INTERVIEW«Nous voulons combattre l’abstention aux européennes», dit Nathalie Loiseau

Nathalie Loiseau, la ministre des Affaires européennes: «Nous voulons combattre l’abstention aux européennes»

INTERVIEW« 20 Minutes » a interrogé la ministre des Affaires européennes au sujet des consultations citoyennes sur l’Europe qui débuteront le 17 avril…
Propos recueillis par Thibaut Le Gal et Laure Cometti

Propos recueillis par Thibaut Le Gal et Laure Cometti

Dans son calme bureau du quai d’Orsay, Nathalie Loiseau s’apprête à lancer un projet très cher à Emmanuel Macron. Le 17 avril, la ministre chargée des Affaires européennes inaugurera les consultations citoyennes sur l’ Europe. Pour « savoir ce que les Européens pensent et attendent de l’Europe, et ce qu’ils proposent pour son avenir », les 27 Etats membres se sont engagés à interroger leurs habitants d’ici à octobre 2018. La diplomate a répondu aux questions de 20 Minutes.

Comment les consultations citoyennes sur l’Europe vont-elles être organisées ?

Elles ont vocation à partir du terrain. L’Etat en organisera certaines, mais la plupart seront organisées par des collectivités locales, associations, fédérations de professionnels, universités, chambres des métiers… L’Etat sera facilitateur, en fournissant un kit d’organisation et un appui financier si nécessaire. On va commencer avec un budget de 3 millions d'euros, on verra ensuite selon les demandes formulées par les porteurs de projets.

Notre démarche est totalement transpartisane : les consultations seront contrôlées par un comité de surveillance dans lequel chaque parti politique aura nommé un représentant.

Combien d’événements auront lieu, dans combien de territoires ?

Je ne peux pas vous dire aujourd’hui combien il y aura de consultations. A ce stade, une centaine de projets nous ont été soumis. Pour les valider, nous demandons aux organisateurs de s’engager au pluralisme des opinions exprimées, à la transparence sur le financement et à publier un compte rendu. On sera très attentifs à couvrir la variété des publics et des territoires français.

La consultation aura aussi lieu en ligne : la Commission européenne va diffuser dans les 27 pays qui organisent des consultations un questionnaire en ligne bâti par un panel de citoyens européens.

« Sur l’Europe, on entend soit les passionnés, soit ceux qui font profession de la détester.” »

Vous utilisez beaucoup le mot Europe, est-ce un choix de ne pas mentionner l’Union européenne ?

On ne veut intimider personne. Tout le monde sait que quand on parle d’Europe, on parle de l’Union européenne. On veut éviter de jargonner parce qu’un des grands défauts du projet européen, c’est qu’il s’est enfermé dans un vocabulaire qui ne parle pas à une grande partie des citoyens. L’objectif est de savoir ce qu’ils attendent des politiques européennes, en matière d’éducation, d’Europe sociale, de recherche, de sécurité, de prise en charge des flux migratoires… Les institutions européennes doivent être la traduction de ces politiques.

Sur l’Europe, on entend soit les passionnés, soit ceux qui font profession de la détester. Or nous voulons donner la parole à ceux que l’on n’entend jamais, qui se posent des questions ou qui ont des idées à proposer.

Comment mobiliser les Français, alors qu’ils votent très peu aux européennes ?

Depuis des mois, je m’entretiens avec des interlocuteurs divers : des responsables de chambres de commerce, des syndicats, des élus locaux, des parlementaires de tous bords politiques, en leur suggérant d’organiser sur leurs territoires des consultations.

« Avec ces consultations, nous voulons combattre l’abstention aux européennes.” »

Le seul parti que je combats au travers de ces consultations, c’est l’abstention. Jusqu’à présent, on n’a pas su convaincre les Européens, pas seulement les Français, que le Parlement européen participe à des décisions qui ont un impact fort sur leur vie quotidienne, comme par exemple le bisphénol A, le glyphosate, la pêche électrique, les perturbateurs endocriniens. On veut convaincre nos concitoyens qu’ils peuvent agir sur l’Europe en allant voter aux prochaines élections.

