Jacques Mézard et Julien Denormandie, l'étonnant binôme à la tête d'un «super-ministère» de la cohésion des territoires
GOUVERNEMENT•Emmanuel Macron a confié le ministère de la Cohésion des territoires à deux hommes très différents...Laure Cometti
L'essentiel
- Jacques Mézard est ministre de la Cohésion des territoires.
- Julien Denormandie est secrétaire d'Etat au même ministère et dans les faits, il seconde totalement l'ancien sénateur du Parti radical de gauche.
- Les deux hommes forment un binôme atypique à la tête d'un ministère-clé pour Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron doit annoncer cette semaine des mesures en matière de politique de la ville. En déplacement à Clichy-sous-Bois lundi, puis à Tourcoing et Roubaix ce mardi, le président sera accompagné de l’un des doyens du gouvernement et de l’un de ses benjamins. Le ministre de la Cohésion des Territoires Jacques Mézard (69 ans) et le secrétaire d’Etat Julien Denormandie (37 ans) forment un binôme « complémentaire » et « original » de l’avis de leur entourage et de leurs interlocuteurs réguliers.
Deux parcours très différents
Trente-deux années les séparent, mais pas seulement. Les deux hommes ont un profil et un parcours différents. Jacques Mézard, issu du Parti radical de gauche (PRG), a été élu conseiller municipal de la ville d’Aurillac à 36 ans, avant d’enchaîner les mandats et de grimper les échelons politiques, se faisant élire conseiller général du Cantal, président de l’agglomération du bassin d’Aurillac, puis sénateur du Cantal en 2008. Au Sénat, il a présidé le groupe Rassemblement démocratique et social européen.
Julien Denormandie ne s’était jamais engagé en politique avant de participer à la création d’En marche !. Diplômé de l’Ecole nationale des eaux et forêts, l’ingénieur a travaillé au Trésor puis il a écumé les cabinets ministériels : celui de Pierre Moscovici à Bercy, comme conseiller pour le commerce extérieur, puis celui d’Emmanuel Macron au même ministère. Il y devient très proche de l’actuel président qui lui confiera en 2016 la mission de structurer son mouvement pour la présidentielle.
« C’est un couple qui peut paraître étonnant »
Julien Denormandie et Jacques Mézard se retrouvent finalement dans le même bateau lorsque le sénateur annonce son soutien à Emmanuel Macron dès l’automne 2016. Mais c’est la première fois qu’ils travaillent ensemble, « en binôme », comme ils le disent. « Ils travaillent vraiment ensemble, sur tous les dossiers, d’ailleurs leurs cabinets sont mutualisés », indique le service presse de l’hôtel de Castries où s’est installé le ministère. « C’est un couple qui peut paraître étonnant, mais qui fonctionne très bien : l’un a plus l’expérience de l’âge, du terrain et de la politique, l’autre a la jeunesse, la fougue » [on vous laisse deviner qui est qui].
Le sénateur François Patriat, qui connaît les deux hommes, parle lui aussi de complémentarité entre « un élu local imprégné de la France périphérique et un homme de cabinet extrêmement brillant ». « C’est une forme de tutorat inversé : Jacques Mézard apporte son expérience d’élu et du Parlement et Julien Denormandie apporte son expérience ministérielle, sa vision, et sa proximité avec le président, qui garantit une écoute ».
Un « Macron boy » et un élu « de terrain »
Discret dans les médias, l’ancien ingénieur sur qui François Patriat ne tarit pas d’éloges fait partie de ceux que la presse surnomme les « Macron boys ». On retrouve chez lui l’ADN macroniste lorsqu’il lance une consultation citoyenne sur le logement l’été dernier ou quand il refuse « l’assignation à résidence » pour les habitants des quartiers prioritaires, reprenant dans Mediapart une formule du candidat Macron, le 11 novembre dernier. « Il est plus axé sur les sujets d’innovation », confirme par ailleurs Vincent Baholet, délégué général de la Fondation Agir Contre l’Exclusion (FACE) qui regroupe 5.600 entreprises.
« Ils ont deux cultures différentes. Jacques Mézard prend souvent des exemples concrets, locaux, tandis que Julien Denormandie a plus une vision macroéconomique, c’est un homme de chiffres. Ils ne sont pas redondants », juge Marianne Louis, secrétaire générale de l’Union sociale pour l’habitat, qui leur trouve des points communs. Si elle déplore particulièrement la décision « violente » de baisser l’aide personnalisé au logement (APL), elle affirme qu'« aucun des deux ne refuse le dialogue, ni ne s’inscrit dans une démarche personnelle. Ils sont tous les deux dans une démarche très gouvernementale, à l’écoute, mais fermes sur leur position ».
Un « super-ministère »
Les deux hommes enchaînent les déplacements et les rendez-vous depuis leur nomination, ensemble ou séparément. Ils se relaient aussi quand il faut aller au charbon, comme lors du congrès des HLM à Strasbourg fin septembre où chacun fut hué par les bailleurs sociaux et le collectif de locataires.
« Ils ont intérêt à être combatifs car Macron veut marquer à tout prix qu’il n’est pas le président des métropoles », affirme un macroniste. De plus, le ministère de la Cohésion des territoires recouvre le logement, la politique de la ville, l’aménagement du territoire, et les collectivités territoriales. « Un très large périmètre » qui exige « deux vrais ministres, pratiquement, à plein-temps » selon François Patriat.
De fait, s’il existe une hiérarchie sur le papier entre Jacques Mézard et son secrétaire d’Etat, elle ne saute pas forcément aux yeux de leurs interlocuteurs. « Jacques Mézard ne cherche pas à s’imposer par la hiérarchie », décrit Marianne Louis. « Chacun s’occupe un peu de tout, ce n’est pas classique », note Vincent Baholet. Tous deux reconnaissent le caractère « ambitieux » de ce « super-ministère ». « S’il y a un écueil à éviter, c’est le risque d’une politique en pointillé : un coup le logement, puis les zones rurales », pointe Marianne Louis. « Nous espérons que l’approche reste globale, mais avec des solutions adaptées à chaque territoire », abonde Vincent Baholet. Le binôme ministériel doit encore faire ses preuves.