Salon de l’agriculture: Comment Emmanuel Macron tente de déminer le terrain
AGRICULTURE•Le président veut éviter que l'inquiétude et la colère de certains agriculteurs se cristallisent, à quelques jours du salon de l'agriculture...Laure Cometti
L'essentiel
- Depuis son élection, Emmanuel Macron prend grand soin du monde agricole : il a organisé les Etats généraux de l’alimentation en octobre 2017 et s’est rendu dans une ferme du Puy-de-Dôme pour formuler ses vœux aux agriculteurs en janvier dernier.
- A l’approche du Salon de l’agriculture, le président fait face à un climat tendu dans le secteur.
- Le chef de l’Etat et le gouvernement ne ménagent pas leurs efforts pour rassurer un secteur en difficulté, las des promesses politiques.
«J’ai cru que c’était un "fake", j’ai expédié le mail dans ma corbeille ! » Marie, éleveuse de vaches laitières dans l’Indre-et-Loire, ne s’attendait pas à se retrouver à l’Elysée ce jeudi, invitée par Emmanuel Macron à écouter un discours et déguster des petits-fours dans la salle des fêtes. C’était sans compter sur la volonté de l’exécutif de mettre en place une véritable opération de charme à l’attention du monde agricole à l’occasion du Salon de l’agriculture qui débute samedi.
La carte des jeunes agriculteurs
Premier épisode : l’Elysée a décidé il y a deux à trois semaines d’inviter « un millier de jeunes agriculteurs » au Château, issus de tout l’Hexagone et de toutes les filières. La présidence a donc demandé aux préfets d’effectuer un casting en respectant la parité, et surtout, en ciblant les moins de 35 ans et les agriculteurs installés après 2016. « Mon père, il m’a dit que c’est que des paroles, que tous les présidents ont fait des beaux discours sur l’agriculture mais que ça sert à rien ». Mais Sébastien, 22 ans dont un tout juste à travailler dans l’exploitation familiale qui compte 140 vaches à viande, bio, est moins désabusé que son père, qui prendra sa retraite dans moins de trois ans, comme environ 40 % des agriculteurs : « C’est peut-être fait exprès cette invitation, pour calmer les plus en colère avant le salon, mais ça me motive quand même son discours, c’est dynamique et ambitieux. »
Le président de la République a parlé près d’une heure devant environ 700 agriculteurs, pour qui organiser leur venue à Paris en moins d’une semaine n’a pas été une mince affaire (« Les transports coûtent cher ! Et puis il faut pouvoir se faire remplacer à l’exploitation », souffle l’un d’eux, venu du Sud-Ouest). Il a abordé les sujets d’inquiétudes, comme le projet d’accord commercial avec le Mercosur, la nouvelle carte des zones défavorisées (éligibles à des aides) ou le glyphosate, que Paris souhaite bannir des champs français dans quelques années. Puis il a évoqué ses propositions, avant de prendre un petit bain de foule dans une ambiance détendue.
Colère et impatience
Cette réception permet au chef de l’Etat de déminer les sujets qui fâchent avant le salon de l’agriculture, deuxième étape de la séquence agricole. Il s’y rendra samedi dès 7 heures, pour y rencontrer d’abord les organisations agricoles et les syndicats avant de faire le tour des stands jusqu’à la fermeture.
L’ambiance pourrait être électrique. Des agriculteurs ont manifesté mercredi dans tout le pays contre le projet d’accord avec le Mercosur, inquiets de l’éventuelle importation de milliers de tonnes de viande bovine d’Amérique du Sud. En Bretagne, c’est le poids de la grande distribution dans la fixation des prix qui a fait sortir dans les rues de nombreux producteurs. Un projet de loi visant à rééquilibrer ce rapport de force entre agriculteurs et distributeurs sera prochainement débattu à l’Assemblée. « Les agriculteurs sont déçus par ce texte », juge le député Nouvelle Gauche Guillaume Garot. L’harmonisation du congé maternité, promesse de campagne d’Emmanuel Macron très attendue par les agricultrices, tarde à se concrétiser. « Je ne touche aucune indemnité journalière », témoigne Emeline, vigneronne de 32 ans et enceinte de huit mois.
« Il y a une forme d’impatience dans le monde rural qui attend des mesures concrètes », reconnaît le sénateur LREM François Patriat qui avait escorté le candidat Macron il y a un an et accompagnera le président samedi. « Il y a beaucoup de crispations. Il va falloir expliquer notre politique, parfois mal comprise, et démystifier certains sujets, face à un discours ambiant parfois alarmiste, comme sur le Mercosur », affirme Jean-Baptiste Moreau, député de la majorité et éleveur dans la Creuse qui accompagnera également le chef de l’Etat samedi.
L’exécutif très mobilisé pendant le salon de l’agriculture
L’exécutif ne ménagera pas ses efforts pendant le Salon de l’agriculture : après la journée-marathon d’Emmanuel Macron, le Premier ministre se rendra Porte de Versailles trois jours. De nombreux ministres feront le déplacement, dont Jean-Michel Blanquer ou Muriel Pénicaud, tandis que le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert y installera, comme son prédécesseur Stéphane Le Foll l’avait fait, son cabinet pendant la durée du Salon.
« L’intérêt que porte un politique à l’agriculture ne se mesure pas forcément au temps passé sur le salon. S’ils veulent planter la tente et dormir, ils le peuvent, mais on sera surtout vigilant à la qualité des échanges bien plus que le temps passé », prévient Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, premier syndicat agricole.
Brigitte Macron n’est pas absente des signaux envoyés au monde agricole : un peu avant le discours présidentiel, elle est venue saluer les invités, dont certains lui ont réclamé des selfies. En Normandie lundi, la première dame avait rencontré un collectif de femmes agricultrices et femmes d’agriculteurs, accompagnée d’Audrey Bourolleau, conseillère agriculture du président.
Un « électorat très symbolique »
« En venant au Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron marque son respect pour les agriculteurs, qui sont sensibles à de telles démarches », observe Jean Viard, spécialiste des questions agricoles. « Mais cela ne suffira évidemment pas, le monde agricole attend des mesures. Le salon permet aussi de temporiser et de communiquer car la pensée agricole et rurale d’Emmanuel Macron n’a pas encore émergé », juge le directeur de recherches CNRS au Cevipof.
Une opportunité d’autant plus intéressante selon le chercheur que « l’électorat agricole est très symbolique. Le paysan est au cœur de l’identité nationale française, pour des raisons historiques. En soignant les agriculteurs, Emmanuel Macron s’adresse aussi à l’identité collective. Or, le président a un gros problème avec le territoire. Il est très bon en matière de pouvoirs verticaux, mais pour l’instant il est en conflit avec les régions, les départements, les maires et ça ne s’annonce pas si bien avec les agriculteurs. S’il veut gagner les municipales, il va falloir qu’il fasse quelque chose de fort ».
En attendant, les agriculteurs sont partagés à l’issue du discours de ce jeudi. « Je l’ai trouvé au courant des dossiers et de notre quotidien », note Marie, éleveuse laitière dans l’Indre-et-Loire. « On le sentait très éloigné du monde rural, on est un peu rassuré », renchérit Magali, cultivatrice du Loir-et-Cher. Comme la plupart des invités, elles n’ont pas été totalement rassurées par le discours du président. « On ne sait toujours pas comment il compte s’y prendre pour que nos produits soient payés au juste prix », souffle Sébastien, agriculteur ardéchois, qui rentrera ce soir dans son exploitation sans plus d’espoirs que ce matin.