INTERVIEW«S’attaquer à un ministère, c’est s’attaquer à notre République»

«S’attaquer à un ministère, c’est s’attaquer délibérément à notre République et à nos valeurs démocratiques», réagit Benjamin Griveaux

INTERVIEWLe porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a répondu aux questions de « 20 Minutes » sur le mouvement des « gilets jaunes », le grand débat national et les réformes à l’agenda en 2019…
Propos recueillis par Laure Cometti et Thibaut Le Gal

Propos recueillis par Laure Cometti et Thibaut Le Gal

Après une fin d’année compliquée, le gouvernement attaque 2019 avec un calendrier de réformes chargé et un grand débat national à organiser. Pour l’exécutif, le mouvement des « gilets jaunes » dit l’impatience des Français, « qui attendent de nous que nous allions plus fort, plus vite, plus loin », nous a déclaré Benjamin Griveaux. Le porte-parole du gouvernement a répondu aux questions de 20 Minutes sur la contestation sociale, le débat national qui doit commencer dans une semaine et les réformes prévues en 2019.

Que s’est-il passé dans votre ministère samedi après-midi ?

Des individus, certains portant un gilet jaune, d’autres en noir et cagoulés, se sont présentés devant le ministère alors que j’y travaillais. Ils ont violemment frappé sur la porte, puis ont utilisé un engin de chantier pour la défoncer, franchir la grille et pénétrer dans la cour où ils ont saccagé des véhicules et cassé des fenêtres avec des barres de fer. Mes équipes et moi avons été rapidement mis en sécurité.

Est-ce qu’un cap a été franchi ?

S’attaquer à un ministère, c’est s’attaquer délibérément à ce que nous avons de plus précieux, notre République et nos valeurs démocratiques. Ce ministère, c’est la maison de tous les Français. Ce geste inacceptable ne doit pas rester impuni.

Après les annonces du gouvernement fin décembre, comprenez-vous que les mobilisations se poursuivent ?

Il y avait une première demande très forte, qui était d’annuler la hausse de la taxe sur le carburant. Elle a été annulée, sans suppression des compensations qui allaient avec, l’indemnité kilométrique, le chèque énergie. Ensuite, on a mis des moyens pour accompagner la transition écologique et améliorer le pouvoir d’achat. Malgré ces réponses fortes, certains leaders des « gilets jaunes » disent aujourd’hui qu’ils ne veulent pas participer au grand débat. Ce sont des radicalisés politiques qui ne sont, je ne crois pas, représentatifs des « gilets jaunes » que j’ai pu rencontrer.

Pour vous, ceux qui continuent de manifester ne sont plus représentatifs du mouvement initial ?

Je pense qu’ils en sont assez éloignés. Les plus radicaux appellent même à l’insurrection armée et à renverser le gouvernement ! Moi, je ne dialogue pas avec des personnes qui refusent le résultat d’une élection et dont le seul objectif est d’entretenir la contestation.

L’une des figures du mouvement, Eric Drouet, arrêté et placé en garde à vue mercredi soir, a reçu le soutien de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Qu’en pensez-vous ?

Monsieur Drouet est un radicalisé politique que d’autres radicalisés politiques essayent d’instrumentaliser. Les mots employés par Monsieur Drouet et par Fly Ryder [autre figure du mouvement] sont les mêmes que ceux de Marine Le Pen, qui font référence au complotisme généralisé. Quand Jean-Luc Mélenchon fait une déclaration d’amour sur Twitter à Éric Drouet, il est en train de poursuivre sa dérive, amorcée entre les deux tours de la présidentielle, lorsqu’il n’avait pas choisi clairement entre Emmanuel Macron et le Front national.

« Le mouvement des « gilets jaunes » est sans doute le signe qu’il faut qu’on aille plus vite, plus loin et qu’on soit plus radicaux encore dans les changements. »

Une majorité de Français soutient encore le mouvement et la mobilisation se poursuit en ce début d’année…

Les taux de soutien sont en baisse et la mobilisation a décru. Ce mouvement exprime une colère qui est ancienne et qui a conduit à l’élection d’Emmanuel Macron. Les gilets jaunes nous ont dit « nos vies sont empêchées, nos enfants n’ont pas d’avenir ». Ce message, nous l’avons reçu comme une alerte sur le pouvoir d’achat, mais aussi comme une envie de transformer le pays. Il est sans doute le signe qu’il faut qu’on aille plus vite, plus loin et qu’on soit plus radicaux encore dans les changements.

Etre plus radicaux, concrètement, cela veut dire quoi ?

Ça veut dire changer de méthode, bousculer, expérimenter.

Avez-vous des regrets sur votre gestion de cette crise ? Le gouvernement a-t-il trop tardé à réagir ?

Entre le moment où le président de la République annonce les mesures sur le travail qui paie mieux ou la suppression de la hausse de la CSG pour les retraités modestes et leur vote au Parlement, il s’est écoulé 12 jours. Mais les Français ont aussi exprimé des angoisses plus profondes, pas seulement la difficulté à boucler les fins de mois. Ces angoisses sur l’avenir et les bouleversements de notre société ont participé à notre élection, et depuis, on n’en a peut-être pas suffisamment tenu compte.

