INTERVIEWCes entretiens, «c'est un peu les ministres qui passent le bac»

Entretiens d'évaluation au gouvernement: «C'est un peu les ministres qui passent le bac»

INTERVIEWChaque ministre va être reçu par le chef du gouvernement pour un entretien d’évaluation…
Edouard Philippe et Jean-Michel Blanquer, le 6 juin 2018.
Edouard Philippe et Jean-Michel Blanquer, le 6 juin 2018. - Alain JOCARD / AFP
Anissa Boumediene

Propos recueillis par Anissa Boumediene

L'essentiel

  • Le chef du gouvernement va recevoir chacun de ses ministres pour faire un bilan de leur action.
  • Aucun remaniement ministériel n’est à l’ordre du jour, assure Edouard Philippe.
  • Pour Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences-Po et président de MCBG Conseil, il s’agit d’une « mise en scène du pouvoir politique ».

Etre « dans l’amélioration ». « Pas dans la sanction ». A partir de ce mardi, Edouard Philippe reçoit tous les ministres les uns après les autres pour faire le bilan de leur action. C’est le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, qui ouvre le bal de cette séquence, qui doit s’étaler sur une partie du mois de juillet. « Quand on a un travail prenant, on a le nez dans le guidon, on bosse, on bosse, on bosse, et c’est très bien ainsi, on est là pour ça, on va pas se plaindre. Mais une fois qu’on a fait ça, on a parfois un petit peu besoin de lever le nez et de se demander, en fonction de ce qu’on voulait faire il y a un an, qu’est-ce qu’on a fait, qu’est-ce qui se passe bien, qu’est-ce qui se passe pas bien, et d’avoir cette discussion pour recadrer les choses », a expliqué le chef du gouvernement.

Interrogé pour savoir s’il pourrait y avoir un remaniement à l’issue de ces entretiens, il a simplement dit vouloir « avoir une conversation les yeux dans les yeux avec tous les ministres pour savoir comment est-ce qu’on peut améliorer l’action collective ». « Je ne suis pas dans la sanction, je suis dans l’amélioration », a-t-il conclu. Ces entretiens seront menés à la demande du président Emmanuel Macron, avait précisé Edouard Philippe en mai lors de l’annonce de leur tenue. L’objectif est de « faire le bilan de l’avancement de la feuille de route, vérifier ce qui a été engagé, étudier la suite… », avait-il alors indiqué. « Une pure opération de communication », estime Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences-Po et président de MCBG Conseil, qui analyse pour 20 Minutes cette « mise en scène du pouvoir politique ».

Cet « entretien d’évaluation » était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Est-ce nouveau ?

Absolument pas. Ce type d’entretien ministériel découle d’une logique mise en place sous le gouvernement de François Fillon et voulue par Nicolas Sarkozy, qui avait annoncé la couleur en souhaitant noter les ministres, sortir de cette absence de points réguliers pour faire le bilan de leur action.

Il est intéressant de voir qu’au-delà de cette majorité, cette pratique se perpétue, et découle du sentiment assez généralisé que les ministres ne sont pas très utiles. Une idée encore plus poussée sous la présidence d’Emmanuel Macron, où la priorité est donnée au pouvoir central plutôt qu’aux membres du gouvernement.

Dans sa stratégie de communication, Emmanuel Macron est passé maître dans l’art de faire du neuf avec du vieux ! Il aime à véhiculer l’idée qu’il est dans l’innovation perpétuelle, mais en réalité il reprend des formules déjà éprouvées par le passé : il a repris cette idée de grand oral des ministres à Nicolas Sarkozy, dont il a aussi repris ce « parlé de la rue », a copié sa cérémonie « d’intronisation présidentielle » à François Mitterrand, et s’est inspiré de l’usage politique du Panthéon sous la présidence de Jacques Chirac.

Sur le plan de la communication, est-ce payant d’appliquer les techniques du management d’entreprise avec ses ministres ?

Cette logique tout droit tirée du secteur privé est totalement cohérente avec la vision d’Emmanuel Macron, qui applique au politique les mêmes techniques d’évaluation de l’efficacité. Il reste dans le discours managérial, avec un Etat qui devient un Etat-entreprise. Cette tentation-là trouve d’autres racines en France, mais jamais personne auparavant n’avait poussé le concept aussi loin que lui.

L’opération de com-pol sera-t-elle poussée au bout avec distribution de bons points et bonnets d’âne, et potentiellement un remaniement ?

A mon sens, c’est une stricte opération de communication. Les commentateurs observeront l’ordre de passage des ministres devant le chef du gouvernement et relèvent déjà que Blanquer, premier ministrable suprême du gouvernement actuel, est le premier à rencontrer Édouard Philippe ce mardi et cela envoie déjà en soi un message. La durée des entretiens, la tête des ministres à la sortie et les déclarations qu’ils pourront faire à l’issue de cette « évaluation » seront autant d’éléments de communication politique.

C’est aussi un piège de communication : ce serait une erreur de croire que cela puisse déboucher sur un ou plusieurs départ du gouvernement. Si c’était le cas, ce ne serait qu’une manière d’habiller un départ déjà décidé en amont. Lorsque l’on constitue un gouvernement, on est dans une logique purement politique. Donc si le président se sépare de l’un de ses ministres, c’est parce que le ministre en question ne présente plus d’intérêt au sein de l’équipe gouvernementale, soit parce qu’il est affaibli par des affaires ou, à l’instar de Nicolas Hulot, à qui l’opinion reproche d’avaler trop de couleuvres, et qui pourrait claquer la porte du gouvernement.

On reste avec cette série d’entretiens dans une pure mise en scène du pouvoir. Cela permet de montrer que le Premier ministre sert à quelque chose et que chaque membre du gouvernement travaille.

Cela répond par ailleurs à un rituel très français qui consiste à attribuer une note à la fin de l’année. Cette opération de com, c’est un peu les ministres qui passent le bac !