DISCOURSMacron a soufflé le froid et le chaud dans son discours aux Corses

Emmanuel Macron en Corse: Le président a soufflé le froid (beaucoup) et le chaud (un peu) dans son discours aux Corses

DISCOURSLe président de la République a exposé pendant une heure sa stratégie pour la Corse, douchant au passage la plupart des demandes des nationalistes…
Laure Cometti

Laure Cometti

L'essentiel

  • Emmanuel Macron a d’abord rejeté les principales demandes des élus corses avant d’ouvrir une voie vers l’inscription d’un statut corse dans la Constitution.
  • Ce discours très régalien a déplu à de nombreux nationalistes corses, au terme d’une visite décrite comme « tendue » par certains.
  • La révision constitutionnelle est une avancée très symbolique qui pourrait être l’occasion d’un dialogue entre Paris et la Corse.

Il est sorti de l’ambiguïté. Emmanuel Macron a livré ce mercredi après-midi à Bastia un discours d’une heure sur sa politique pour la Corse.

Il a opposé une fin de non-recevoir à presque toutes les revendications des élus corses nationalistes, présents dans la salle. Sauf une, très symbolique, l’inscription de la Corse dans la Constitution lors de la prochaine révision constitutionnelle.

Les principales demandes des nationalistes rejetées

Le président a attaqué son discours en énumérant les domaines dans lesquels l’État investit en Corse, « comme dans les autres territoires » : la sécurité, la santé, l’accès au numérique et à la téléphonie mobile, l’économie, le logement. Une manière de défendre sa vision d’une Corse « dans la République ». Le chef de l’État a successivement rejeté les principales demandes des élus corses nationalistes :

  • la création d’un statut de résident corse : car cela serait contraire selon lui à la Constitution et au droit européen, en plus de n’être « pas la bonne réponse » au problème « endémique » du logement sur l’île.
  • l’officialité de la langue corse : car « dans la République, il y a une langue officielle, le français » même si « le bilinguisme doit être pleinement reconnu ».

La veille, il avait balayé la possibilité d’une amnistie pour les prisonniers corses que les nationalistes qualifient de « politiques ».

Le président est prêt à inscrire la Corse dans la Constitution

Seule concession, de taille, Emmanuel Macron a annoncé à la fin de son allocution qu’il était « favorable à ce que la Corse soit mentionnée dans la Constitution », dans le cadre de l’article 72, quand les nationalistes voulaient modifier l’article 74. Cette promesse est toutefois soumise à la révision constitutionnelle, dont l’exécutif doit préciser les contours au printemps et qui devra être approuvée par les quatre cinquièmes du Parlement, où le sujet promet un débat passionnel. « Il a dit non à tout, mais il ouvre une perspective sur la Constitution, c’est le seul signal positif et cela ouvre la perspective d’un dialogue », résume François Pupponi, député Nouvelle Gauche du Val-d’Oise.

Le président a demandé à la majorité corse de travailler sur cette reconnaissance constitutionnelle avec le gouvernement avant que le projet de loi soit présenté au printemps. « C’est une avancée notable, car cela donnerait à la Corse un statut d’exception qu’elle n’a pas à ce stade », souligne Thierry Dominici, docteur en science politique et spécialiste du nationalisme corse. « Le mois qui va se passer va être décisif. Si la majorité territoriale et le gouvernement arrivent à tomber d’accord sur l’insertion de la Corse dans la Constitution, on peut imaginer que le processus d’autonomie est toujours en cours. Mais, en cas d’échec, les Corses sortiraient probablement à nouveau dans la rue. »

Beaucoup de déception

Selon le chercheur, de nombreux militants, en particulier les jeunes, attendaient davantage de la part du président, en particulier sur la coofficialité de la langue corse, « sujet très sensible » sur l’île. « Beaucoup d’insulaires sont déçus », constate-t-il.

Les accents parfois condescendants du discours présidentiel – quand Emmanuel Macron a jugé que l’argent investi pour la langue corse devait être « mieux affecté » par exemple – ont irrité certains nationalistes.

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L’amorce d’un dialogue

La majorité corse devrait néanmoins saisir cette main tendue, même si la venue du président a été qualifiée d'« occasion manquée » par Gilles Simeoni, le président de l’exécutif de la collectivité territoriale. Il a d’ailleurs ajouté que les nationalistes allaient rester « dans un esprit de dialogue ». Il a rencontré mardi soir, avec Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse, le chef de l’État.

« Ce sont trois personnalités qui ne se connaissent pas du tout et ne sont pas du même monde », estime François Pupponi, qui a suivi le déplacement présidentiel mardi. « Cette journée a été extrêmement tendue. Du point de vue des nationalistes, cette visite n’a été bonne ni sur le fond ni sur la forme, mais au moins ils ont commencé à se parler », veut-il croire.

En revanche, ce « discours pragmatique et d’ouverture » a plu au député de Corse-du-Sud Jean-Jacques Ferrara (Les Républicains) : « Il faut dire les choses franchement, même si ça fâche les nationalistes, sinon on crée de faux espoirs », dit-il, satisfait de la proposition d’inscrire la Corse dans l’article 72 de la Constitution.

Un discours régalien adressé aussi (et surtout ?) à l’opinion nationale

Ce discours, très régalien à certains moments, ne s’adressait évidemment pas qu’aux Corses. « Emmanuel Macron s’adressait aussi à l’opinion nationale et il a rappelé l’autorité de l’État, il l’a incarnée », analyse Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au Cevipof et enseignant à Sciences Po. « Quand il affirme que les moyens donnés pour la langue corse ne sont pas toujours bien gérés, il rappelle le principe d’efficacité dans l’action publique, cela peut plaire à l’opinion nationale. »

Le président a aussi ponctué son allocution des formules « comme partout sur le territoire national » et « comme les autres régions » à chaque fois qu’il soulignait l’action de l’État en Corse, une manière s’adresser à tous les Français.

Selon un sondage Elabe diffusé ce mercredi, 64 % des Français estiment que l’État ne doit accorder « ni plus ni moins d’autonomie » à la Corse que ce que lui confère déjà son statut particulier.