. On se réunit et on montre qu’on veut agir, c’est comme ça que l’on crée une force.
Et les jeunes ?
La plus grande réussite de l’UE pour les jeunes, c’est Erasmus. Cela a permis de voyager, de se connaître. La force de l’UE, c’est de voir qu’on a plus de choses qui nous rassemblent. C’est fondamental qu’Erasmus s’ouvre aussi aux apprentis. C’est une belle dynamique qui se retrouve aussi sur les mobilités à l’intérieur de l’Union européenne. D’ailleurs, la première de ces mobilités, ce n’est pas le travail mais la mobilité sentimentale. Je rêve d’un programme où les jeunes de 16 à 20 ans puissent s’engager pendant six mois dans un travail associatif et pendant six mois voyager à l’aide d’un pass européen et d’une bourse. On pourrait ainsi concerner tous les jeunes européens.
Vous étiez durant la présidentielle l’une des instigatrices du programme de Benoît Hamon, et de sa mesure sur le revenu universel. Le Mouvement Cinq étoiles en Italie l’avait promis pendant la campagne, et a grandement édulcoré l’idée au moment de sa mise en œuvre. L’idée est-elle impossible à acter ?
Je ne prendrai pas l’Italie comme exemple : il existait une ambiguïté dans le programme de Cinq étoiles. Il y a eu des tentatives d’expérimentation en Finlande, et en France au niveau départemental la Gironde voulait le tester en 2016. Il y a énormément de scénarios possibles pour le mettre en place, et chacun a des conséquences différentes. Je crois beaucoup que l’expérimentation puisse être une solution pour avancer. Les questions sont combien ça coûte et quels sont les effets pervers du système. Ce serait un changement important pour la protection sociale, il faudrait associer les citoyens, le tester pendant deux ans avant de choisir de l’étendre ou non. Il existe une défiance forte vis-à-vis de la parole politique, et cela permettrait de recréer un lien de confiance. En Suisse, il y a eu ce débat, avec un référendum. Sur ce type de sujet fondamental, la voie référendaire est intéressante pour transformer radicalement le modèle social.