Pourquoi Emmanuel Macron tente de câliner les élus locaux?
COLLECTIVITES•L’arrivée de Jacqueline Gourault à la tête d’un grand ministère des Territoires dans le nouveau gouvernement marque la volonté d’Emmanuel Macron de renouer avec les élus locaux après un an de crises et de ruptures…Thibaut Le Gal et Laure Cometti
L'essentiel
- A la faveur du remaniement mardi, Emmanuel Macron a élargi le champ du ministère de la Cohésion des territoires, confiée à Jacqueline Gourault, épaulée de deux jeunes ministres, Sébastien Lecornu aux collectivités territoriales et Julien Denormandie à la ville et au logement.
- En renforçant ce ministère, l’Elysée espère amorcer une nouvelle relation avec les élus locaux, dont une grande partie a dénoncé la politique menée par le gouvernement.
- Au-delà du développement des territoires, l’enjeu est aussi électoral, alors que les européennes et les municipales approchent.
C’est l’une des nouveautés du remaniement de mardi : l’arrivée de Jacqueline Gourault à la tête d’un grand ministère des Territoires. L’ancienne sénatrice MoDem sera épaulée par Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales, et Julien Denormandie, pour la ville et le logement.
Dans son allocution télévisée mardi soir, Emmanuel Macron a dit vouloir « s’appuyer [sur] les élus locaux, dans tous nos territoires. Et en particulier nos maires, qui sont les premiers porteurs de la République du quotidien ». Pourquoi le chef de l’Etat met-il autant l’accent sur les collectivités territoriales ?
Des rapports compliqués depuis un an
Entre le président et les élus locaux, les rapports sont tendus depuis plusieurs mois. « Une fausse note », a reconnu François Bayrou ce mercredi. Les collectivités reprochent à l’exécutif plusieurs décisions : coupes dans les emplois aidés, coût exponentiel des aides sociales pour les départements, suppression de la taxe d’habitation sans compensation clairement définie, limitation des dépenses des principales collectivités ou encore limitation de la vitesse autorisée à 80 km/h sur les routes secondaires.
« Emmanuel Macron était conscient que le dialogue était difficile avec les territoires, il fallait une dynamique. Ce ministère montre qu’il s’agit d’une priorité », affirme le lobbyiste Thierry Coste, qui conseille le président sur la ruralité. « Jacqueline Gourault est expérimentée, pragmatique, elle est capable de résister aux pressions. Avec deux jeunes ministres, je prends le pari que le dialogue va se renouer, même avec les élus qui râlent. » En juillet, l’Association des maires de France (AMF), l’Assemblée des départements (ADF) et les régions avaient boycotté la Conférence nationale des territoires (CNT), organisée par l’exécutif.
Ce nouveau ministère peut-il changer la donne ? « On y voit un signe de bonne volonté, mais le président n’a rien dit sur les politiques mises en œuvres. La taxe d’habitation, par quoi on la remplace ? Ca reste pour les maires une grande source d’inquiétude », indique Philippe Laurent, maire UDI de Sceaux. Le secrétaire général de l’AMF n’est pas convaincu de revenir à la table de la CNT. « Au-delà de la communication, je reste circonspect sur la faculté de ce grand ministère à négocier et à imposer ses arbitrages face à Bercy. »
Un angle d’attaque de l’opposition
L’opposition utilise régulièrement ces tensions pour dénoncer le « président des villes ». « Les territoires n’ont pas besoin d’un grand ministère mais d’un changement de cap. La scandaleuse campagne #balancetonmaire, orchestrée par La République en marche, symbolise la déconnexion de ce pouvoir avec les collectivités », tranche Damien Abad, le vice-président des Républicains. « Aujourd’hui, les départements sont asphyxiés, les régions perdent des compétences, les communes sont déconsidérées. »
« Il faut avoir le courage de brusquer les élus », assume Thierry Coste. « Le procès en président des villes est excessif. Je renvoie l’opposition aux vingt dernières années d’attentisme politique. »
Des scrutins à préparer
Emmanuel Macron tente aussi de soigner ses relations avec les élus locaux à l’approche des prochaines élections. « Renouer avec les territoires et diminuer les inégalités est un lourd chantier, reconnaît Thierry Coste, mais cela aura un impact aux européennes et aux municipales. »
Peu ancrée sur le territoire, la jeune République en marche cherche à séduire des élus LR et PS dans l’optique des municipales de 2020. « Il y a un boulot énorme car LREM n’a pas de réseaux d’élus », reconnaissait François Patriat, sénateur proche du président, cet été.
« Cette stratégie révèle une profonde méconnaissance des municipales, dénonce Damien Abad. En France, on vote souvent plus pour un homme que pour une étiquette. Gérard Collomb l’a d’ailleurs très bien dit ». Peu après sa démission, sur LCI, l’ancien ministre de l’Intérieur avait refusé de se présenter à Lyon sous l’étiquette en Marche en 2020. « Ça n’a pas de sens de rassembler simplement sur un parti. »