Privatisation d'ADP: Le référendum d'initiative partagée peut-il vraiment avoir lieu?
PROCEDURE•Promulguée lors de la révision de la Constitution en 2008, le référendum d'initiative partagée n'a encore jamais été organiséManon Aublanc
L'essentiel
- Le projet de loi Pacte prévoit de supprimer l’obligation pour l’État de détenir la majorité du capital d’Aéroport de Paris (ADP) et ouvre la voie à une cession à des opérateurs privés.
- Les oppositions, qui critiquent un « cadeau à Vinci », craignent une perte de souveraineté et une mauvaise opération financière.
- Des parlementaires de plusieurs bords ont affirmé, ce mardi, avoir recueilli les signatures nécessaires à un « référendum d’initiative partagée ».
La procédure n’a jamais été utilisée depuis son introduction dans la Constitution en 2008. Vent debout contre la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP), des parlementaires ont annoncé, ce mardi, avoir recueilli les signatures nécessaires pour organiser un «référendum d'initiative partagée» (RIP).
Débattu depuis plus de six mois au Parlement, le projet de loi Pacte prévoit notammentde supprimer l'obligation pour l'État de détenir la majorité du capital d'ADP (actuellement 50,63 %). Rejeté en nouvelle lecture au Sénat, ce mardi, le texte doit être adopté définitivement jeudi à l’Assemblée. Question de calendrier, ou complexité de l’organisation, pour beaucoup, l’organisation d’un tel référendum est quasiment mission impossible. 20 Minutes fait le point.
- Que s’est-il passé ce mardi ?
Des parlementaires ont annoncé avoir recueilli les signatures nécessaires à un possible référendum d’initiative partagée (RIP) contre la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP). Depuis le 21 juillet 2008, la Constitution prévoit la possibilité d’organiser une consultation populaire sur une proposition de loi « à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs ».
La consultation ne peut porter que sur les domaines de l’organisation des pouvoirs publics, des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale et aux services publics qui y concourent, ou la ratification d’un traité. Dans sa proposition de loi, l’opposition demande que « l’aménagement, l’exploitation et le développement des aérodromes de Paris [Roissy, Orly et Le Bourget] revêtent les caractères d’un service public national ».
Si 185 signatures sont normalement requises pour un « RIP » (un cinquième des membres du Parlement), 218 parlementaires - notamment des socialistes, des communistes, des élus de La France insoumise (LFI) ou des Républicains (LR) - ont signé cette proposition, pour tenter d’empêcher le gouvernement de vendre «la poule aux oeufs d'or».
- Pourquoi les parlementaires ont-ils fait ça ?
Les parlementaires s’opposent à l’une des mesures de la nouvelle loi Pacte, qui permettrait à l’Etat de ne plus être l’actionnaire majoritaire de la société Aéroports de Paris (ADP). Cette nouvelle mesure ouvrirait, de facto, la voie à une possible privatisation. Depuis la première lecture du projet de loi en octobre, les oppositions de droite comme de gauche qualifient le projet de loi de « mauvaise affaire », de « faute économique, stratégique et historique », d'« erreur irréparable » ou encore de « cadeau à Vinci ».
« C’est non seulement une imbécillité sur le plan économique et financier, mais c’est aussi une erreur stratégique majeure parce qu’Aéroports de Paris n’est pas une entreprise comme les autres », a estimé Boris Vallaud, le porte-parole des députés PS, sur France 2. « En responsabilité, les parlementaires, sénateurs et députés qui se sont unis ont convenu que c’était une singularité dans l’alliance mais qu’enfin il y avait un intérêt supérieur, que c’était un service public d’intérêt national et que nous ne pouvions pas laisser se commettre l’irrémédiable, parce qu’il n’y a pas de machine arrière », a ajouté Boris Vallaud. Une vision contestée par le gouvernement et Vinci, qui estiment que les revenus de ces aéroports sont bien inférieurs à leurs potentiels.
- Comment s’organise cette procédure ?
Si ce référendum fini par être organisé un jour, il faudra tout de même s’armer de patience. Une fois les signatures récoltées, la proposition parlementaire doit être transmise au Conseil Constitutionnel. Ce dernier « a un mois pour se prononcer sur la constitutionnalité de la proposition », explique Lauréline Fontaine, professeure de droit constitutionnel à la Sorbonne Nouvelle Paris 3.
Lorsque la proposition est jugée conforme, les électeurs entrent en jeu. « Il y a ensuite une période de neuf mois pendant laquelle les signatures électroniques des électeurs sont recueillies », ajoute la professeure. Pour être validée, la proposition doit recueillir le soutien d’un dixième des électeurs, soit 4,5 millions de Français. L’Assemblée nationale et le Sénat ont ensuite six mois pour examiner la proposition. Si, dans ces six mois, les deux chambres n’ont pas examiné la proposition, le président de la République doit la soumettre au référendum. En cas de résultat positif, le président doit promulguer la loi dans les quinze jours.
- Ce référendum d’initiative partagée a-t-il des chances de voir le jour ?
« La chance que le référendum d’initiative partagée aboutisse est vraiment infime. Très "institutionnaliste", le Conseil devrait trouver les moyens de déclarer cette proposition irrecevable », estime Lauréline Fontaine, ajoutant que « c’est une disposition presque morte-née tant les obstacles sont nombreux ».
Pour Roland Lescure (LREM), le président de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée, « c’est le sauve-qui-peut des oppositions (…) le match est presque terminé. Ils savent qu’ils l’ont perdu et ils essaient de le rejouer ». « Un référendum sur ADP, est-ce l’urgence du moment ? Il y a ceux qui travaillent et ceux qui font des conférences de presse », s’est interrogé Laurent Saint-Martin (LREM) sur Twitter.
- Est-ce la première fois que cette procédure est engagée ?
Promulguée lors de la révision de la Constitution en 2008, c’est la première fois qu’une telle procédure est engagée par les élus de l’Assemblée nationale et du Sénat. Si en janvier dernier, le Parti socialiste avait voulu déposer une proposition de loi visant à aboutir à un référendum d’initiative partagée pour rétablir l’impôt sur la fortune (ISF), le parti de gauche n’avait pas réussi à réunir les 185 signatures nécessaires.