Rémunération, «couples d'Etat»... Cinq choses à retenir du livre sur les privilèges des hauts fonctionnaires
POLITIQUE•Ce jeudi, le journaliste de « l’Obs » Vincent Jauvert publie une enquête sur les privilèges accordés aux hauts fonctionnaires, y compris à l’ère du « nouveau monde » d’Emmanuel Macron…Hélène Sergent
L'essentiel
- Conflits d'intérêts, rémunérations secrètes et mélange des genres sont au coeur de l'ouvrage.
- L'auteur n'épargne aucun gouvernement et démontre la persistance de ces pratiques, à gauche comme à droite.
Il aura fallu près de deux ans au grand reporter de L’Obs, Vincent Jauvert, pour venir à bout de cette enquête. Deux ans pour aller à la rencontre de celles et ceux qui évoluent dans les plus prestigieuses institutions de la République. Des hauts fonctionnaires du Conseil d’Etat, de la Cour des Comptes ou du Conseil Constitutionnel qualifiés par l’auteur « d’intouchables d’Etat » (Ed. Robert Laffont).
A gauche, à droite, hommes ou femmes, « nouveau » ou « ancien monde », le journaliste n’épargne aucun corps, aucune sensibilité politique, aucune génération. Sans cynisme et avec minutie, il dresse le portrait peu reluisant d’une certaine élite qui ne souffre ni du mélange des genres, ni des conflits d’intérêts ni du cumul des fonctions.
- Des rémunérations opaques
Combien sont payés les hauts fonctionnaires ? Si dans la majorité des Etats anglo-saxons, cette question amène une réponse franche, en France, un silence gêné est de mise. Un document intitulé « Rem 150 » pour « Rémunération 150.000 » existe pourtant. Cette note qui circule à Bercy et interne à la Direction générale des finances publiques liste les montants des salaires des caciques de cette institution. L’auteur, qui a pu se la procurer, dévoile certains de ces revenus.
Ainsi, on apprend qu’en 2015, 150 cadres de Bercy étaient mieux payés que le chef de l’Etat. Un conseiller, « contractuel », précise Jauvert, aurait perçu jusqu’à 181.395 euros bruts soit 150.622 euros nets par an. Exhaustif, le journaliste précise que ces rémunérations ne sont pas l’apanage de Bercy, loin de là. Le Quai d’Orsay rémunérerait également généreusement son corps diplomatique, ambassadeurs en poste « à risque » comme les consuls généraux ou le secrétaire général du ministère. « D’après ce document secret, plus de 600 hauts fonctionnaires gagnaient en 2012 plus de 150.000 euros nets par an », écrit le grand reporter.
- Les « couples d’Etat »
« C’est une histoire de conflit d’intérêts conjugal », lance en préambule l’auteur. Explorant les organigrammes des cabinets et ministères, Vincent Jauvert met en lumière les situations plus que délicates de plusieurs « couples d’Etat ». Peu connus du grand public, mari et femme cités dans le livre occupent pourtant des postes majeurs. Ainsi, l’actuelle conseillère culturelle chargée de l’édition auprès d’Emmanuel Macron, Claudia Ferrazzi, est en couple avec le directeur de la stratégie d’Hachette Livre, Fabrice Bakhouche.
Florence Parly, ministre des Armées partage sa vie avec Martin Vial. Cet ancien directeur général de La Poste est aujourd’hui chargé de diriger l’Agence des participations de l’État. Or, c’est cette entité qui gère les participations de l’Etat dans les capitaux d’entreprises comme Thales, Safran ou Airbus. Et les exemples sont nombreux. Pas question en revanche de démissionner, les ministres ou conseillers visés s’étant simplement engagés à ne pas intervenir sur les dossiers pouvant présenter un « conflit d’intérêts ». Autrement dit, « c’est l’Etat qui doit, aujourd’hui, s’adapter à la vie conjugale de ses grands commis, et non l’inverse » conclut l’ouvrage.
- Le règne des avocats d’affaires
Bernard Cazeneuve n’aura attendu que quelques mois avant d’annoncer son retour au sein du cabinet d’affaires August-Debouzy. A gauche comme à droite, on ne compte plus les élus ou hauts fonctionnaires passés de cabinets ministériels aux cabinets d’avocats d’affaires. Quelle meilleure recrue qu’un ancien membre de la haute administration ou d’organes de régulation pour conseiller des clients confrontés à ces acteurs ?
L’auteur de l’ouvrage relate une scène vécue par l’ancien ministre Michel Sapin. Après la défaite du PS aux élections législatives de 1993, l’ex-patron de Bercy cherche à se reconvertir et contacte un grand cabinet français. S’ensuit ce dialogue édifiant :
- Que ferais-je chez vous ?
- Vous venez de faire adopter une loi sur la prévention de la corruption. Vous pourriez aider nos clients à ce sujet.
- Comment ? En leur montrant les failles de cette loi que j’ai imaginée ?
- Ben oui.
- Non, ça, je ne peux pas. Ce ne serait pas déontologique.
- Mais alors, à quoi d’autre pourriez-vous bien nous servir ?
« Ça m’a dégoûté et j’ai tout arrêté. Je ne suis jamais entré dans le privé », confiera Michel Sapin au journaliste.
- Ministre et cadre de la fonction publique
Il y a celles et ceux qui mélangent public et privé et ceux qui cumulent les rémunérations. Sans faire de généralités et soulignant les démissions de la fonction publique d’Emmanuel Macron, Valérie Pécresse ou Bruno Le Maire après leurs élections respectives, l’auteur pointe les « irréductibles », accrochés aux privilèges qu’offre ce corps prestigieux. Ainsi, hors de question de démissionner du Conseil d’Etat pour l’actuel Premier ministre. Membre de la fonction publique depuis 15 ans, il est aujourd’hui « mis en disponibilité » afin de conserver son statut et ne pas être rayé des cadres.
Même constat pour Laurent Wauquiez, Guillaume Larrivé, Florian Philippot ou Matthias Fekl qui cumulent les détachements et mises en disponibilités et conserver, in fine, les avantages offerts par le statut de cadre de la fonction publique.
- Une conciliante commission de déontologie
Les 247 pages de l’ouvrage se referment sur ce constat : les « pantouflages », loin d’être sanctionnés sont tolérés. Roland Peylet préside la commission de déontologie de la fonction publique. Pourtant l’homme le dit lui-même : « C’est vrai, la commission a la réputation d’être trop conciliante et de faire dans l’entre-soi, mais nous ne faisons qu’appliquer la loi (…) il est vrai qu’on peut interpréter les textes plus ou moins sévèrement ». Aujourd’hui, la loi impose à cette commission d’étudier les activités de ces hauts fonctionnaires des trois dernières années seulement contre cinq auparavant.
Pour illustrer son propos, Vincent Jauvert cite le cas d’Alexis Kohler, ami de longue date d’Emmanuel Macron, ancien de Bercy et actuel secrétaire général de la présidence. Quand il quitte le ministère de l’Economie en 2014, le jeune homme veut intégrer la direction financière du croisiériste italien MSC. Problème, l’entreprise a obtenu quelques mois plus tôt un plan de financement « très avantageux », peut-on lire. Mais le jeune homme est patient, deux ans et demi plus tard, il refait une demande. Les trois années sont passées, la commission émet un avis favorable laissant ainsi le champ libre à Kohler.