Avez-vous un objectif de participation à ces consultations ?

Non, c’est un exercice inédit, on se battra pour qu’il mobilise le plus possible. Il faut aussi que les médias en parlent !

Ne craignez-vous pas de ne mobiliser que des pro-UE et très majoritairement des macronistes ?

Je ne pense pas car ces consultations sont vraiment ouvertes à tous et c’est un sujet qui intéresse largement. De son côté, La République en marche va faire sa « grande marche pour l’Europe » dès samedi, à laquelle je vais aussi participer. Notre souhait est d’impliquer tous les Français, et pas seulement ceux qui sont spontanément convaincus ; nous devons aller à la rencontre des sceptiques et comprendre leurs réserves pour y répondre.

Cette « grande marche » est très similaire à vos consultations citoyennes…

Pas du tout, il s’agit d’aller chercher les gens, en assumant l’étiquette LREM, et leur demander ce qu’ils veulent voir dans le programme qui sera porté par LREM aux élections européennes. Alors que les consultations citoyennes sont des initiatives qui viendront de la société civile, de tous les bords politiques, avec des débats contradictoires. Chaque mouvement politique peut s’impliquer.

A moins d’un an des élections européennes, la campagne a déjà commencé… Ces consultations ne visent-elles pas surtout à mobiliser votre camp avant ce scrutin ?

Non, on n’est pas encore en campagne ! (rires) D’ailleurs, le calendrier des consultations citoyennes s’arrête volontairement fin octobre pour éviter la confusion entre ce débat et la période électorale.

Vous croyez vraiment que 27 Etats membres feraient campagne pour La République en marche d’Emmanuel Macron ? Non, d’ailleurs l’initiative est soutenue par des gouvernements de sensibilités très différentes dans toute l’Europe.

Que va-t-il sortir de cette consultation citoyenne qui n’engage ni le gouvernement, ni l’UE ? Est-ce que cela peut aboutir à un nouveau traité européen ?

Depuis le Brexit, il y a un consensus entre les dirigeants européens sur la nécessité de réformer l’Europe. Les résultats de ces consultations permettront d’éclairer sur les priorités attendues pour les prochaines années. Les 27 ne peuvent pas organiser une consultation aussi vaste et ne pas regarder attentivement les résultats.

Cela peut aller jusqu’à un nouveau traité européen ?

Ce n’est ni un objectif en soi ni un tabou. Si, à l’issue de ces consultations, on s’aperçoit par exemple qu’il y a une demande forte pour une politique sociale européenne intégrée, cela nous conduirait à réfléchir à une modification des traités.

« Un nouveau traité européen n’est pas un tabou.” »

L’UE est-elle trop technocratique ?

C’est une critique facile. Les politiques de droite comme de gauche en France ont eu tendance à désigner « Bruxelles » comme la source de tous nos maux, comme si nous n’étions pas partie prenante des décisions. Avec le président de la République, nous considérons qu’il y a des enjeux européens qui doivent être traités à l’échelle européenne, même si nous sommes critiques sur un certain fonctionnement de l’UE. Il faut par exemple davantage de contrôle démocratique sur la zone euro. Des décisions aux conséquences parfois douloureuses, notamment lors de la crise grecque, ont été prises sans qu’il y ait de contrôle démocratique. C’est pourquoi nous souhaitons un Parlement de la zone euro.

Après le discours du président à la Sorbonne en septembre, les consultations citoyennes sont la seule de ses propositions que les Etats membres ont acceptée. Sa volonté de créer des listes transnationales pour les européennes a été rejetée, son idée d’un budget de la zone euro a du plomb dans l’aile. Ce bilan est-il décevant ?

