Convention de la France insoumise: Jean-Luc Mélenchon, un patron qui ne dit pas son nom
REPORTAGE•Le tribun refuse l'étiquette de chef du mouvement, préférant insister sur les différentes modalités d'action...Thibaut Le Gal
De notre journaliste à Clermont-Ferrand,
A peine entré dans la Grande Halle d’Auvergne, les affiches à l’effigie de Jean-Luc Mélenchon attirent l’œil. C’est ici, près de Clermont-Ferrand, que la France insoumise réunit 1.600 personnes pour sa convention. Mais très vite, on nous briefe : attention, LFI n’est pas un parti politique, et -au diable les posters!- Jean-Luc Mélenchon en est encore moins le patron.
« Il ne s’agit pas pour nous, contrairement à ce qu’on a vu [au Congrès de la République en Marche], de désigner un chef, mais de mettre en place un mouvement de type nouveau, qui a une forme de coordination et d’animation polycentrique et collective », nous avait prévenus Manuel Bompard dans la semaine.
Le chef d’orchestre de LFI ne change pas de tonalité ce samedi. « Jean-Luc Mélenchon est le président du groupe parlementaire à l’Assemblée, il est identifié comme le premier opposant à Emmanuel Macron. Est-ce qu’il est indispensable ? Oui, comme tous les autres. Mais le mouvement ne se réduit pas à Jean-Luc Mélenchon ».
Dans la foulée, Charlotte Girard en remet une couche : « Jean-Luc Mélenchon est le président du groupe des députés. C’est-à-dire le chef d’un des espaces, mais il y en d’autres ». On relance, interloqué. « Le fait d’avoir un émetteur aussi fort est un atout, reconnaît la co-responsable du programme. Sans Jean-Luc Mélenchon, on n’aurait pas autant d’audience. Mais il n’est pas le seul. Il n’y a pas de leader maximo ».
« Je ne suis pas le chef, ces gens n’en ont pas besoin »
C’est pourtant bien le tribun qui s’élance, seul sur scène, pour lancer la convention. « Cette fois-ci, j’ouvre les travaux, c’est dire si quelque chose change dans notre rituel politique, et cela a valeur d’un signal […] C’est une manière de marquer, pour nous, le passage officiel, cette fois-ci incontestable, au collectif ! »
La main dans la poche à plusieurs reprises, il évoque les défis à venir, harangue la foule, avant de conclure, la voix basse : « J’ai fait cette introduction avec le goût au cœur d’être le passeur. On me dit, "qu’est-ce que vous êtes ?" Moi, ça me suffit. Je ne suis pas le chef, ces gens n’en ont pas besoin. Je suis le président du groupe parlementaire et je ne suis candidat à rien d’autres ».
Le tribun ne dit pas un mot des travaux de restructuration. « Je n’en ferai rien, car c’est vous qui les menez, pas moi », confie-t-il, préférant terminer par des vers de Victor Hugo.
« Jean-Luc Mélenchon a un rôle de garde-fous»
Comme jadis son hologramme, Jean-Luc Mélenchon s’efface. Cette fois, derrière les différents modes d’action du mouvement, qu’il imagine « gazeux », c’est-à-dire se connectant de manière transversale.
« Il ne veut pas être le chef mais mettre en place une direction polycentrique, sans structure centralisée, autour de plusieurs pôles, l’espace des luttes, le groupe d’action, les députés, les groupes d’appui locaux… », énumère Leïla Chaibi, co-responsable de l’auto-organisation. Un parti tenant sur plusieurs jambes. Mais tout en haut, à sa tête ? « Jean-Luc Mélenchon a un rôle de garde-fous. Il a la bouteille pour nous dire "attention à ne pas dilapider le trésor que vous avez entre les mains" ».
Et les militants, qu’en pensent-ils ?
- Jean-Paul : « C’est l’animateur et l’inspirateur. Le patron politique ou intellectuel, mais pas le premier secrétaire car nous ne sommes pas un parti. Il tranche, rappelle les règles »
- Magali : « C’est une figure, mais notre mouvement est en construction et prône l’autogestion. Les discussions se font à la base, même si c’est lui qu’on voit à la télé. Notre seule autorité est notre programme, l’Avenir en commun ».
- Didier : « C’est un leader, notre porte-parole. Il est intervenu à la tribune, mais en tant que président de groupe parlementaire. D’ailleurs, sur le terrain, on ne me parle pas que de Mélenchon mais beaucoup d’Hugo [Bernalicis] et Adrien [Quatennens] »
- Hélène : « Il fait son job à son niveau, comme chaque militant. Il est responsable de la stratégie, mais quand on est militant insoumis, on ne reçoit jamais d’ordre. C’est l’action qui nous fédère, qui dégage des personnalités. Mélenchon travaille d’ailleurs à la relève. Il travaille à créer le mouvement qui va subsister après lui ».
«Il a un rôle de transmission»
En voilà une idée. Et si Mélenchon préparait déjà l’après-Mélenchon? Thomas Guénolé : « La consigne est "n’attendez pas de consignes". On donne des outils pour que les gens s’émancipent dans l’action », répond le politologue insoumis. « Mais l’arbitre ultime, si nécessaire, c’est Jean-Luc Mélenchon. Il marche en tête en tant que porte-drapeau. C’est le patron, mais il a aussi un rôle de transmission, pas pour préparer l’après Mélenchon, mais pour transmettre la mémoire et les outils des luttes ».
Dans une longue interview donnée en octobre à l'hebdomadaire Le 1, l’intéressé se livrait: « J’ai eu l’orgueil de croire qu’on pouvait choisir son successeur. Il est mort*. Aujourd’hui, je ne m’en préoccupe plus, disait-il. Ce que je souhaite, c’est que le mouvement soit suffisamment large et puissant pour qu’il existe sans moi. Il y a beaucoup de talents et de jeunes en son sein. Ils se disputeront sans doute, mais ce ne sera plus mon affaire ».
*L’ancien bras droit de Jean-Luc Mélenchon, François Delapierre, est décédé en juin 2015