«Candidate d'ouverture», «pas une potiche»... Qui est Manon Aubry, propulsée tête de liste LFI pour les européennes?
POLITIQUE•Manon Aubry, tête de liste La France insoumise pour les européennes, tient ce mercredi soir son premier grand meeting à Souillac (Lot)Thibaut Le Gal
L'essentiel
- Manon Aubry, ancienne porte-parole de l'ONG Oxfam, est la tête de liste La France insoumise pour les européennes.
- Son «profil d'ouverture» répond aux critiques internes du mouvement.
- La candidate tiendra son premier grand meeting ce mercredi soir à Souillac (Lot).
«On cherchait une femme venant du monde associatif, dans un rôle d’ouverture du mouvement. Rapidement, son nom est remonté », se rappelle le député insoumis Eric Coquerel. A 29 ans, Manon Aubry, ancienne porte-parole de l’ONG Oxfam, se retrouve depuis décembre propulsée tête de liste La France insoumise pour les élections européennes du 26 mai. A quelques heures de son premier grand meeting ce mercredi soir à Souillac (Lot) avec son colistier Manuel Bompard, 20 Minutes revient sur son parcours.
Une spécialiste de l’évasion fiscale et des inégalités
Issue d’une famille corse engagée à gauche, Manon Aubry fait ses armes au lycée de Saint-Raphaël dans le Var contre les réformes Fillon, le référendum sur le projet de Constitution européenne, le CPE. La militante poursuit son engagement à l’Unef de Sciences po Paris, de 2008 à 2009, où elle combat les projets d’augmentation des frais d’inscription du directeur Richard Descoings. « J’ai toujours milité pour défendre des convictions, dit-elle. J’ai ensuite eu la chance de faire de mon engagement mon métier. Dans le monde associatif, notre seule boussole est nos idées, on ne fait pas de compromission ».
Diplôme en poche, elle passe un an au Liberia pour Médecins du Monde, puis deux ans en République démocratique du Congo pour l’ONG Carter Center contre les grosses entreprises minières. En 2014, elle entre chez Oxfam où elle devient spécialiste de l'évasion fiscale et des inégalités. « Au moment de son départ, elle nous a dit qu’elle allait poursuivre son engagement dans un autre cadre et porter ces questions de justice fiscale au sein de l’Union européenne », évoque une amie d’Oxfam France. « Manon est quelqu’un de très pro, qui a l’habitude des interventions publiques et des médias, ce n’est pas quelqu’un de novice comme on l’a parfois présentée ».
Un profil qui fait écho à la crise des « gilets jaunes »
Jean-Luc Mélenchon l’approche l’été dernier. « Je n’étais pas intéressée car c’est un monde qui me faisait peur, mais comme je suis polie, j’écoute », se souvient-elle. « J’ai réfléchi, revu Jean-Luc et Manu [Bompard] un mois plus tard. J’ai posé vingt milliards de questions lors d’un dîner qui a duré six heures. Puis j’ai pris ma décision fin novembre. » « Elle a d’abord lu tout le programme, de A à Z, pour éviter tout malentendu », insiste Eric Coquerel, qui poursuit : « Elle est à l’aise, apporte ce qu’on souhaitait tout en restant libre. Ce n’est pas une potiche. »
Après le retrait de la favorite Charlotte Girard, les insoumis trouvent en Manon Aubry un profil qui fait écho à la demande de justice fiscale exprimée par les « gilets jaunes ». Sa « candidature d’ouverture » répond aussi aux accusations de sectarisme certains militants en interne. « On présente parfois LFI comme repliée sur elle-même. J’étais agréablement surpris de l’accueil. Les militants m’ont soutenue, portée. Bien sûr, il y a toujours des rageux mais globalement, je ne m’attendais pas à ça », reconnaît la tête de liste.
« A la Convention de Bordeaux pour son premier discours, j’avais un peu peur de la réaction des militants. Ce n’est jamais facile d’arriver dans un mouvement déjà constitué. Mais elle a été très vite adoptée », abonde Leïla Chaibi, numéro 3 sur la liste. « Ça n’aurait pu être qu’un symbole, un rôle fantôme, mais c’est une bosseuse, elle apporte de la fraîcheur, et a de suite incarné la tête de liste. »
Manon Aubry, un changement de stratégie ?
Manon Aubry s’agace des attaques sur l’omniprésence de Jean-Luc Mélenchon. « Parce que je suis une jeune femme, je serais facile à manœuvrer ? On n’aurait jamais dit ça si j’avais été un homme de plus de 40 ans, ça me fout en rogne. Mélenchon ne pilote pas la campagne, j’ai toute la place pour m’exprimer. »
Lors de ses interventions, la militante garde sa liberté de ton, quitte à s’éloigner – un peu – des positions de Jean-Luc Mélenchon, sur le Vénézuéla ou sur la critique des médias.
La Varoise se montre aussi un peu plus chaleureuse que le patron des insoumis à l’égard des autres partis de gauche, qui l’ont approchée et chez qui elle garde des amis. « Je n’ai aucun souci avec Manon Aubry, c’est une candidate de qualité. Mais son profil symbolise un changement de stratégie. L’abstention sera énorme aux européennes, et Jean-Luc Mélenchon se dit qu’il faut cibler d’abord ceux qui iront voter, en rassemblant la gauche. On privilégie le temps court à la cohérence politique, quitte à abandonner notre stratégie populiste [fédérer le peuple] », regrette l’insoumis François Cocq, expulsé de la liste en novembre.
« C’est une bêtise d’opposer deux lignes. Manon Aubry peut parler à l’électorat de gauche, aux déçus du PS, mais n’étant pas une apparatchik, elle parle aussi aux dégoûtés de la politique », réplique Leïla Chaibi.
Pour décrocher un peu de la politique, Manon Aubry continue de pratiquer le water-polo, malgré les « nuits courtes » de la campagne. « J’avais encore un match samedi, et on a gagné ». Elle s’en amuse : « Grâce à ma candidature, on n’a jamais autant parlé de water-polo féminin dans les médias. »