Les listes transnationales étaient portées par le Parlement européen depuis des années, et 10 Etats membres les ont soutenues avec la France. Ce projet s’est heurté au conservatisme de partis politiques européens traditionnels qui avaient peur de perdre leur suprématie. C’est un réflexe de crispation que nous regrettons mais nous ne lâcherons pas le morceau pour 2024.

Sur le budget de la zone euro, nous sommes en train d’en discuter, d’abord avec nos partenaires allemands. La chancelière Angela Merkel s’est engagée à un renforcement de la zone euro. C’est écrit noir sur blanc dans le contrat de coalition signé par les partis qui constituent le gouvernement. Nous travaillons sur notre compréhension de ce que veut dire un renforcement de la zone euro.

Angela Merkel et Emmanuel Macron le 23 mars 2018 à Bruxelles.
Angela Merkel et Emmanuel Macron le 23 mars 2018 à Bruxelles. - SIPA

Les mouvements critiques de l’UE ont pris de l’essor dans un contexte de crise migratoire. L’UE a-t-elle échoué à répondre aux attentes des citoyens sur ce dossier ?

C’est un sujet qui a pris l’Europe de court. L’Europe a tâtonné, a eu du mal à trouver une réponse et s’est divisée entre les pays qui faisaient preuve de solidarité envers l’Italie et la Grèce et ceux qui considéraient qu’ils n’étaient pas concernés. Aujourd’hui nous travaillons à stabiliser les pays de transit et de conflit et au développement des pays d’origine. Il faut maintenant qu’on arrive à réformer le régime européen de l’asile.

En Italie, les électeurs ont manifesté une déception par rapport à l’absence de solidarité européenne. C’est pour ça aussi que nous devons mesurer l’attente des Européens. Vous n’êtes pas contents, mais que souhaitez-vous ? Un renforcement des frontières extérieures de l’UE ? Confier à une agence européenne la responsabilité des demandes d’asile ?

« Emmanuel Macron n’est pas un eurobéat, ni un fédéraliste.” »

Laurent Wauquiez est sur une ligne dite eurocritique. Espérez-vous qu’une partie de la droite vous rejoigne pour les européennes ?

Oui, une partie de la droite, et une partie de la gauche. La victoire d’Emmanuel Macron montre que des recompositions sont à l’œuvre et qu’une nouvelle majorité a pu émerger. Emmanuel Macron n’est pas un eurobéat, ni un fédéraliste comme le dit Laurent Wauquiez. Il ne considère pas que la réponse européenne est par nature satisfaisante. Il pense qu’elle est nécessaire, qu’elle doit être souveraine, mais que pour être efficace, il faut réformer l’Union européenne. C’est un élément rassembleur pour ceux qui à droite, à gauche, au centre, partagent cet idéal européen, sans pour autant entrer dans un fédéralisme échevelé.

Dans cette perspective, Edouard Philippe est-il le mieux placé pour être votre tête de liste ?

(Rires) On n’en est pas du tout là ! On démarre le porte-à-porte samedi, pour construire un programme et ensuite choisir des candidats qui auront envie de s’investir à Strasbourg, avec une tête de liste qui sera l’incarnation de ce projet.

Il a le bon profil ?

Edouard Philippe est formidable, je travaille avec lui tous les jours, je ne vais pas vous dire le contraire. Il a un très bon profil en tant que chef du gouvernement français ! (rires)

Après l’affaire Skripal, la France a décidé rapidement de suivre le Royaume-Uni, qui accuse la Russie, et d’expulser quatre diplomates russes. Pourquoi ?

C’est la première fois depuis 1945 qu’il y a eu une attaque chimique sur le sol européen. Les informations que Theresa May nous a communiquées nous conduisent à penser qu’il n’y a pas d’autres hypothèses plausibles qu’une origine russe à l’agent toxique qui a été utilisé. Le président de la République s’est entretenu avec Vladimir Poutine pour lui demander de faire la lumière sur cette question.. Dans ce contexte très grave, nous avons pris des mesures coordonnées avec 19 Etats membres et la France a expulsé quatre personnels bénéficiant du statut diplomatique russe.