Nous ne sommes pas exempts de reproches. Si les gens considèrent que leur vie n’a pas suffisamment changé, c’est qu’elle n’a pas suffisamment changé. Nous accélérons donc des réformes, comme la mesure sur les heures supplémentaires, avancée de septembre à janvier, ou les 100 euros net pour les travailleurs les plus modestes dès février. Nous nous retroussons les manches et nous disons au monde économique de le faire aussi. Les entreprises doivent tenir la promesse de l’emploi : nous leur avons donné tous les moyens de réussir, à elles d’agir.

Etes-vous favorable au référendum d’initiative citoyenne (RIC), réclamé par de nombreux gilets jaunes ?

Si le RIC, c’est un référendum tous les 15 jours sur tous les sujets, ce n’est pas possible. La force de la Ve République, c’est sa stabilité. On ne peut pas remettre en cause en permanence ce qui a été fait six mois auparavant. Certaines politiques publiques mettent du temps à produire leurs effets. Est-ce qu’on rejette pour autant le RIC ? Non. Mais il faut des garde-fous car un référendum doit rechercher l’intérêt général, et non être la voix des intérêts particuliers ou des lobbies. Je ne veux pas de RIC sur la peine de mort, l’IVG, ou le mariage pour tous. Mais il y a des sujets sur lesquels il faut trouver un moyen d’associer les Français plus activement.

Le gouvernement mise beaucoup sur la grande concertation nationale, avez-vous des informations sur son organisation ?

Sur les quatre grands thèmes décidés, les débats auront lieu de la mi-janvier à la mi-mars, pour en dégager des consensus et prendre des décisions opérationnelles à la mi-avril. La lettre du président fixera dans les prochains jours le cadre de ce débat.

« On propose aux Français un grand débat, à eux de s’en emparer, il faut qu’ils viennent nombreux. »

Comment allez-vous faire pour mobiliser les Français et convaincre ceux qui pensent que ce n’est qu’une opération de communication ?

Les ministres ne monopoliseront pas la parole. Les Français doivent se retrousser les manches avec le gouvernement et les entreprises. On leur propose un grand débat, à eux de s’en emparer, il faut qu’ils viennent nombreux. C’est l’ADN de notre démarche politique et c’est avec ça que l’on veut renouer. Ce débat n’est pas le monopole de ceux qui ont enfilé un gilet jaune, c’est le débat de tous les Français. Il ne doit pas être un grand déballage. Sinon les gens vont s’y perdre et il n’en sortira pas de mesures concrètes.

Envisagez-vous un référendum à l’issue de ce débat sur ces mesures ?

Il faut d’abord organiser le débat et dégager des consensus. Certains sujets peuvent être réglés sans référendum, beaucoup plus rapidement et beaucoup plus simplement, sur les transports publics par exemple. Le référendum est un outil mais pas une fin en soi.

Mais comment mesurer ce consensus ?

Si des débats avec des centaines de Français sont organisés sur tout le territoire, on peut dégager des consensus. La France n’a pas cette tradition, mais on a envie d’essayer, parce que l’on sent que notre modèle démocratique est fatigué.

Dans ce contexte de crise, pourrez-vous continuer à réformer ?

Les Français attendent de nous que nous allions plus fort, plus vite, plus loin. Notre calendrier n’est pas bousculé. Il y a un élément qui bouge, c’est la réforme constitutionnelle. On attendra la fin du grand débat pour discuter de ce texte. En revanche, nous allons réformer comme prévu la fonction publique, l’assurance chômage, les retraites…

Donc aucune réforme annoncée pour 2019 ne passera à la trappe ? Le projet de loi bioéthique a pourtant déjà été retardé…

Aucune, sauf s’il y a de l’obstruction parlementaire. Je rappelle que la réforme constitutionnelle en a été victime l’été dernier.

En matière d’écologie, il y a beaucoup d’attentes, est-ce que le gouvernement prévoit aussi des actions fortes ?

Nous avons déjà mis des moyens très concrets sur la table. 300.000 automobilistes bénéficient de la prime à la conversion. Ils seront 1 million sur le quinquennat, au lieu des 500.000 prévus. Le chèque énergie va bénéficier à 2,2 millions de foyers supplémentaires. Et la transition écologique est le premier des quatre thèmes du grand débat.

Alexandre Benalla, avec l’affaire des passeports diplomatiques, ne continue-t-il pas d’empoisonner le quinquennat ?

Honnêtement, je ne crois pas. Tout ce qui devait être entrepris par l’Elysée sur les passeports diplomatiques de Monsieur Benalla a été fait. Aujourd’hui, c’est entre les mains de la justice. En rien Monsieur Benalla n’est l’émissaire, le représentant ou le conseiller du président. Et ce n’est pas l’Elysée qui distribue des passeports diplomatiques, mais le quai d’Orsay.

20 secondes de contexte

L’interview de Benjamin Griveaux a eu lieu vendredi après-midi. 20 Minutes a recontacté le porte-parole du gouvernement et les deux premières questions-réponses de cet entretien ont été ajoutées.