POLITIQUE«Adhésion en un clic», comment LREM et LFI ont changé le statut de militant

«Adhésion en un clic»: Comment La France insoumise et En Marche ont bouleversé le statut du militant

POLITIQUEL'adhésion gratuite en quelques secondes sur internet a modifié la pratique du militantisme...
Thibaut Le Gal

Thibaut Le Gal

L'essentiel

  • Les partis ont toujours mené une bataille de chiffres sur leur nombre de militants.
  • Pour adhérer à La France insoumise ou à En Marche, il suffit de quelques clics.
  • Cette pratique a modifié la manière de définir les militants.

Combien les partis comptent-ils de militants ? Entre les tambouilles internes et le flou sur les méthodes de comptage, difficile d’y voir clair. De temps en temps, les mouvements avancent pourtant un chiffre « officiel ». Un nombre d’adhérents à prendre avec des pincettes car impossible à vérifier. Il y a quelques jours, une dispute de chiffres a même eu lieu entre des responsables du Parti socialiste.

Il faut dire qu’en quelques mois, les partis traditionnels ont été bousculés par l’irruption de nouveaux mouvements comme la République en marche ou la France insoumise, revendiquant très vite plusieurs centaines de milliers de militants. « L’adhésion en un clic » les a obligés à revoir leur système d’adhésion.

« On ne devient pas militant en un clic sur internet »

La République en marche compterait aujourd’hui 392.000 marcheurs. A La France insoumise, on annonce près de 550.000 militants. Des chiffres importants comparés à ceux donnés par les vieux partis. A titre d’exemple, les Républicains avancent 234.556 adhérents, le PS aurait 102.000 membres présents dans leurs fichiers et le Front national plus de 80.000. Oui mais voilà : le processus d’adhésion est totalement différent. Devenir marcheur ou insoumis ne demande qu’une poignée de secondes, quelques clics sur internet et surtout… aucun paiement.

« Ça n’a rien à voir. Pour LREM et LFI, il ne s’agit pas de militants mais de sympathisants. On ne devient pas militant en un clic sur internet, ce n’est pas sérieux », peste Daniel Fasquelle, député et trésorier des Républicains. « On a tous dans nos circonscriptions des fichiers de sympathisants. Si on les ajoutait à nos données, on aurait également des chiffres bien plus importants. Cette confusion est délibérément entretenue par ces partis pour gonfler leurs chiffres ».

capture d'écran du site d'En Marche!+gif heureux
capture d'écran du site d'En Marche!+gif heureux - TLG

« Quand vous adhérez à En Marche, c’est pour être inscrit à la newsletter… Nos militants sont venus physiquement en section pour s’inscrire ou au moins nous ont remis un chèque », raille Rachid Temal, coordinateur national du Parti socialiste.

« L’engagement politique demande une implication réelle », estime Maxime Thiébaut, cofondateur des Patriotes, qui revendiquent 6.000 adhérents. « Il y a une valeur symbolique dans le fait de payer, cela vous engage. Notre intérêt n’est pas d’engranger les chiffres, mais d’avoir des gens motivés pour aller sur le terrain ».

Du côté de La France insoumise, on relativise. « On ne prétend pas avoir 550.000 militants actifs… D’ailleurs ce terme ne veut pas dire grand-chose. Il y a des forces d’engagement et des rythmes différents. Nous n’avons pas voulu avoir d’adhésion payante pour garder cette dimension poreuse avec la société », répond Manuel Bompard, coordinateur de l’équipe opérationnelle du mouvement. A LREM, on assure qu’il est « compliqué de jauger l’activité des adhérents. 8.700 évènements ont été organisés sur les trois derniers mois au sein de nos comités locaux. Nous ne pouvons calculer que les personnes inscrites par Internet soit 12.500, mais le nombre de participants était bien plus élevé. Autre exemple, la consultation sur la formation professionnnelle a mobilisé 23.000 marcheurs en janvier.»

« D’un militantisme "corps et âme" à un militantisme "à la carte" »

Avec l’adhésion gratuite en quelques clics, LFI et LREM ont-ils fait évoluer les pratiques ? « En 2006, en amont de la primaire interne, le PS avait lancé les fameux adhérents à 20 euros sur Internet. La possibilité technique existait donc déjà et le financement était d’ordre symbolique. Ce qui a changé aujourd’hui, c’est la mobilisation de ces adhérents », indique Anaïs Theviot, maître de conférences à l’université catholique de l’Ouest. « Au PS, ces militants étaient décrédibilisés, considérés comme des adhérents low cost quand ils arrivaient en section. Aujourd’hui, ils sont valorisés par les partis. On leur dit qu’ils peuvent aller tracter ou agir comme ils le souhaitent en fonction de leurs envies, leurs compétences ». La spécialiste du militantisme en ligne poursuit :

« « La culture du militantisme, notamment à gauche, a évolué. On est passé d’un militantisme "corps et âme", où l’on donne de sa personne, de son temps à un militantisme "à la carte" » »

Peut-on encore se faire une idée du rapport de force entre les partis ? Regarder le nombre de participants aux votes internes peut nous y aider. Près de 70.000 insoumis ont ainsi voté en novembre pour désigner les thèmes de campagne du mouvement. Cet été, ce sont 72.000 marcheurs (un tiers des adhérents revendiqués à l'époque) qui ont validé les nouveaux statuts du parti. Mais on retrouve aussi une telle déperdition dans les autres forces politiques. Moins de 100.000 adhérents ont participé au vote désignant Laurent Wauquiez comme patron de la droite. Au PS, près de 21.000 adhérents (soit 23 % des 89 527 inscrits) ont voté en janvier pour valider les modalités du futur Congrès.

Un statut de « sympathisant » à LR et au PS

Cette nouvelle manière d’adhérer à un mouvement pousse les partis traditionnels à évoluer. « Nous avons parlé samedi matin, lors du conseil national [du parti Les Républicains], de l’évolution du statut de l’adhérent. On cherche à trouver un statut intermédiaire entre le simple clic sur Internet comme chez En Marche, et la carte d’adhérent… », a expliqué à 20 Minutes un membre du bureau politique samedi.

« Je défends l’idée d’un statut de sympathisant à côté de celui de militant, qui serait ponctuellement consulté ou invité à des réunions. Mais seul celui qui a adhéré pourrait trancher sur la ligne politique du parti ou désigner le candidat à la présidentielle », confirme Daniel Fasquelle. « Il faut garder les adhérents mais réfléchir à intégrer davantage les contributeurs, sympathisants et compagnons de route pour qu’ils soient plus présents dans la vie du parti sans être des adhérents », reconnaît aussi Rachid Temal.

Laissons le mot de la fin à Anaïs Theviot : « Avant les chiffres étaient gonflés ou trafiqués en interne. Maintenant, la même personne peut adhérer plusieurs fois en donnant son adresse email. Une chose n’a pas changé, l’affichage de mobilisation, c’est-à-dire la course à celui qui aura le plus d’adhérents ».